neuf décembre

204 59 3
                                    


Dans le blanc de ses yeux, elle lut les pauvres envies qui périssaient au fond d'elle. Chanter, faire porter sa voix dans un autre univers ; bon sang qu'elle en rêvait. Le supermarché à quelques rues de chez elle vendait des sapins, grands, petits, blancs, verts. Les brins épars tombaient sur le trottoir, se laissant porter par le vent au travers des filets. Amaïde adorait voir les gens en acheter, se dire qu'ils allaient le décorer. Seulement, elle imaginait la biodiversité en prendre un coup... Tous ces beaux sapins.

Avec un H devant son prénom, Amaïde aurait signifié « barrière », sa propre haie, celle qui la sépare de son rêve. Elle marchait dans sa chambre, tournoyant entre les sous-vêtements tombés au sol, les pulls mal pliés traînant dans les coins. Il fallait ranger mais elle n'en avait absolument pas envie. Elle pensait à autre chose, à un carton qui l'attendait.

Quelque part au fond d'elle, ça la bouffait. Littéralement. Cette curiosité dévorante l'embrasait depuis quelques temps et déjà, elle avait du mal à s'y faire. Un carton, un mot, une surprise. Elle ne pensait plus à la source de ces curiosités. Amaïde préférait se concentrer sur son envie de découvrir les bienfaits d'un bout de carton. Ce sacré bout de papier brun recyclé.

Elle s'assit sur son lit, s'étira longuement. Puis se décida à l'ouvrir. 

Toutefois, elle eut un moment d'hésitation. Elle pensait à autre chose, à ce beau brun qu'elle croisait le long du couloir près de la salle de musique. Elle n'oserait jamais l'approcher, au risque de se brûler les ailes. À force de lire le mythe d'Icare, elle s'en inspirait comme modèle pour ne pas chuter des grandeurs de la passion. Amaïde pensait à lui car elle n'avait jamais croisé une beauté pareille. Elle ne l'avait jamais rencontré, ni vu, ni parlé. Jamais. Samuel lui apprit que c'était un jeune musicien qui venait présenter une formation musicale, qu'il chantait dans un groupe de variété, aux instrumentales aussi grandioses que les plus grands. La passion qu'Amaïde détenait, lui aussi la partageait. 

Elle en était heureuse et envieuse. Voire jalouse. Quelle chance. Si seulement elle pouvait dépasser la barrière du son, chanter à pleine gorge les symphonies de son cœur. D'un concerto à l'autre, elle scintillerait sous les projecteurs. Idyllique mais utopique, elle en rêvait.

Le carton du jour était décoré d'un sucre d'orge scotché à l'intérieur du premier pli. Elle le décolla et le posa dans un coin, prête à découvrir la suite, les yeux sillant chaque détail du paquet.

D'abord, une boule de cristal avec de la neige blanche qui saupoudrait un bonhomme de neige à la carotte pour nez et les maisons en pain d'épices. Une bougie à trois mèches, aussi chère qu'une paire de pantoufles. D'une main avide, elle s'empara du message. Seulement, c'était vide.

Rien. Aucune lettre de l'alphabet se codant dans un message habituel. Rien. Elle était déçue, les yeux vides de cette ardeur qu'elle recherchait. Pourquoi mettre un papier pour ne rien écrire dessus. Pourquoi lui donner des faux-espoirs pareils ? 

Amaïde se sentait incomprise. Elle adorait les cartons des jours passés, alors pourquoi ce jour-là, tout sonnait avec vide, ennui et incompréhension. La boule de cristal si mignonne devint fade et la bougie inutile. 

La métisse alluma les tiges de flammes, à la recherche d'indices. Puis, d'une voix claire, elle se mit à chantonner un air harmonieux. Elle avait la voix douce, presque inhabituelle. Elle chantait sourdement, approchant la flamme de la feuille.

24 fenêtres et un rêve Où les histoires vivent. Découvrez maintenant