Partie : A terrifying difference

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2. A terrifying difference

          C'est ainsi, que quelques secondes après que le personnel médical m'ait débranché, je revins à la vie. Enfin, en quelque sorte. Par facilité, nous dirons qu'aux yeux de ma famille, de l'hôpital et pour le reste du commun des mortels, je suis vivante. Même si, en soi, il y a maintenant une partie du monde de l'au-delà en moi. Je suis ni morte ni vivante. Je n'appartiens à aucun de ces deux mondes entièrement. Mon cœur est reparti mais je crois que le terme « vivante » n'est pas vraiment approprié.

         Allongée dans ma chambre d'hôpital, je regarde fixement par la fenêtre. Ma famille vient me rendre visite me dit-on. Je ne les remarque même pas. Je ne peux même pas dire qui est venu ou non. Je me remémore sans cesse ce que j'ai vu dans mon coma. La lumière me brûle les yeux mais je veux la regarder encore, et encore à travers cette fenêtre comme pour éclairer une partie d'ombre en moi. Je ne veux pas jouer avec les autres enfants. Je ne les comprends pas, je ne les comprends plus. Les yeux fixés sur la fenêtre, je me souviens. Je me souviens de tout ce qu'il s'est passé durant mon coma. Mais je n'ai gardé aucun souvenir de mon passé. Comment était ce avant l'accident ? Etais-je une bonne personne ? C'est comme si ma vie s'était arrêté et qu'une nouvelle version est en train de se créer. Une nouvelle Sarah sans lien avec la précédente.

Une infirmière me sort de mes souvenirs.

-Bonjour Sarah, tu mangeras quelque chose aujourd'hui ? Allez, pour me faire plaisir !

         Son sourire et son regard pétillant ne me font aucun effet, pas plus que ses mots mielleux à mon intention. Mais j'accepte de manger. Juste pour voir si j'en suis capable alors que tout appétit m'a quitté depuis longtemps. Elle m'aide à m'assoir à table car mes jambes, blessées dans l'accident, sont restées longtemps au repos et je peux difficilement me déplacer seule. Elle installe le plateau devant moi. Déjà que je n'ai pas vraiment envie de manger, le plateau ne m'aide pas non plus dans cette voie. Des biscottes beurrés légèrement et un verre d'eau. Bref, un diner léger afin que mon estomac se remette progressivement d'avoir été nourrit uniquement par sonde. De toute façon, j'aurais été bien incapable de manger un repas complet. Je ne sais même pas si je vais réussir à manger toutes les biscottes. L'infirmière reste un peu à côté de moi, toujours avec son sourire niais, dans la grande attente que quelque chose se passe. Bien, si j'ai bien compris, elle ne partira pas tant que je n'ai pas essayé de manger. Pour lui faire plaisir, je croque dans une biscotte. Comme je l'avais prédit, elle part aussitôt après, emportant avec elle son sourire satisfait. Ne me juger pas trop. Mes pensées ne sont peut-être pas très appréciables mais j'ai tellement besoin d'être un peu seule en ce moment, que je serais prête à tout. Je ressens néanmoins un peu de remords face à mon égoïsme. Car en fin de compte, elle ne souhaite que mon bonheur.

           Finalement, je n'ai pas mangé beaucoup. Peut-être ne suis-je pas encore prête à m'alimenter sans assistance. Au moins j'aurais essayé.

           J'allume la télévision, il n'y a que des mauvaises nouvelles. On y parle d'un crash d'avion. Presque personne n'aurait survécu. C'est fort injuste. Je survis à la mort, mais pas les autres. Je me demande bien pourquoi moi et pas tous ces gens. Mais je ne sais pas trop pourquoi, mis à part de l'incompréhension, aucune émotion n'émane vraiment de moi. Pas de tristesse, pas de colère, juste des questionnements.

           Les jours passent et se ressemblent. Plan d'une journée type : manger (si possible), toilette, kiné, examens, manger (de nouveau si possible), visite de la famille, manger (encore une fois...), dodo. Bref une vie passionnante. Les soignants me sensibilisent sur le fait que jouer avec les autres enfants pourrait me faire évoluer dans le bon sens. Alors, pour leur faire plaisir, je vais dans l'espace jeux avec les enfants de mon âge. Mais je n'aime pas jouer. Je me force pourtant, du moins quand l'infirmière passe dans le couloir quand elle vient voir si tout se passe bien. Sinon je reste dans mon coin. Je me demande si autrefois je jouais moi aussi. Ai-je été une enfant normale ? En tout cas, la nouvelle Sarah ne comprend pas l'intérêt qu'on tous les enfants à faire du bruit et se jeter par terre. Parfois, je prends un jouet et j'essaie de l'analyser sur tous les angles pour passer le temps. Une balle roule à mes pieds. Je la regarde rouler avant de chercher d'où elle aurait bien pu provenir. C'est là que je l'ai vue. Une jeune fille, ou un garçon, je ne sais pas. C'est dur de dire. Cette personne semble si usée, si marquée par la maladie, que j'en ai du mal à distinguer s'il s'agit d'un garçon ou d'une fille. Elle est recroquevillée dans un coin dans sa robe d'hôpital sale. Elle non plus ne joue pas. Elle est différente mais je ne sais pas en quoi. Elle regarde les autres enfants avec le même engouement que moi. Peut-être est-elle comme moi ? Intriguée je m'en approche. Arrivée à sa hauteur je m'assois à côté d'elle.

Névrose humaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant