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    « Tu as envie d'y aller toi ? » je demande à mon reflet.

    Je l'observe, dans la petite glace de ma modeste chambre d'orphelinat. Mes cheveux noirs coupés en carré sont gras et j'ai deux immenses valises sous les yeux ; tout ça à cause de la dispute d'hier. Ça m'a travaillée toute la nuit, résultat je n'ai pas beaucoup dormi...

    J'enfile un immense pull en laine gris difforme, un jean et mes Converse, puis tente d'arranger ma coiffure. Finalement, voyant que rien n'y fait, je fouille dans un placard afin de trouver mon bonnet et de l'enfoncer sur ma tête. Voilà, génial, je suis fin prête à aller m'occuper des petits avec Romaric !

    « Non, absolument pas. » je me réponds. « Mais tu n'as pas le choix Héloïse, tu t'es engagée à faire quelque chose, tu dois le faire jusqu'au bout. »

    Lasse, je me lève et sors de ma chambre direction la maison paroissiale, juste à côté de l'internat. Aujourd'hui, c'est bricolage de Noël ! Les petits vont fabriquer d'horribles cartes pour les prisonniers et d'autres que nous devront vendre au marché de Noël, arnaquant totalement les quelques ploucs qui vont nous en acheter. Mais bon, business is business !

    Romaric est déjà assis avec les gamins autour d'une table quand j'arrive. Il ne daigne même pas me lancer un regard, alors que les petits me font coucou et que l'une d'eux, Johanna, vient me sauter dessus :

    « Héloïse ! s'exclame-t-elle joyeusement.

    — Johanna ! je réplique sur le même ton. »

    Pitié, faîtes qu'elle dégage vite !

    « Romaric il a dit bah que t'étais une méchante et que tu ne viendrais pas aujourd'hui et que du coup bah on devait faire le bricolage sans toi ! » rapporte-t-elle.

    Le concerné vire rouge pivoine et trouve soudainement un énorme intérêt à sa feuille Canson jaune. Tiens, et si je le taquinais un peu ?

    « Eh bah bravo ! Pour un mec qui veut la paix dans le monde, c'est super de monter les gosses contre moi ! Quel exemple tu leur donnes ! »

    Il ne répond pas, humectant nerveusement ses lèvres.

    « Mais bref, je m'en fous de toute façon de votre avis. Allez les morveux, on va faire des cartes pour les prisonniers !

    — Pourquoi on devrait faire des cartes pour les prisonniers ? Ce sont des méchants ! fait remarquer un petit nouveau. »

    Tous les autres soupirs : visiblement, je ne suis pas la seule que ça agace de réexpliquer chaque année pourquoi on doit faire ces foutues cartes. Même des gosses de sept ans trouvent ça fatiguant !

    C'est d'ailleurs Pétunia, ou Garance Jr. comme j'aime l'appeler, qui répond :

    « Parce que même s'ils sont en prisons, ce sont des êtres humains, et ils ont aussi droit à un Noël, comme chacun d'entre nous ! En plus, les cartes seront distribuées essentiellement à ceux qui fréquentent la chapelle, donc ceux qui se sont repentis. Et Dieu est miséridordieu...

    — Miséricordieux Pétunia, corrige Romaric. Miséricordieux.

    — Oui bon c'est pareil ! s'énerve-t-elle.

    — Wow wow wow Pétunia on va se calmer ! j'interviens.

    — Pff, Pétunia elle a pété, s'exclame l'un des gamins. »

    Et ça y est c'est reparti pour deux heures de braillements, de disputes, de batailles de feutres et de cris...

    Je déteste mon rôle.

    À la fin de l'atelier, il ne reste dans la pièce que Romaric et moi. Celui-ci semble gêné par ma présence et se hâte de ranger les cartons de cartes, évitant de croiser mon regard. Quel lâche ! Mais quand j'enfile mon écharpe et pousse la porte de la salle, il m'interpelle :

    « Héloïse attends ! »

    Je me retourne et le fixe avec un air désabusé :

    « Merci d'avoir calmé Pétunia tout de suite, bredouille-t-il.

    — Oh de rien, elle ressemble bien trop à Garance pour que je la laisse faire sa maligne. »

    Sur ces mots, je quitte la pièce.

Faut pas pousser Mémé dans le SapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant