premier décembre

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  Si l'on écoutait seulement, et qu'une légère voix murmurerait 《 devine où tu es!》, certains répondront certainement 《 Près d'une cascade, dans la forêt. D'autres affirmerons qu'ils sont sous la douche ou bien au beau milieu d'une rivière.

  En réalité, Amaïde et toute sa classe étaient, évidement, en classe, et par les fenêtres enbuées on pouvait entendre tomber des millions de litres par seconde sous un ciel presque noir.

  Amaïde  s'ennuyait tellement qu'elle aurait préféré compter chaque goutte qu'elle pouvait apercevoir, malgré leur rapidité plutôt que d'écouter la merveilleuse biographie de Maupassant. Elle n'avait rien contre lui, hein, mais sa vie, elle s'en fichait un peu.
Elle se demanda combien de temps mettaient ces petites choses d'eau pour descendre s'écraser contre le béton. Elle se promit d'y réfléchir; en dessinant sur sa main gauche une jolie goutellette rose. En attendant, la professeur la fixait d'un drôle de regard, sans pour autant lui reprocher quoi que ce soit. C'était toujours comme ça, les profs la laissait rêvasser étant donné qu'elle se debrouillait lors des examens. Et puis, cette jeune fille, qui paraissait si fragile, on aurait presque peur de la faire fondre en larme en lui adressant la parole.

  Amaïde était timide, et le monde lui envoyait alors  tous les stéréotypes qui vont avec. Et comme la brunette n'osait ni leur dire que non, elle n'était pas comme ça, ni leur montrer sa vraie personnalité, Amaïde passait aux vues de tous les lycéens comme la fille sage, dans sa bulle, ne s'intéressant à personne, ne s'intéressant pas au monde.

  Mais c'était faux. Il est vrai qu'elle n'aimait pas vraiment les cours, elle avait toujours hâte que ça se termine; il est vrai qu'elle restait toujours dans son coin, fourrée avec son ami Samuel; il est vrai que les trente autres membres de sa classe avaient très peu entendus le son de sa voix, une pourtant très belle voix. Mais bon, qu'est-ce qu'elle en pouvait?

  Nous étions le premier décembre, et il pleuvait des cordes. Pour la plupart des gens, c'était déprimant. Amaïde adorait l'hiver, les fêtes de fin d'année, les soirées au coin du feu, les couvetures moelleuses, l'odeur irrésistible du chocolat chaud, celle d'un manala sortant tout juste du four... et qu'est-ce qui accompagne parfaitement tout ça?  La neige. Mais cette année, on dirait que la météo n'a pas voulu être de la partie.

  La vie d'Amaïde n'était pas des plus faciles. Vous vous en doutez, lorsque la timidité est notre principal trait de caractère, on passe à côté de beaucoup de choses. Des fabuleuses après-midi entre amies, des garçons, des choses qu'on aime tout simplement; on se retrouve même à faire des choses qu'on aime pas, parce qu'on ne sait pas dire "non". On passe à côté de ses rêves, et Amaïde se déteste à cause de ça. Parce qu'à la limite, elle se débrouille avec Samuel, elle n'a pas forcément besoin d'autres personnes sur lesquelles compter, il arrive à la faire rire plus qu'une meilleure amie. Un garçon, elle en a fait l'expérience, mais bon, les gens en ont vite assez de ne pas comprendre les sentiments des autres puisque qu'ils ne les montrent pas.

  Mais son rêve, son rêve le plus cher, c'était la musique. La belle et douce musique, le piano, la guitare, le chant, tout, elle aime tout. Surtout cette sensation lorsque qu'elle joue, lorsque qu'elle se laisse bercer par seul le son de sa propre voix, cette sentation de ne plus être. De ne plus être cette fille aux longues jambes, maladroite, gauche, qui ne sait même pas parler correctement. De ne plus être la fille sans mère, mais seulement avec deux pères. Elle oublie qu'elle n'est pas comme tout le monde, et ça, ça lui fait du bien.
  Le problème, c'est qu'elle ne supporte plus d'être la seule au courant de sa passion. De devoir se cacher au lycée pour pouvoir se glisser dans la salle de musique. Mais elle ne peut le dire, même pas à sa famille, ni même à Samuel. Tout ça à cause d'une fille, qui a un jour affirmé qu'Amaïde voulait être mannequin; parce qu'elle est dotée d'un corps de déesse, de brindille se balançant au gré du vent. Et maintenant, tout le monde croit que c'est ça, son rêve. De défiler habillée de tissus dont le prix n'est même pas celui de toute sa garde-robe, de se battre pour être la plus maigre. Elle a horreur de ça, et d'ailleurs envie les filles plus formées qu'elle. Et puis, que diraient-ils, s'ils savaient que ce qu'elle souhaitait, c'était être au devant de la scène? À coup sûr, tous vont se moquer, puisque qui peut chanter devant des centaines de personnes lorsque l'on ose même pas demander un stylo à un camarade? Ils vont lui crier que c'est impossible, que son rêve de mannequin lui est beaucoup plus accessible.

