Névrose humaine

Partie32: neighbours

           Il redépose le téléphone après un long moment de conversation, terminant celle-ci par un très calme et chaleureux "gros bisous ma puce". Ce qui ne manqua pas de me faire sourire. Alors comme ça ce Raphael n'est pas le jeune loup solitaire que je croyais. J'ai eu tout le temps nécessaire pour engloutir voracement trois de ces petits pancakes avec un peu de sucre. Il ne m'avait pas mentis ! Ils sont délicieux. Dommage que personne à la résidence n'en mange au déjeuné... Un jour, je leur en apporterais, du moins j'aimerais. Ainsi, eux aussi verraient à quel point Raphael est doué pour les faire.

           Il s'assied sur la chaise en face de moi, croisant ses bras sur la table dans une allure décontractée. Il sourit en remarquant que la pile de pancakes avait déjà bien diminuée.

-J'arrive à temps on dirait. me dit-il avec un clin d'œil.

De toute façon, je n'aurais plus rien su manger ! Je suis loin d'avoir un estomac aussi gros que celui d'un ogre mais je trouve que je me suis surpassée cette fois. Pour une fois que j'ai un réel plaisir pour manger !

             Un bruit attira notre attention. Je ne sais exactement d'où il provient mais de toute évidence il ne vient pas de la maison. Je dirais plutôt de dehors. Une sorte de gros bruit sourd suivis de plusieurs plus mécanique. Raphael se lève et se dirige vers la fenêtre. Il écarte délicatement le store blanc avec ses doigts afin de voir ce qu'il se passe dans la rue.

-Tiens, nous allons avoir de nouveaux voisins ! s'exclame-t-il en revenant vers moi, lâchant le store qui reprend sa forme initiale tel un ressort. Nous irons leur dire bonjour d'accord ? Ainsi, s'ils ont besoin d'un coup de main, nous pourront toujours nous rendre utile. continue-t-il.

J'acquiesce d'un geste de la tête trop occupée à m'essuyer la bouche de ma serviette. Il attrape un pancakes de sa fourchette avant de l'amener à son assiette mais créant au passage de petites traces de sucres sur la table. J'ai oublié de lui dire que j'avais préalablement sucré celui du haut au cas où j'aurais encore faim. Il observe la trainée de sucre intensément sans rien dire avant de sortir un mouchoir de sa poche pour l'effacer aussitôt.

-Nous irons juste après le déjeuner. dit-il satisfait de retrouver une table propre.

         Je monte m'habiller pendant que Raphael fait la vaisselle. De la mezzanine, je l'observe les laver. Ce n'est pas vraiment passionnant habituellement, mais ici il ne s'agit pas du commun des mortels en train de faire des tâches ménagères. Non, ici on parle de Raphael qui, et ce n'est plus à prouver, est un réel maniaque de l'hygiène. Je l'observe donc nettoyer les assiettes à l'eau dans un premier temps, puis les désinfecter avec un spray et une lingette à usage unique avant de les emballer dans un sachet plastique. Voilà donc l'explication pour cette poêle encore emballée. Mais bon, le bon côté des choses c'est que je ne risque pas de tomber malade dans un environnement aussi aseptisé.  

-Prête ? me lance-t-il alors que je descends les escaliers.

A nouveau, je hoche la tête mais cette fois-ci en l'accompagnant d'un sourire. Le temps est assez gris dehors, l'automne ne doit plus être très loin maintenant. Raphael décide donc de me passer son écharpe autour du cou afin que je ne prenne pas froid. Il faut dire qu'il est assez protecteur avec moi, je ne vois pas ce qu'il pourrait m'arriver tant il fait preuve de vigilance. Ainsi, il ne regarde pas une fois ni deux fois avant de traverser mais cinq fois avant d'enfin franchir le pas.

            Nous arrivons chez nos voisins, à ma grande surprise, il n'y a qu'un carton devant l'entrée. La porte étant ouverte, nous entrons prudemment tout en signalant notre présence.

-Il y a quelqu'un ? demande Raphael marchant derrière moi tout en me tenant les épaules comme si j'allais me sauver. Nous sommes les voisins d'en face... Ohé ?

Finalement, une voix se fait entendre un peu étouffée provenant de l'étage. Puis des pas précipité avant de voir surgir une femme d'un certain âge en provenance de la pièce d'à côté. Je manque de tomber à la renverse en la voyant. Elle déploie un large sourire enchanteur en nous voyant, joignant ses mains comme trop heureuse face à la situation.

-Bonjour ! s'exclame-t-elle plissant un peu plus les pattes d'oie au coin de ses yeux.

-Nous sommes les voisins d'en face, je suis Raphael et voici ma fille Sarah. commence-t-il avant de se faire interrompre par la vieille dame.

-Comme c'est gentil d'être passé ! Entrez ! se réjouit-elle en nous faisant signe d'entrer.

A petit pas, elle se dirige vers le canapé le plus proche nous laissant le plus grand pour Raphael et moi. Heureusement que je peux enfin m'assoir ! Je vais vraiment finir par faire un malaise avec ces surprises !

-Je m'appelle Brenda Mrutenga ! Et ma petite nièce vit avec moi... Je crois qu'elle est dans sa chambre. Nous étions avant dans un endroit très restreint alors ça la change d'avoir autant d'espace rien que pour elle !

Je fronce un sourcil, elle parle bien entendu de la résidence. Mais étais ce vraiment nécessaire ?

-Je peux vous servir quelque chose peut-être ? demande-t-elle sans jamais atténuer son sourire.

-Volontiers, mais nous sommes surtout venu pour vous aider à tout ranger.

-Oh ! C'est vraiment gentil de votre part mon garçon ! Mais je n'ai pas beaucoup d'affaires personnelles... En une heure à peine tout était déjà rangé.

Elle s'éclipse un instant afin de préparer du thé. Je la suis prétextant vouloir l'aider ce qui semble faire grand plaisir à Raphael qui me regarde fièrement. Arrivée hors d'atteinte de l'ouïe de Raphael, je me permets donc de parler un peu à Brenda:

-Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ?

Elle me glisse un clin d'œil.

-Tu ne me trouves pas convaincante en grand-mère ? Lui oui en tout cas. dit-elle en regardant vers Raphael.

-Mais tout le monde va se douter de quelque chose ! En plus, Sonia ne te ressemble pas !  dis-je en essayant de parler le plus bas possible afin de ne pas attirer l'attention.

-C'est la seule façon pour moi de veiller sur toi. Personne ne se méfiera d'une grand-mère insignifiante.

Elle sort la théière du feu pour en verser le contenu dans des tasses.

-Comment tu as fait pour sortir ? Les gens doivent être à ta recherche.

-Ca, c'est le cadet de mes soucis.

-Alors pour toi tout va bien ? dis-je sans aucune conviction.

-Non, il y a bien un truc qui m'ennuie. dit-elle en mettant les tasses sur un plateau argenté. Je sais qu'il t'a expliqué tout, ce qu'il va t'arriver, ce qu'il m'est arrivé. Et je crois savoir ce qu'il lui manque pour se réincarner. Le petit truc qu'il te reste avant de tout perdre.

Je la regarde dubitative.

-Et de quoi s'agit-il ?

Elle ne me répond pas, elle emporte le plateau, souriante, jusqu'à la table basse. Elle le dépose délicatement devant Raphael qui se saisit d'une tasse. Je les regarde de loin, ne sachant pas quoi faire. Je la regarde lui présenter les sachets de thé sans vraiment comprendre ce qu'elle a voulu me dire sans vraiment me le dire.

-J'espère qu'il vous plaira ! dit-elle.

-Ne vous en faites pas, lui répond-t-il, je fais toujours tout comme si c'était la dernière fois que je pourrais le faire. Je vais donc savourer ce thé fait avec amour comme si c'était la dernière chose qu'il me restait.

Brenda se retourne vers moi avant d'ajouter de sa voix chantante:

-Tu ne viens pas t'assoir ma petite ?

Voilà, maintenant j'ai compris.