02/12

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    Tous les Noëls, la paroisse organise un spectacle de fin d'année. Les plus petits, encadrés par les plus grands, chantent des chansons ringardes, le tout dans des costumes débiles avec une chorégraphie moisie. Bref, vous avez peut-être eu vous aussi la malchance d'assister à ce genre de spectacles, ou pire : d'en faire partie. À la fin, il y a un buffet comme ça tout le monde est content, même les parents blasés qui sont venus là par obligation.

    L'année dernière j'étais en charge de la bouffe et je dois vous avouer que ça s'était révélé beaucoup plus amusant que prévu : j'avais fait des canulars gastronomiques à tout le monde, insérant des bonbons dans les petits fours, cachant du saucisson sous le foie gras ou agitant la bouteille de coca avant de la tendre à Garance qui devait l'ouvrir. Sa « robe en dentelle achetée chez un tailleur anglais » par son cher papounet s'en était trouvée ruinée. Oups !

    Cependant cette année, le sort n'est vraiment pas être avec moi. Je dois préparer les petits au chant. Et en plus avec Romaric. Mais quelle idée j'ai eu d'accepter de participer à tout ce bazar, mais quelle idée !

    Romaric arrive tout sourire, un paquet de feuilles à la main :

    « Le Père Abdel m'a donné les partitions du spectacle de cette année, ça m'a l'air génial ! Et en plus ça montre que la paix de Dieu est la plus forte !

    — Laisse-moi deviner la trame de l'histoire : la naissance de Jésus, sauveur de l'humanité ?

    — Et non ! Plus beau, plus grand, plus pacifique ! Ils ont décidé de faire dans l'original cette année !

    — Non tu rigoles ? je m'étrangle. »

    Aurions-nous droit pour la première fois à un vrai spectacle ? Écrit par un véritable compositeur dans le véritable but de divertir les gens ? Avec de la vraie musique ? Et de vraies chorégraphies ? (Oui je délire un peu mais on a tous le droit de rêver !)

    « Et non ! Cette année le spectacle porte sur Moïse, l'Exode et toute son histoire ! » s'exclame-t-il fièrement.

     Si la déception devait avoir un visage, ce serait probablement le mien en ce moment même : Moïse ? Sérieusement ? C'est ça l'"idée originale" ?

    « Bah quoi, tu n'as pas l'air ravie Hélo ? »

    Punaise je hais ce surnom.

    « Quelque chose ne va pas ? Tu aurais préféré qu'on garde la naissance de Jésus ?

    — Surtout pas ! je me reprends. »

    À choisir, je préfère me taper un nouveau spectacle chiant plutôt que le même spectacle chiant.

    « Super ! Alors on peut tout de suite rassembler les enfants ! »

    Romaric monte sur la scène, se faufile dans l'arrière salle et ressort avec un gong sur lequel il tape de toutes ses forces. L'effet est immédiat, tous les gosses s'arrêtent de courir partout dans la salle des spectacles (parce qu'on ne peut pas répéter dans la chapelle, il y a une cérémonie aujourd'hui). Ah enfin un peu de silence, ça fait pas de mal des fois. Il prend la parole :

    « Mes chers petits, comme vous le savez vous...

    — Allez devoir chanter des chansons idiotes devant les parents pendant 45 minutes, je le coupe (comme ça au moins c'est dit)

    — Mais Héli voyons soigne ton langage! Si tout le monde se parlait correctement on n'aurait pas Daesh et tout ce beau monde à gérer ! Et la paix régnerait dans le monde !

    — Alors de un je m'appelle Héloïse, pas Hélo ou Héli ou je ne sais quoi, et de deux on s'en fout de ta paix dans le monde !

    — C'est parce que tout le monde pense comme toi qu'on n'arrive pas à faire avancer les choses...

    — Ah oui ? Vraiment ? C'est vrai que si toutes les ados se mettaient à parler comme au XVIIIe siècle et s'habillaient comme sainte Marie-Thérèse ça arrêterait tous les terroristes ! Tu as raison Romaric, je vais aller le dire à tout le monde ! Plus vite ce sera fait, plus vite nous pourrons nous mettre à notre spectacle de fin d'année dans le meilleur des mondes possible et imaginable ! »

    Romaric ouvre déjà la bouche pour me répondre, mais un fracas assourdissant nous fait sursauter : les enfants ont profité de notre dispute pour retourner s'amuser et l'un d'eux vient de faire tomber l'un des projecteurs de la salle :

    « Oh non pas ça... je soupire. »

     Devinez qui entre à ce moment-là dans la salle ? Le père Abdel, probablement attiré par le raffut... On va passer un mauvais quart d'heure je vous le dis... Vive l'Avent !

Faut pas pousser Mémé dans le SapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant