Névrose humaine

Partie 31: Raphael's pancakes

Il ne sait pas que je suis réveillée. Je l'ai entendu se lever ce matin, pester à voix basse sur le meuble se trouvant malencontreusement sur le chemin de son orteil. Il n'y a pourtant pas beaucoup de mobilier, il faut croire que le réveil de Raphael est plus dur que le mien encore ! Je souris en imaginant la tête que celui-ci a dû faire. Tout de suite après l'incident, j'ai entendu le bruit délicat de ses pas sous la mezzanine puis sur les marches y menant. Je ferme les yeux, feignant de dormir encore. Je sens un poids sous mes couvertures. Il s'est allongé à côté de moi.

-Tu ne vas quand même pas essayer de me rouler ? me dit-il la voix rieuse dans mes oreilles.

Je ne réponds pas toujours absorbée dans mon rôle. Même si j'avoue me retenir de rire.

-J'ai un détecteur de mensonge infaillible tu sais ? Tu veux que je te montre ?

Je ne réponds toujours pas mais je devine que lui aussi se retient de rire.

-Tu l'auras voulu ! Attaque surprise ! dit-il en éclatant de rire et en m'assommant de chatouilles.

Cette fois c'est fichu, je ris ! Je ne sais pas depuis combien de temps cela ne m'étais plus arrivé mais je ris. Je ris pour toutes les fois où je n'ai pas eu l'occasion de le faire je crois. J'ai beau me débattre, il continue. Mais je ne sais pas si au final je veux vraiment qu'il s'arrête. Je ne veux plus perdre cette sensation qui me rend vivante. Enfin, je suis vivante. Lui aussi ris, comme si c'était naturel, comme si toute sa vie il avait ris. Comme c'est bon de rire, il a bien raison.

-Allez ma puce, il faut se lever ! J'ai prévu une journée complètement folle avec toi ! me dit-il en cessant ses chatouilles mais tout en gardant son sourire de malices et de sournoiseries.

-Et si je n'ai pas envie ? répondais-je sur un ton de défis mais sans pouvoir calmer mon rire.

-Chipie va ! rajoute-t-il en faisant un non de la tête.

Je touche de mes doigts ses lèvres rieuses. J'aimerais tellement lui voler pour l'éternité. Il sourit de plus belle avant d'essayer de me manger les doigts comme une bête féroce. Ce qui a le don de m'amuser de plus belle. Je semble perdre toute la maturité que j'ai acquise avec la dureté de la vie, je retombe enfant aussi vite qu'il retombe chérubin.

-Allez, allons manger ou je te mange les doigts ! ajoute-t-il en glissant vers les escaliers.

Il ne m'attend même pas, il sait que je vais le suivre. Les adultes ont ce dont pour l'anticipation que j'admire tout particulièrement. Je ne m'habille même pas, je reste en pyjama chose qu'il m'était interdit à la résidence. Je ne sais trop pourquoi mais braver un interdit me semble encore plus intéressant. Je descends de la mezzanine doucement, presque au ralentis, enfin de voir la réaction de Raphael. Va-t-il me punir ? Mais une fois en bas, je remarque que lui aussi est en short de pyjama et vieux t-shirt. De nouveau, un élément de désordre chez lui. Mais cela ne l'empêche pas de conserver ses habitudes. Il sort d'une armoire un sachet plastique contenant une poêle. Peut-être pour quelle ne prenne pas la poussière dans le meuble, ou car ici on ne cuisine pas énormément ? Mon dieu que cet homme me fascine. Il est tout et son contraire.

-Tu aimes les pancakes ? me dit-il en se retournant vers moi, brandissant la poêle débarrassée de son plastique comme s'il s'agissait d'un trophée.

Je hoche la tête sans lui avouer que je ne sais même pas ce qu'est un pancake. Je n'en ai jamais mangé à la résidence en tout cas.

-Ah ! Tu fais bien car c'est ma spécialité !

Il disparait dans la cuisine et je le suis telle une petite souris curieuse. Je le vois ouvrir le frigo et saisir tous les ingrédients nécessaires. Je remarque par la même occasion que tout est étiqueté par catégorie mais Est-ce que cela m'étonne vraiment ? Je l'observe faire la cuisine et il le remarque aussitôt.

-Tu veux venir voir comment le pro du pancake fait ?

Il abandonne ses ustensiles de cuisine pour venir me prendre dans ses bras et me poser sur un morceau du plan de travail. D'ici j'ai une vue imprenable sur tous ses mouvements.

-Tu fais souvent la cuisine ? lui demandais-je curieuse.

-Il faut bien manger.

Il ajoute un petit clin d'œil avant de verser la préparation dans la poile.

-Maintenant, regarde bien, tout est dans le poignet !

Il s'écarte un peu du feu, tenant fermement la poile.

-Regarde bien ! Il ne faut pas qu'elle se sauve... Et hop !

Il fait alors un souple mouvement du poignet, projetant le petit morceau de pâte cuite dans les airs avant de la réceptionner derrière lui en faisant une rotation. Je l'applaudis émerveillée par ce numéro. Et des numéros, il en a pleins en réserve ! Je crois qu'il n'est pas vraiment le pro pour la pâte mais qu'il est en effet vraiment doué pour la faire voltiger et toujours la rattraper.

-Ca tu vois c'est le talent ! dit-il très fier de lui.

-Ca tu vois c'est l'égo ! répétais-je avec encore plus de sournoiserie que lui.

-Chipie ! répond-t-il à ma provoc en me passant la main dans les cheveux pour m'ébouriffer.

Les pancakes étalés dans l'assiette, il ne reste plus qu'à les dévorer. Mais à peine les a-t-il déposés sur la table que le téléphone sonne. Rapidement, il se rue sur celui-ci. La sonnerie retentit pour la deuxième fois mais il ne prend pas le téléphone, se tenant simplement devant tout en le regardant. Il attend la troisième sonnerie avant de s'en saisir et de décrocher.

-Raphael Ross, j'écoute ? ... Mais oui je me doutais bien que c'était toi Claire ! Mais dans le doute, tu sais !

Il a le sourire encore plus grand que lorsqu'il jouait avec moi ce matin. Sa voix en est d'autant plus enjôleuse et je devine facilement qu'il ne doit pas être indifférent à la personne. Il ne faut pas être très futé pour s'en rendre compte. Pourtant, il ne m'a pas encore parlé d'une quelconque compagne. Il continue de lui parler, de la pluie et du beau temps, tout en jouant avec le fil du téléphone avec ses doigts. Du moins, il l'écoute car il ne parle pas beaucoup. Cette Claire ne doit pas lui donner beaucoup de temps de parole. Mais au final, cela m'importe peu, je n'oublie pas la mission qu'il m'a été confiée mais je suis beaucoup plus curieuse de savoir quel goût ont ces fameux pancakes. Alors oui, l'enquête attendra ! Après tout, les règles ne sont-elles pas là pour être enfreintes ?