– Bonsoir, Belle !– Bonsoir, Monsieur, saluais-je le libraire.
– J'ai reçu un nouveau roman aujourd'hui. Il est rangé dans le rayon fantastique.
Je le remerciais, et fonçais dans le rayon en question. Du bout des doigts, je frôlais le dos des livres poussiéreux qui traînaient ici. Ma vie se résumait dans ces pages jaunies et ces mots pour la plupart incompris par les habitants de ce village. Je devais probablement être la seule villageoise à connaître l'existence de cette librairie. Le vieillard qui la tenait était presque devenu un membre de la famille, je passais le plus clair de mon temps ici et il me laissait même les clés lorsqu'il devait fermer avant l'heure. Beastown n'était pas connu pour être un village d'érudits, néanmoins, en emménageant ici, je ne m'attendais pas à tomber sur des habitants auxquels le mot livre n'évoquait que du péjoratif, du travail en plus et un dégoût profond. Mes rêves m'animaient, sans eux je ne serais rien, et ces gens, si incultes, ne rêvaient que de richesse et de gloire. Alors que je rêvais de vivre une histoire d'amour hors du commun et d'être heureuse, certains rêvaient de quitter cette terre pour s'envoler vers un territoire meilleur, où ils pourraient vivre sous la lumière des projecteurs. Ici, seules l'ombre et l'obscurité régnaient. La forêt qui bordait notre village le plongeait dans la nuit totale. Ses bois, effrayants, étaient synonymes de peur et d'abandon. Ils avaient été le centre de bon nombre d'enquêtes liées à des assassinats et à des meurtres mystérieux. Chaque matin, et chaque soir, lorsque je la longeais pour rentrer chez moi, la lune haute dans le ciel éclairait mon passage, et un hurlement sauvage déchirait le silence pesant de Beastown.
Mes doigts s'arrêtèrent sur un livre bleu roi, dont le titre était écrit en fil d'or. Je ne le connaissais pas celui-là. Lentement, je le tirais vers moi, et découvris une couverture époustouflante, au style des vieux grimoires. Une rose était dessinée sur le devant, une rose dont les pétales étaient presque tous tombés. Quatre pétales étaient étendus sur le bas du livre, j'aurai presque cru qu'en l'ouvrant ils tomberaient à mes pieds. Délicatement, je l'ouvrais, et découvris des pages jaunies par le temps, et une écriture rendue baveuse par l'humidité. Ce livre avait été écrit à la main. Les pages biscornues étaient fines et l'épaisseur du bouquin me laissa présager un week-end entier de lecture. Néanmoins, j'en fus réjouie. Ma vie monotone était rythmée par ces pages, ces mots, ces heures de lecture. J'aimais lire, j'aimais apprendre, j'aimais transmettre. Si on ne me prenait pas pour une névrosée, peut-être aurais-je pu enseigner la lecture aux enfants du village. Cependant, ma réputation ne me permettait pas un tel rôle. Belle voyait des ombres, elle aimait lire, elle rêvait d'amour. Pour les habitants, je me résumais à ces trois faits.
Le livre encore dans les mains, je le déposais dans mon panier d'osier, et me rendis vers la sortie. Le libraire était debout sur son échelle, et remettait en place les quelques livres que je lui avais rendus. J'attrapais ma cape bleue que j'avais suspendue à mon arrivée, et la glissais sur mes épaules.
– As-tu trouvé ton bonheur, Belle ?
Je lui montrais le bouquin, et sa mine se renfrogna. Il descendit de son échelle, épousseta son pantalon de velours marron et passa derrière le comptoir.
– Où l'as-tu trouvé ?
– Dans le rayon fantastique. Ce n'était pas de ce livre dont vous me parliez ?
Il secoua la tête, et ouvrit son cahier d'emprunt.
– Non. Ce livre m'a été offert par un habitant qui quittait le village. Ce livre aurait été source de visions et de disparitions. Il avait l'impression de devenir fou.
Je me crispais, et regardais à nouveau le livre. Les pétales semblaient briller, et mon regard fut à nouveau captivé par cette fleur si réelle.
– De quoi parle-t-il ?
– Je n'en ai aucune idée, avouais-je, il n'y a pas de résumé. Mais il est écrit à la main. Puis-je l'emprunter ?
– J'espère que ce villageois s'est trompé, Belle. Donne-le-moi, que je note sa cote.
Je lui tendis, et il le regarda sous toutes les coutures.
– Tu m'en diras des nouvelles.
– Merci, Monsieur. Bonne soirée.
– Bonne soirée, Belle. Fais attention en rentrant.
Je le saluais d'un signe de la main et poussais la porte en bois brut de la librairie. L'air frais frappa mon visage, et je posais ma capuche sur ma tête. Le ciel était noir, les étoiles brillaient et la lune régnait. Elle était pleine, et je restais quelques minutes à l'observer.
Je ne perdis pas plus de temps et me mis en route. Je longeais la forêt, la tête dans les nuages. Je m'imaginais déjà assise sur mon fauteuil, la cheminée allumée et un livre dans les mains. Un bruit attira mon attention, et je me tournais vers la forêt. Le vent soufflait et les branches ballottées sifflaient. Les feuilles s'envolaient et je me cachais dans ma capuche pour ne pas recevoir de terre dans les yeux. Le vent calmé, je baissais ma capuche et regardais entre les arbres. Des ombres bougeaient, et j'eus presque envie d'appeler les villageois pour qu'ils voient que je n'étais pas folle. Elles étaient là, ces ombres. Elles bougeaient en groupe. Chaque soir, elles avançaient, elles se rapprochaient. La différence se faisait les soirs de pleine lune, comme ce soir. Ces soirs-là, une ombre de plus se rajoutait au troupeau. Elle était plus grosse, plus intimidante, plus imposante. Je reculais, effrayée, et je me pris les pieds dans ma cape qui pendait derrière moi. Je tombais sur le sol, mon panier se renversa et le livre glissa un peu plus loin. La lumière lunaire se refléta sur la rose qui brilla de mille feux. Terrifiée, je me relevais et ramassais mon panier. Le temps semblait s'être arrêté, le vent s'était tari, et une goutte de sueur glissa le long de mon dos. J'attrapais le livre, époussetais ma robe, et m'apprêtais à repartir, prête à m'éloigner de cette forêt terrifiante. Mais quelque chose me tint en haleine, j'eus le besoin terrible d'y jeter un dernier regard. Deux points colorés me fixaient, se mouvaient au rythme de mes pas, me suivaient dans chacun de mes gestes. Deux yeux bleus me dévoraient, m'engloutissaient, me consumaient. Et en une seconde, ils disparurent. J'expirais, je rejetais le souffle que j'avais gardé pendant de longues secondes. Angoissée, je pressais le pas, ayant hâte de rentrer chez moi, et d'oublier ce passage fiévreux.
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Beastly Beauty
WerewolfDans un village perdu en forêt, une jeune fille avide de connaissance réside. Dans la forêt sombre qui le borde, une bête menace. Des dents acérées, un poil sombre et soyeux qui brille sous la pleine lune et un cœur de pierre. Des yeux verts brill...