Partie 17: White

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                Nous retrouvons bientôt la forêt d'arbres dénudées qui m'est beaucoup plus familière que les bulles éternelles.

-C'est ici que je suis arrivée la première fois.

-Pas tout à fait, mais oui c'était la même zone.

-Il y a beaucoup de zone ?

-Si on veut, mais elles ne sont pas toutes comme celles-ci.

-En tout cas, tout est vide ici.

-Oui, c'est l'exact opposé du monde des vivants.

-Tu dis ça avec tellement de sérénité.

-L'absence de choses ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus.

-C'est quoi qui t'inquiète le plus ?

-Je ne m'inquiète pas.

-En tout cas je te trouve sympathique.

-Merci. Mais tu sais j'ai du mal avec les sentiments. J'en ai mais pas aussi bien développé que les tiens.

Les arbres se font de plus en plus denses formant presque une barrière de branches infranchissables.

-Nous ne saurons jamais passer !

-Si, c'est la preuve que nous approchons. Le cœur est bien protégé.

Sans que je ne lui donne mon consentement, il me soulève de ses longs bras fins, beaucoup trop longs d'ailleurs, laissant entendre de légers craquements. Il m'enveloppe, faisant plusieurs tours de ses bras autour de mon petit corps ce qui crée une armure solide recouvrant la quasi-totalité de mon corps. Je ne me souviens plus si, lors de ma précédente venue, il avait utilisé le même stratagème. Mais une chose est sûre, je ne sais plus articuler aucun mots. Je me rends compte par la même occasion, sa peau étant proche de mes narines, qu'il sent un mélange de mer salée et d'herbe coupée.

-Nous allons traverser. me dit-il.

Puis, en penchant légèrement la tête, il traverse l'épaisse cloison de bois. Toutes les branches se recourbent sur notre passage. Je comprends alors l'utilité de cette protection. Tout semble aussi acéré que des dents de scies. J'en aurais été griffée de partout.

-Nous y sommes.

Il me libère délicatement et mes pieds frôlent le sol froid et blanc. Nous sommes dans cette salle, celle dans laquelle j'ai vu cet être étrange pour la toute première fois. Le commencement de toute une aventure sordide et effrayante. L'endroit est vaste, blanc et vide. Il n'y a rien mis à part Kinai et moi. Je ne vois même pas les limites de cet espace grandiose. Ni l'épais manteau de branches que nous venons pourtant de traverser. Alors qu'il est là, se fondant dans la blancheur tel un caméléon. Seule, jamais je ne pourrais trouver la sortie dans ce labyrinthe de vide. Tout dans ce monde est tellement différent de ce que je connais du monde des vivants. Ici, il a une absence de chose alors que le monde dans lequel je réside est maculé de détails.

-Kinai, il n'y a rien ici.

-Au contraire, c'est ici qu'il y a tout.

Je le regarde perplexe. Il me regarde à son tour de ses petits yeux clairs. Le noir de sa chaire contraste violement avec la pièce.

-Mais comment peut-il y avoir tout s'il n'y a rien de visible ?

-C'est exactement ça.

Cette réponse ne répond pas à ma question mais elle fait germer en moi une idée : et si, il ne fallait pas voir avec ses yeux mais autrement.

-Kinai, est-ce que ce qui se trouve ici est visible autrement ?

-Oui, ce lieu change toujours de forme en fonction de celui qui le regarde.

-Alors comment voir la vérité ?

-Il n'y a de vérité que s'il pourrait y avoir un mensonge mais tout ici est réel.

Il ne m'aide vraiment pas. J'avance de quelques pas puis une ombre passe juste en-dessous de moi avant de s'étendre face à moi. Je pense au début qu'il pourrait s'agir de mon ombre ou de celle de Kinai mais c'est impossible car la lumière est diffuse et uniforme, il ne peut donc pas y avoir d'ombre. Celle-ci se rassemble progressivement avant de prendre la forme d'un cerf aux yeux verts.

-Pourquoi un cerf ?

-Et pourquoi pas ? répond Kinai en s'inclinant devant le dit cerf.

Puis il semble se draper dans blanc avant de disparaitre progressivement dans le décor. Il a disparu dans l'immensité de tout et de rien. Le cerf se rapproche de moi lentement et avec beaucoup de grâce. Je pose ma main sur son museau, il est chaud et fait de velours. Le genre de cerf qu'on ne voit qu'en rêve ou dans les contes. Inutile de dire qu'il est blanc lui aussi. Mais le fait qu'il soit en relief permet de le distinguer parfaitement.

-Mais où est-ce que je suis... dis-je sans vraiment poser la question.

D'ailleurs, l'entité ne me répond pas. Il me regarde avec ses grands yeux d'émeraudes se laissant caresser. J'ai du mal à penser qu'il s'agisse de ce petit garçon, de cette femme, de ce métamorphe magicien qui m'est apparu mainte fois mais jamais sous la forme d'un animal aussi majestueux. Je perçois alors sa dimension royale, presque divine. Ses bois sont semblable à de l'os au touché et sertis par endroit de pierres précieuses. Un rien d'excentricité subtile.

-Qu'est ce qui te tourmente ? me dit-il finalement sans avoir ne fusse que bouger les babines comme par télépathie.

-Je ne sais pas...je suis perdue....

Je me mets à pleurer silencieusement, toute la pression que j'ai accumulé ces derniers temps semble sortir de moi tel un volcan en éruption.

-Je n'ai personne près de moi, j'ai tué les seules personnes qui m'aimaient, Brenda me fait peur et me parait aussi folle que Sonia. Je ... Je sais pas ! Y a rien qui va ! Ce serait tellement plus simple si tout ne s'était jamais passé !

-Tu regardes à tes côtés mais tu ne vois pas ce qui pourtant est en face de toi Sarah.

Sa voix est sereine et calme mais je sens comme un arrière son moralisateur.

-Tu vois ce que tu perds et non ce que tu gagnes. Ne te fais pas submerger par ton malheur car il masque le bonheur qui n'est pourtant pas si loin.

-C'est facile à dire... Vous n'êtes pas dans ma situation.

-Ne juge jamais quelqu'un sans connaitre par où il est passé Sarah. Ce que j'ai voulu dire, c'est que tu es bien loin d'être seule. Des personnes telles que la petite Maileen ou moi-même sommes là pour toi. Même si nous ne sommes pas toujours à te tenir la main, nous sommes toujours là quand cela va mal.

Je sèche mes larmes après de telles paroles rassurantes.

-Pourquoi êtes-vous si gentil avec moi ?

-Parce que je t'apprécie.

J'ai l'impression que c'est trop beau pour être vrai. Alors que Kinai se plierait en quatre tant il craint son maitre, moi je le vois ramper sous une tonne de gentillesse à mes pieds.

-Est-ce que cela à un rapport avec le plan ?

-Ne pense pas à cela maintenant, je te le dirais quand tu seras prête mais tu n'es visiblement pas prête pour cela. Apprend à me faire confiance et à te faire confiance. Mais patience, un jour tu sauras.




Névrose humaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant