Douleurs

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Thomasine avait toujours été une petite dormeuse. Quand elle était rentrée au collège, ses parents l'avaient laissé veillée tard, tant ses réveilles étaient  frais malgré ses endormissements tardifs.

Mais le petit sommeil de Thomasine n'était plus aussi réparateur ces derniers temps. Quelques jours après le premier baiser d'Étienne, les insomnies avaient commencé. Elle dormait par bribes de quelques heures. Dans ces rares interstices, elle faisait des rêves étranges où Ernestine finissait souvent par emmener Etienne loin d'elle, dans un pays où ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.  

Quand son réveil la convoqua, Thomasine avait déjà les yeux ouverts depuis longtemps.  Toute la nuit, elle avait songé à ce qu'elle avait dit à Étienne, à son ton accusateur... Comment pouvait-elle aussi injuste... Et si il ne l'aimait plus? Si il ne voulait plus d'elle? Si il en avait marre de tout ça? Et si il finissait par dire oui à la jolie Eloïse qui lui tourne autour depuis la rentrée?

Elle attrapa son oreiller qu'elle enfonça au dessus de sa tête comme elle l'avait vu faire dans l'adaptation d'After au cinéma. Des fois elle aurait préféré être un personnage de film, de série ou de roman. Tout y est bien inscrit dans la tête de l'auteur... Lui, il sait ce qu'il va se passer, comment son personnage va finir... Quoi que.... Si elle avait le pouvoir de croiser celui qui écrivait ses lignes... Lui demanderait-elle vraiment de lui raconter la fin? Non. Elle lui demanderait de réécrire toute l'histoire... Elle lui demanderait d'écrire qu'il n'y a pas de malédiction, pas de parchemin et pas de maman mourante. Elle lui demanderait d'écrire une jolie histoire d'amour entre un lycéen livré à lui-même dans un appartement trop grand et d'une adolescente trop sage et passionnée d'histoire...

Cette idée de discuter avec l'auteur de sa vie la fit sourire. Elle se voyait désormais comme un personnage des sims, en proie à un Dieu joueur qui cliquerait sur le bouton "amener des croissants à Etienne" et qui n'aurait d'autres choix que de lui obéir.

A 6h15, précise, Thomasine entra dans la salle de bain. Dans la petite salle d'eau qui juxtaposait sa chambre, le froid la saisissait.  Elle cru un instant qu'une vision arrivait. Elle s'installa sur le sol. Une première image lui était même venu au yeux, ou plutôt des douleurs aux ventre, d'insupportables douleurs. Puis plus rien.  La vision s'était arrêtée comme si on avait arrêté la télé. Elle rouvrit les yeux. Elle avait l'impression d'avoir perdue connaissance quelques minutes. Assise, nue,  sur le tapis mauve de la salle de bain, seule la sensation de froid lui parvenait au cerveau.

Elle cru quelques secondes que, comme pour les visions précédentes, elle resterait prostrée au sol. Mais rien ne se passa. Elle se relevait, fraiche comme une rose et atteignit sans peine la baignoire et y pris une douche, presque étonnée. 

Elle s'habilla dans le calme de la maison, s'attarda de longues minutes devant les premières informations de télématin en grignotant quelques petits beurres et un thé à l'orange. Puis, quand 7h15 s'approchait, elle se prépara pour sortir.  Elle passa prendre quelques croissants comme lui avait conseillé son père,  et sonna quelques minutes plus tard à l'interphone d'Étienne. Sans même lui répondre il lui ouvrit la porte.

Dans l'ascenseur,   son ventre se nouait et l'odeur des croissants chauds lui donnait une légère envie de vomir....

"Ton boulot, ma vieille, se dit-elle à voix haute pour se donner du courage, ça va être de faire profil bas..."

Puis son reflet dans le miroir lui répondit "Pas la peine de te faire des illusions, plus nulle que toi en relation humaine, ça n'existe pas". L'ascenseur s'arrêta à ses mots et elle se retrouva plus vite qu'elle ne l'aurait voulu devant la porte entrouverte...


D'habitude elle serait rentré, mais elle n'osait plus. Elle expira à poumon vide, avant de frapper les trois coups. Dans un mouvement violent, la porte s'ouvrit sur un Étienne pas lavé, pas rasé, les cheveux ébouriffés et les yeux scintillants.

- Je pensais que tu allais m'appeler... Tant mieux tu es là, rentre. T'attends quoi? On dirait que t'as rendez vous avec ma mère...

Thomasine rentra et trouva, la mère d'Étienne attablé à la table du petit déjeuner, sirotant un café, déjà parfaite.  A croire que cette femme dormait ainsi.

Presque indifférant, Etienne lui proposa de partager un café avec sa mère le temps qu'il passait à la salle de bain.

Les deux femmes de saluèrent poliment. Puis ce fut, la plus mure des deux qui rompit le silence.

- Etienne est rentré très énervé, hier soir. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi tu veux partir avec tant d'urgence à New-York, mais il m'a expliqué que tu avais trouvé la trace de ce médaillon. Je t'avoue que je suis trop sceptique pour y croire mais suffisamment curieuse pour avoir envie de tenter le coup, sans en connaître le fond de l'histoire. Si tu es prête à me faire confiance, je t'emmène avec moi à New-york dès lundi.

Les larmes lui montaient aux yeux. Les portes s'ouvraient si facilement... Et toujours grâce à Étienne... Toujours...

- Merci. Je ne sais pas comment vous dire un plus grand merci. Mais si vous désirez m'aider, vous devez savoir toute la vérité...Et même si mon histoire parait complètement invraisemblable, la condition pour que je vous fasse confiance, et de me croire. Ou du moins de me laisser mener mon enquête sans jugements.

- Je t'écoute.

Le médaillon de MousselineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant