Ne me laisse pas tomber

5. Adrien

Média: Rachel Anderson.

Deuxième fin de journée en communauté.

Ma mère nous sert à tous les trois des pâtes cuites à la va-vite et un steak haché grillé devenu noir. Le téléphone calé entre son épaule et sa joue, elle a l'air pressée. Je suis sûr qu'elle téléphone encore à "Dounia". Je crois que c'est un genre de nom de chien un peu bizarre.
- Oui oui, attends je sers les enfants en même temps alors c'est compliqué... tu me disais quoi ? Le chien de ta nièce a eu des chiots ?! Mais c'est merveilleux, ça !
Je me demande soudain qu'elle tête elle ferait si elle apprenait que j'ai fait une tentative de suicide, hier. Mmh... mieux vaut de pas lui dire et préserver sa santé déjà fragile. J'ai deux sœurs: Emma, dix ans, et Rachel, dix-neuf ans. Elle a deux années de plus que moi, et elle ne s'est toujours pas résolue à quitter la maison. Elle glande, en pensant que c'est un métier. Et ce soir, elle n'a pas l'air décidée à se joindre à nous.
- Désolée la famille, minaude-t'elle en se levant du canapé, ce soir je suis invitée chez Éric.
Ma mère l'écoute à peine, elle se contente seulement de répondre par des "ah, c'est bien", tandis que Rachel en rajoute juste pour la tester:
- Il y aura de l'alcool et de la drogue. Je lui ai promis de fumer ma première cigarette ce soir. Je rentrerai peut-être demain après-midi, suivant le planning de cette nuit...
Il y a pleins de sous-entendus dans sa voix, et je jette un coup d'œil à Emma qui est morte de rire.
- Ok, ne rentre pas trop tard alors, lui conseille ma mère qui est toujours en grande conversation.
Rachel enfile rapidement une veste noire, toujours dans le style gothique, et s'apprête à sortir lorsque je lui lance:
- Je pourrais te laisser ma part de steak cramé ? Je suis végétarien.
Bien entendu, elle éclate de rire. Emma fixe mon assiette avec envie.
- Et depuis quand ?
- Depuis ce matin. Manger de la viande est la pire chose à faire si on veut rester en vie, tu sais ? Et, bizarrement, j'ai envie de rester en vie.
- T'es chelou, toi. Tu la donneras à Emma. Moi j'aurai pas faim de toute façon. Avec la dose d'alcool que j'aurais dans le ventre !
Sur cette dernière parole, elle nous envoie un bisou d'un geste de la main avant de s'envoler par la porte. Je pousse un soupir et avale mes pâtes en trente trois secondes à peine. Lorsque ma mère daigne enfin passer à table, je décide d'entamer la conversation en demandant à ma chère sœur ce qu'elle a fait durant cette belle journée ensoleillée...
- Je me suis fait chier toute la journée.
Elle parle de plus en plus mal, en ce moment. Peut-être pour se faire enfin remarquer par Maman. Mais rien n'est moins sûr.
- Emma, dit simplement ma mère qui était pourtant bien partie, et toi Adrien, ta journée ?
- Super.
Et puis je sors de table, comme à chaque fin de repas. Je ne cherche pas vraiment le dialogue avec ma mère. Ça ne sert plus à rien depuis que Papa est parti. Elle croit que c'est de sa faute si tout va de travers dans cette famille, mais elle pense aussi être à fond dans son rôle de mère, alors mieux vaut ne pas trop lui faire confiance. Je file dans ma chambre, puis je tourne en rond. J'ai un soudain besoin de faire quelque chose, comme si j'étais victime d'une crise d'hyperactivité. Je croise mon reflet dans le miroir, et je me dis que je ne suis pas si mal que ça, que je pourrais jouer sans problème dans The Walking Dead ou n'importe quoi d'autre qui fasse craquer les filles. Je défais mon lit, puis le refais pour m'occuper. Je ne veux pas réviser, mon esprit est déjà assez dérangé pour l'embrouiller encore plus. Il faut y mettre de l'ordre... je mets un peu de musique sur mon PC, et j'allument mon ordinateur portable, une bonne façon de se changer les idées.
Je prends alors la décision de faire un tour sur Facebook et de chercher Mélina Allard. Cette fille me rend fou, parfois. Ce n'est pas très difficile de la trouver: je dois juste me rendre sur le compte de Léonie Marty, et elle est en quatrième position dans sa liste d'amis. Cette fille est amie avec tout le monde sur Facebook, même avec ceux qu'elle n'apprécie pas particulièrement dans la vraie vie. Une fois sur son compte, je constate ( avec joie, bien sûr ) qu'il y a beaucoup de photos d'elle. Elle qui sourit avec Valentin et Léonie, elle qui sourit avec plusieurs amis, elle qui sourit joue à joue avec une autre fille, ... quoi qu'il arrive, Mélina sourit. Et qu'est ce qu'elle est jolie: des sourcils noirs faisant ressortir ses yeux d'un bleu perçant, des cheveux châtains clairs encadrant ce visage si fin, aux couleurs éclatantes, avec cette bouche en cœur si rouge, et ses dents si blanches, enfin, cette fille est presque l'incarnation de la perfection.
Mais soudain, je parviens à dénicher un lien juste à côté d'un commentaire où il est écrit: "merci pour les 1000 vues !". Je clique et tombe sur son blog. Je lis tout, absolument tout, jusqu'au dernier où elle parle de moi. Je me sens très flatté. Elle me traite de tous les noms, mais la dernière phrase me fait réfléchir sur un tas de choses: "Ange gardien"... alors je ne suis peut être pas si transparent que ça, finalement... sans plus attendre, je la demande en amie sur Facebook, et je patiente. En vérifiant si elle n'a pas accepté toutes les deux secondes. Je me change les idées en tentant le poirier le dos collé à mon mur de chambre, mais je me loupe. Alors je fais une galipette arrière, mais j'atterris maladroitement dans mon armoire dans un grand "boum". Toujours rien. Je saute sur mon lit et me roule en boule sous la couette en étouffant des petits cris. Cinq minutes plus tard, j'entends le petit signal de ma victoire.
Je saute sur mon ordinateur où il y a écrit en gros "Mélina Allard 58 a accepté votre demande en ami(e)". Je devrais sauter joie, hurler de triomphe ou lui envoyer tout de suite un message pour la remercier de sa grande compassion, mais au lieu de ça, je resté planté là à regarder mon écran, les yeux écarquillés comme un bébé découvrant le monde. Heureusement que je suis toujours en vie pour voir ça...
Alors, pour l'exposé ? Une idée peut-être ?
Je sursaute comme un idiot. C'est Mélina qui m'envoie déjà un message. Je lui réponds sans réfléchir.
Oui, pour le début j'ai pensé à "Un certain "Adrien" me colle au bask' depuis hier, et il m'énerve ! Il est bizarre, mal élevé, impoli, suicidaire et terriblement égoïste de temps en temps. Mais bon, parfois, c'est aussi un vrai ange gardien, quand il veut".
Alors comme ça tu as lu mon blog.
Ouais. Et ça m'a occupé toute la soirée !
Plus collant, tu meurs.
Tu as une vie intéressante... tu pourras parler de moi dans ton prochain blog ? J'ai fait des vues !
Dans tes rêves. J'ai fait une énorme erreur.
Ne pense surtout pas que je te drague en te demandant ça. À moins que tu en aies envie, hein ?
J'attends sa réponse, mais rien ne vient. Pour casser l'ambiance, je suis le meilleur. Et aussi pour faire fuir les filles. Je dois avoir une sorte de don...