L'hiver avait recouvert la citadelle de son scintillant manteau de neige. L'eau de la rivière devant la citadelle s'était recouverte d'une faible couche de glace qui se brisait dès qu'un animal égaré s'y posait. Le soleil régnait moins puissant et cédait sa place à la nuit. Il rayonnait dans un ciel bleu glacé, clarté qui était engloutie de plus en plus tôt par la reine nocturne. L'air froid et sec faisaient frissonner les quelques courageux qui travaillaient dehors. Les gardes qui patrouillaient avaient les joues rougies par le froid. Des volutes blanches s'échappaient des lèvres bleutées. Des stalactites marmoréennes renvoyaient la lueur du jour et magnifiaient la magie du décor hivernal. Des enfants jouaient à faire résonner les pics de glace, dans la cour pavée, jusqu'à ce qu'une goutte atterrisse sur leur nuque et glisse sous leurs vêtements, leur arrachant des cris stridents. Ils couraient alors se réfugier à l'intérieur des bâtisses où des feux brûlaient constamment et répandaient leur chaleur bienvenue. Les cheminées étaient alimentées toutes les heures. Devant les âtres, les jeunes s'amassaient pour bavarder. Ils avaient reçu de la part de la reine Lubia des uniformes épais et chauds ainsi que des vestes molletonnées à l'intérieur doux comme des nuages. Tous se délectaient de cette attention et s'emmitouflaient consciencieusement avant de traverser les quelques mètres séparant les dortoirs du bâtiment principal. Cette traversée se faisait silencieusement et rapidement dans cette région sujette à de nombreux vents glacés. Dans la précipitation, certains avaient glissé sur le sol givré du petit matin lors des premiers jours de décembre. Les repas s'étaient eux aussi adaptés à la saison préférée d'Ora. Le mot d'ordre semblait « chaleur ». Du lait au miel chaud du petit-déjeuner à la soupe brûlante du soir, les cuisiniers prenaient soin de leurs protégés.
Au deuxième étage, dans l'aile droite, cinquième porte à gauche, une passionnée réchauffait la salle de classe. Mme Béland enseignait désormais qu'aux seuls quatre élèves qui s'intéressaient à sa matière – Pauline, Ora, Julie, François -, les autres étaient alignés au fond de la pièce, dos au tableau. Pour clôturer ce premier semestre, la professeure apprenait à ses élèves comment frauder. Oui, il s'agissait en pointant les différentes manières de déjouer les règles établies, de prévenir les risques.
« Il est très simple de tromper l'administration royale sur ces comptes. L'intérêt est bien évidemment d'être moins imposé car comme nous l'avons vu il y a déjà plusieurs mois, le roi ou la reine récupère une partie de vos recettes. Qui peut me rappeler quelles sont ces deux impositions ? Tous évidemment. Non pas vous là-bas, continuez à faire vos enfantillages ! Oui donc vous-qua-tre... euh honneur au seul homme.
- Merci madame. Il existe un impôt dû du fait de l'exercice d'une activité à but lucratif sur le territoire de sa majesté et partant il s'agit d'un « impôt de gratitude » envers la personne veillant à vos intérêts financiers et vous permettant de vivre sur son domaine.
- Parfait et le deuxième Mlle Ruspo ?
- Très simple. C'est un impôt dû sur les bénéfices pour assurer l'entretien des voies de communication, des routes marchandes et des bateaux marchands. C'est l' « impôt commercial ».
- Bien, bien, se réjouit Mme Béland de ces bonnes réponses. Comme je le disais, il est facile de maquiller les comptes. Facile mais risqué car la sanction si le méfait est découvert est ...Mlle Carpenter ?
- La peine de mort pour trahison et outrage.
- Exactement. Et pour découvrir ces fraudes, très simple, il faut en connaître les ficelles. Premier signal d'alerte, si les documents financiers annuels ne sont pas équilibrés. Oui ça pique les yeux mais ça existe. Une fois un comptable m'a répondu que c'était car j'enseignais la théorie et qu'en pratique, il n'était pas possible de présenter des comptes en équilibre. Voyant ces quatre étudiants les yeux arrondis, elle affirma que certains professionnels dans les villages et les petites villes ne connaissaient pas le quart de leur programme.
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Reliées - Face à la couronne arrachée
AdventureLa vie paisible de Tertrefeu s'acheva ce soir-là. Par ces quelques mots tracés sur ce papier froissé. Tous regardaient le messager, dubitatifs, puis finalement ahuris, abasourdis. A peine la nouvelle du renversement du précédant monarque propagée, q...