Chapitre 28

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— Ce n'est pas grave si tu n'es pas prête, j'entends Alia me déclarer.

Je la dévisage, le visage crispé. Je sais qu'Andy doit m'aimer même si je ne le suis pas. Seulement j'ai peur d'en abuser. Un homme a forcément des attentes, mais à force d'abstinence je risque de le faire aller voir ailleurs, comme ça a été le cas avec Sean. Même si ce dernier était sûrement le dernier des idiots, il faut reconnaître que je ne montrais pas réellement de comportement amoureux, d'où sa volonté de se réconforter dans les bras d'Eva...

— Mais je suis prête, prononcé-je d'un ton déterminé.

Je ne le suis peut-être pas à cet instant précis mais je sais que je le serai bientôt. J'aime Andy, il est parfait pour moi, il est attirant... Il faut seulement trouver le bon moment !

— Tu en es sûre ? insiste mon amie un sourcil relevé.

J'acquiesce d'un hochement de tête. À force de le répéter je finirai par l'être. Sérieusement, qui de mieux qu'Andy pour faire ma première fois ? Je chasse l'image qui fait écran dans mon esprit. Je dois le faire avec Andy et personne d'autre. Il sera doux, attentionné, gentleman... Tout ce dont j'aurais pu rêver. La question que je me pose alors est pourquoi je ne me suis pas sentie prête les deux fois où nous avons eu l'occasion de le faire. Oui car après que je l'ai rejoint dans la chambre l'autre soir, je ne me suis pas sentie prête. Tout était là et pourtant j'ai eu un blocage. Et cela s'est encore reproduit hier soir ici.

J'interromps la discussion entamée avec ma colocataire pour me préparer pour une mise au point au théâtre. Après l'opération (qui s'est révélée être un succès) visant à stopper les hostilités entre Theo et moi, John a déclaré qu'aucune répétition ne sera faite avant un certain moment. « Tout est prêt en terme d'interprétation » a-t-il déclaré lorsque nous nous sommes étonnés de son choix, il a même ajouté que continuer à la travailler la ruinerait. Tandis que certains ont râlé, moi je lui fais confiance. Nous nous concentrons alors sur les déplacements, le lien avec les futurs décors et les costumes.

Je rejoins rapidement John les acteurs dans la salle de spectacle où les éléments de décor commencent à envahir la scène. La matinée semble ne jamais se terminer. John est sans cesse en train de changer d'avis, ce qui me fait tourner en bourrique. Après avoir entièrement vu les déplacements du premier acte, notre professeur de théâtre nous libère enfin. Andy ayant des obligations auprès de sa famille, je me retrouve à manger un sandwich sur un banc avec Theo. Une certaine distance s'est insinuée depuis notre retour et aucun de nous d'eux n'a encore évoqué la soirée de l'autre jour où je me suis enfuie. Et ce n'est pas moi qui vais mettre le sujet sur le tapis ! Je m'essuie la bouche avec un mouchoir et jette les ordures dans la poubelle la plus proche. Je me rassoie, frustrée. Je pourrais lui dire des milliers de choses mais dès que je m'apprête à ouvrir la bouche je me ravise.

— Je vais exploser si je ne t'en parle pas, balancé-je soudainement.

Theo lève ses yeux verts sur moi et je regrette immédiatement mes derniers mots. Si l'on pouvait mourir de honte je crois que je serais déjà six pieds sous terre !

— Je pense que je vais le faire avec Andy mais je ne suis pas sûre, avoué-je enfin. Je sais que je le veux. Mais la première fois cela représente quelque chose pour une fille et c'est effrayant, tu comprends ?

Il hoche la tête avec son sourire en coin à la fois adorable et détestable. Mon cœur bat la chamade et je dois avoir le teint écarlate. Je veux lui dire, après tout c'est le genre de conversations que l'on a avec ses proches amis ! Pourtant je crois n'avoir jamais été si mal à l'aise de ma vie.

— Pourquoi tu as peur ?

Je le regarde, bouche bée devant une telle question. Il a raison, pourquoi ai-je si peur ? Je crois ne m'être jamais posée la question.

— Ce n'est pas tant de la peur... Seulement je n'arrive pas à l'imaginer. J'imagine les préliminaires sans aucun problème puis blocage, plus rien. Tu crois que j'ai un problème ? Peut-être suis-je simplement asexuée ! lancé-je soudainement hilare.

— Asexuée, non mais tu t'entends ? pouffe-t-il. Tu n'es simplement pas prête, il n'y a pas de honte à ça !

Je le dévisage, toujours hésitante. Ses beaux et grands yeux verts intenses se plongent dans mes petits et fades yeux gris et j'en perds la notion du temps. Avec un peu de concentration je suis convaincue que nous pourrions arriver à communiquer ainsi, sans la moindre parole mais seulement par le biais de regards...

— Mais si j'attends trop je risque de le perdre...

Je prononce ces mots presque en un murmure. C'est étrange car j'ai besoin de lui confier ce que j'ai sur le cœur, mais aussi cela me gêne. J'ai toujours l'impression qu'il ira se moquer de moi. C'est certainement parce que c'est l'image qu'il laisse ici, un gars moqueur et imbu de sa personne. Malgré ces trois ans passés sans lui je pense pouvoir enfin dire qu'il n'est pas et ne sera jamais ainsi. Peut-être est-ce un mécanisme de défense, une manière de s'assurer qu'on ne l'approchera pas trop. Il garde une espèce de distance de sécurité avec tous, il se montre imperturbable, froid, mystérieux, détestable. Au début j'ai eu envie de croire en ces mensonges. Cela me facilitait la tâche, lorsque toutes les raisons qui animaient ma haine étaient cachées par les souvenirs heureux auxquels toute sa personne est associée.

— Alors c'est qu'il n'en valait pas la peine. Il y en a des milliers comme lui, alors si tu n'es pas prête avec lui tu le seras avec un autre, c'est comme ça que ça marche.

Theo passe sa main dans mes cheveux avec une douceur qui ne lui ressemble pas et je me sens apaisée. Malgré ses paroles qui auraient pu me blesser dans un autre contexte je me rends compte qu'il a entièrement raison. Lui, seulement lui arrive à me calmer. Ses mots y participent, certes, mais ce n'est rien finalement en comparaison de sa simple présence. Lorsqu'il est là près de moi je suis bien et je sais qu'il ne m'arrivera rien.

Je comprends finalement ma soudaine attraction pour lui. Au fond il n'y a rien de romantique entre nous. Simplement, nous entretenons une relation à part. Une relation si fusionnelle qu'elle peut s'assimiler à de l'amour, mais c'est une erreur. Car bien sûr que je l'aime, je l'aime même d'un amour inconditionnel. Seulement c'est l'amour que l'on a pour un meilleur ami, un frère. Il est le frère que je n'ai jamais eu. Je lui attrape le bras et pose ma tête sur son épaule. Je ne suis rien sans lui, et je sais qu'il en est conscient. J'espère seulement que mon attachement pour lui est un temps soit peu réciproque et qu'il n'en jouera pas.

Après quelques instants à traîner sur le banc, nous finissons par nous lever et flâner dans les rues, bras dessus bras dessous, sans porter un grand intérêt aux boutiques des alentours. Je lui confie ma peur concernant le spectacle qui se rapproche de plus en plus et il me rassure, comme toujours. Mais subitement il me regarde, presque gêné. Il prend une grande respiration mais se ravise et secoue la tête. Je suis obligée de le bousculer pour qu'il se décide enfin à me faire part de ce qu'il a en tête.

— Si je n'étais pas parti il y a trois ans, c'est avec moi que tu aurais fait ta première fois, balance-t-il à ma plus grande surprise.

Je le regarde d'abord décontenancée puis ne peux m'empêcher d'éclater d'un rire qu'il rejoint. Non mais quel culot il a de me balancer ça comme si de rien était ! Le pire dans tout ça c'est que je pense qu'il a raison. J'essaye de me replonger trois ans plus tôt et bizarrement la situation colle. Je nous imagine avoir cette conversation gênante où l'un et l'autre confie son manque d'expérience en le domaine et la soudaine idée brillante de mon meilleur ami.

— On était tellement insouciants, j'entends Theo marmonner à moi ou à lui-même.

Surprise : Je t'aime ! [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant