Reliées - Face à la couronne arrachée

13. Pouvoirs revendiqués - Part 2

Hors d'elle, Ora quitta la salle d'un pas vif laissant Sir Eloy dans son désarroi. Elle ne voulait pas de ses explications. Comment avait-il osé ? Comment avaient-ils osé ? S'en prendre à Eloïse ? Elle ne pouvait l'imaginer. Elle somma le soldat de la mener aux cachots. Immédiatement. A sa suite, elle empoigna sa robe et marchait d'un pas assuré. La frénésie des battements de son cœur dictait la cadence de ses pas. Ces couloirs étaient interminables. A chaque seconde elle mesurait son erreur. Elle avait accordé sa confiance. Elle avait failli à ses devoirs envers sa seule amie ici.

Le souffle court, Ora atteignit les sous-sols du palais. Les galeries, plongées dans une pénombre oppressante, juraient avec le faste des étages supérieurs. Même par temps clair, l'air salin sifflait dans ce dédale d'allées étroites. De l'eau suintait le long des parois. Des chuchotis s'élevaient de part et d'autre. La geôle empestait la maladie et le désespoir.

Les gardes, avachis sur un tonneau de bière, se redressèrent en hâte et saluèrent la prestigieuse invitée de Riveclair, surpris de la croiser en de tels lieux.

« Messieurs, menez moi à ma femme de chambre, Eloïse. Immédiatement. Leur ordonna-t-elle impatiente.

- Dame Carpenter, les soldats échangèrent un regard paniqué, vous n'êtes pas... euh... autorisée à pénétrer dans cette partie du palais.

- Pardon ! Fulmina-t-elle.

- Seules la famille du seigneur et l'armée de la contrée sont ... attendez ! »

Ora les avait contournés. Elle n'avait pas besoin d'eux pour la retrouver.

« Eloïse où es-tu ? Cria-t-elle en marchant au hasard. Eloïse ! »

Elle ignora les soldats qui la suivaient et qui tentaient de l'arrêter, sans avoir le droit de la toucher. Elle ignora les visages décharnés des autres prisonniers qui la dévisageaient et qui grognaient à son passage. Elle ignora les rongeurs et insectes qui grouillaient en ces lieux infâmes.

« Oh Eloïse ! Ora se jeta contre la grille. La prisonnière se levait avec difficulté.  Ouvrez cette porte !

- Comme nous vous le disions...

- Il suffit ! Elle marqua un temps de pause et clama haut et fort : Je suis Ora Carpenter, dirigeante de contrée, représentante directe de sa majesté la reine Lubia, mandatée par sa majesté la reine Lubia pour exercer son autorité dans cette contrée. Quand je vous demande d'ouvrir cette porte, vous ouvrez cette porte. »

Ils obtempèrent aussitôt. Ora embrassa Eloïse et passa son bras autour d'elle. Ainsi elles sortirent du cachot et remontèrent pas à pas leur chemin. Eloïse avait souffert ces derniers jours et avait du mal à marcher. La traversée prenait du temps mais Ora ne la pressa pas. Elle faisait de son mieux pour la soutenir. Elle lui murmurait des encouragements. Toute son attention était focalisée sur elle.

Sur leur passage, les domestiques s'arrêtaient quelque peu abasourdis. Ils les observaient ne sachant que penser de cette scène singulière. Une haute dignitaire aidant une simple femme de chambre à marcher. Une noble au service de sa domestique. Incongru. Mais finalement, la stupéfaction passée, l'admiration s'exprima. Un vieil homme, ramoneur depuis un demi-siècle, ignoré par les seigneurs durant toutes ses années de service, frappa dans ses mains. Un autre se joignit à lui, et un autre, entraînant l'ensemble des serviteurs. Ces applaudissements, signe de reconnaissance, célébraient l'espoir véhiculé par ce duo improbable. Elles portaient l'espoir de tout un peuple. L'espoir d'un monde différent.

Ora accompagna Eloïse jusque dans sa chambre. Vera, qui était jonchée en hauteur pour nettoyer les vitres, manqua de tomber en voyant sa maîtresse revenir accompagnée. Elle descendit les barreaux et offrit son bras à son tour jusqu'au fauteuil en velours. Eloïse cramponna les accoudoirs et descendit en douceur. Enfin installée, elle lâcha un soupir et ferma les yeux.