  Mais lorsqu'elle rentra ce soir-là, une drôle de surprise l'attendait. À peine eut-elle poussée la porte d'entrée que son père, celui qu'elle appelle Pad, se posta devant elle.

- Qu'est-ce c'est que ça, Amaïde?

  La concernée, ne comprenant pas de quoi il l'accusait, suivit de ses yeux amandes le doigt du grand brun et découvrit quelque chose qui la cloua sur place. Elle s'approcha, sans un mot, des vingt-quatre boîtes en cartons posées les unes sur les autres. Elles étaient toutes de tailles différentes, de formes variées allant du simple cube au volume le plus indéfinissable. De magnifiques papiers les ornaient, du doré, du rouge et des rubans voletaient de tous les côtés. Mais ce qui surprit le plus l'adolescente, ce fut son nom sur chacun des présents.

- La poste vient de les apporter, repris son père. Alors, Amaïde, on a un nouveau copain? Qui peut donc t'envoyer tout cela?

- Aucune idée, murmura la jeune fille, incrédule.

☆☆☆

  Assise en tailleur sur le tapis rouge de sa chambre, Amaïde retroussa les manches trop grandes de son pyjama "Rênes". En montant les cartons (en quatre fois, parce que vous vous imaginez bien que porter vingt-quatre boîtes dans les escaliers, et bien, ce n'est pas si facile. Vous n'aurez qu'à essayer pour voir), elle avait observé qu'ils étaient numérotés. Elle en conclut, avec un peu de magie en tête, que c'était un calendrier de l'Avent. Et ça, c'était nouveau pour elle. En plus de cet évènement peu attendu, Amaïde et ses pères n'ont pas pu récupérer ne serait-ce qu'une petite information sur le mystérieux expéditeur.

  Avant d'ouvrir le premier paquet, elle s'était posée une foule de questions. N'y a-t-il pas erreur? Et si c'était une blague? Enfin, une blague vraiment bien travaillée dans ce cas!

  Et comme le seul moyen d'avoir la réponse à sa question était de déballer le premier paquet, elle détacha, le cœur battant, le papier garni d'étoiles argentées de la boîte rectangulaire.

  Enfin, elle baissa les yeux, et y découvrit un petit cahier. Un carnet, noir, n'ayant comme seul détail l'inscription " les sons du monde ". Curieuse et à la fois heureuse par ce cadeau, elle tourna la couverture en un sourire pour découvrir les pages de ce petit trésor. Des partitions; vierges, oui, mais des partitions tout de même. Serait-ce un hasard?

La réponse parut évidente lorsqu'elle lut la première page. Une écriture ronde, à l'encre noire, racontait le message suivant:

Amaïde,

Tu as découvert ton calendrier, pour le moins original! Beaucoup de questions doivent te traverser l'esprit; mais laisse-moi te dire seulement ces choses: peu importe ce que tu penses de toi-même, peu importe les étiquettes que les autres ont pu t'attribuer parce que tu les a laissés faire, en fait, rien n'importe; parce que tes 24 cadeaux sont là pour te pousser à réaliser ton rêve. Allez, je te laisse composer dans cette petite chose ;)

Émue mais à la fois terriblement embêtée que l'on connaisse sa passion secrète, Amaïde pleura, laissant divaguer les gouttelettes d'eau effaçant l'écriture inconnue.

Elle se rappella alors de ce qu'elle devait chercher, regarda sa main gauche ou la goutellette d'eau rose était toujours dessinée; et puis elle rit, et puis elle était heureuse.

                              RosePinkRose

24 fenêtres et un rêve Où les histoires vivent. Découvrez maintenant