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    12 décembre et il est midi douze.

    Je m'ennuie franchement pour remarquer ce genre de détails. Jouant du bout de ma fourchette dans la brandade de morue de la cantine, j'imagine tous les endroits où je préférais être en ce moment même, plutôt qu'ici, au milieu de tous ces élèves qui soit son inintéressants soit me trouve inintéressante. Soit les deux.

    Qu'est-ce que je donnerais pour être sur une plage au soleil, une noix de coco à côté de mon transat et les doux rayons du soleil me réchauffant doucement la peau !

    Ou alors au sommet du mont Fuji, admirant les paysages nippons après une ascension épuisante.

    Ou encore dans l'espace, loin de Garance, des mioches qui chantent faux et de mes malheurs.

     Ou même à la maison de retraite avec Madeleine.

     Mais oui ! Eurêka ! C'est cela évidemment !

     J'avale le reste de mon repas en vitesse, me lève brusquement pour débarrasser et vais aux casiers chercher mon sac. Le jetant sur mon épaule, je me rends à l'infirmerie et simule un mal de ventre insoutenable :

    « Je suis vraiment au bout de ma vie madame, c'est comme si on avait lancé la troisième bombe atomique dans mon estomac... Et puis j'ai mal sur le côté aussi... Si je n'avais pas déjà eu l'appendicite, j'aurais pensé que c'en était une aiguë !

    — Tu veux que je te renvoie chez toi Héloïse ? s'inquiète l'infirmière.

    — Oui, je pense qu'il vaut mieux. »

    Je suis donc de retour à l'orphelinat quelques dizaines de minutes plus tard. Le père Abdel est venu me chercher dans sa Twingo violette.

    Mais à peine m'a-t-il laissé dans ma chambre avec une tasse d'eau chaude que j'ouvre la fenêtre et saute dans l'arbre qui se trouve à côté.

    Et ouais, comme dans les films !

    Je glisse le long du tronc et cours jusqu'à la maison de retraite. Mais hors de question de me faire repérer là-bas : j'entre par la porte de service et me déplace de couloir en couloir, évitant de croiser qui que ce soit. J'arrive finalement à la chambre de Madeleine où j'entre sans toquer :

    « Héloïse ! s'exclame-t-elle en me voyant. Alors ça pour une surprise !

    — Bonjour Madeleine, je ne vous dérange pas ?

    — Absolument pas ! Mais dis-moi, tu n'as pas cours en ce moment ?

    — Hm non, je suis en train de mourir de maux de ventre dans ma chambre, je lui réponds avec un clin d'œil. »

     Elle se met à rire puis poursuit :

     « Et pourquoi as-tu fui l'école ? Tu sais qu'il y a des gens qui meurent d'envie d'être à ta place !

     — Oh ça j'en doute fort ! je m'exclame, me laissant aller au lyrisme.

     — Que veux-tu dire Héloïse, tu n'es pas heureuse ? »

    Ma mine se renfrogne.

    « Pas vraiment, non. Mes parents sont morts dans un accident de voiture quand j'étais petite, je me retrouve un peu comme Rémi sans famille, vous voyez ? Et puis maintenant, tout le monde me prend pour une gothique rebelle qui habite avec les frères façon Marcelino. Bref, ajoutez à cela mes différents constants avec Garance, la fille parfaite d'un riche couple parfait qui habitent une maison parfaite avec un petit chien parfait et même des domestiques parfaits. Mais je ne sais même pas pourquoi je vous raconte tout ça en fait... »

    Sentant les larmes me monter aux yeux, je quitte la pièce en courant et ne m'arrête que lorsque je rentre dans le ventre rebondi de Frère Emmanuel.

    Quelle vie pourrie tout de même.

Faut pas pousser Mémé dans le SapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant