Deux semaines s'étaient écoulées sans qu'aucun messager royal ne vienne jusqu'au hameau de Tertrefeu. Les rumeurs allaient bon train dans le royaume tant sur l'accession au trône de la Reine Lubia que sur le sort réservé à famille royale de son prédécesseur.
Certains racontaient que Lubia était la fille cachée du roi Ernest et que, voulant régner sans plus tarder, elle avait tué sa famille. D'autres racontaient que, fille de bergers, elle avait fait un pacte avec le maître du mal pour ne plus jamais souffrir de la misère. Le monstre des ténèbres avait alors assassiné tous les habitants du palais pour la mettre sur le trône. Les plus imaginatifs dépeignaient la nouvelle reine comme une ogresse que seule la chair royale suffisait à satisfaire.
Sa majesté n'était aucunement agacée par ces rumeurs qui lui forgeaient une image forte, presque légendaire, dans le pays. Le peuple était lié par la crainte envers cette reine méconnue et ne montrait signe d'aucune volonté de rébellion. Certains se permettaient même l'espoir. L'espoir que les changements à venir seraient pour le mieux. L'espoir d'une vie meilleure, plus juste, qui dépoussiérerait le sentiment d'allégeance entaché par l'égoïsme et la noirceur des hommes aux pouvoirs. L'excitation vibrait dans tout le pays.
Les habitants de Tertrefeu étaient réunis sur la place du village autour d'un feu de bois. Chaque semaine, ils se réunissaient pour partager un repas entre amis. L'entraide et la réciprocité étaient indispensables pour vivre paisiblement dans ces terres reculées. Ils n'étaient pas simplement voisins. Chacun était une partie d'un ensemble plus grand, une communauté, une famille, la partie vivante de Tertrefeu. Si l'un était malade, tous se mobilisaient pour le soigner et se répartissaient ses tâches, car vivre là-bas signifiaient pouvoir rentrer dans chaque maison, n'importe quand, pour n'importe quelle raison et y trouver un visage bienveillant, une main serviable, un bras protecteur.
Les jeunes filles, assise en cercle dans l'herbe, partageaient les nouvelles théories sur le coup d'état de la nouvelle dirigeante du pays. Jules était assis près des flammes et écoutait le crépitement du bois persuadé d'écouter un message mystique crypté en une autre langue.
« J'ai entendu dire que la reine est la mère de l'épouse du roi Ernest. Débuta Ora amusée. C'était une femme adorable qui avait élevé sa fille Amaranthe avec beaucoup d'amour. Elle avait fait beaucoup de sacrifice pour elle. Un jour elle rencontra Ernest, avant son couronnement, et tomba éperdument amoureuse de lui. Le coup de foudre quoi. Elle l'invita dans sa modeste demeure. Le jeune prince s'y rendit le lendemain et s'éprit d'Amaranthe. Après le mariage du roi Ernest et de sa fille, Lubia perdit la tête. Aussi fut-elle chassée du palais. Elle vieillit en recluse, au fond d'une tanière avec un ours. Lorsque sa fille atteignit l'âge qu'elle avait quand elle eut le cœur brisé par le roi, Lubia décida de se venger dans un bain de sang d'une violence inouïe.
- Waouh, quelle histoire ! S'émerveilla Lanïane. J'aime bien cette version.
- Oui c'est vrai. Et tu as un vrai talent pour raconter les histoires. Complimenta Pauline. J'en ai une autre. Je ne crois pas qu'on l'ait déjà racontée. Grand-mère a ouïe dire, par une de ses amies un peu dure d'oreille, que Lubia est devenue reine par hasard. Le roi chassait avec son fils et dans un moment de confusion le blessa mortellement avec son arc. Sir Ernest rentra au château dévasté. Le dîner fut bien triste ce soir-là, et comme si cela n'était pas suffisant une ombre assombrit à nouveau le tableau. Le roi s'étouffa avec une arête de poisson. La reine essaya de l'aider et chuta dans la manœuvre. Se retrouvant sans dirigeant, les serviteurs décidèrent de choisir une nouvelle majesté en prenant la personne la plus proche du trône. Lubia était justement en train de le nettoyer... La chance tient vraiment à peu de chose.
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Reliées - Face à la couronne arrachée
AventureLa vie paisible de Tertrefeu s'acheva ce soir-là. Par ces quelques mots tracés sur ce papier froissé. Tous regardaient le messager, dubitatifs, puis finalement ahuris, abasourdis. A peine la nouvelle du renversement du précédant monarque propagée, q...