12. Mélina

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Média: Adrien Anderson et Mélina Allard.

Première balade.

Après les cours, c'est à dire vers 16 heures 30 pétante, je me rends sur le parking du lycée, impatiente. Je veux découvrir ce qu'est une "balade" selon Anderson. Je pense que, justement, je ne vais pas m'ennuyer. En réalité, j'ai accepté cette proposition car je n'avais pas envie de me lamenter encore une fois seule chez moi... faire quelque chose qui change ne peut que m'apporter un peu de bonheur. Enfin, normalement. Il faut dire aussi que je n'ai pas été déçue lors de ma dernière soirée... je patiente sur le parking, les bras croisées et le visage crispé par l'attente devenue insupportable. Il doit être 17 heures, et je n'ai toujours aucun signe de vie d'Adrien. Mais soudain, j'aperçois une fille sortir de la pénombre et je constate avec dépit que ce n'est que cette Sandra Tison, une fille de terminale qui est loin d'être fréquentable, à ce qu'on dit. Elle s'approche de moi avec une grimace dégoutée, et je comprends qu'elle s'est forcée à venir à ma rencontre.
- Il est là-bas, me dit-elle en pointant de son ongle bleu une silhouette qui se dessine dans le brouillard.
- Ah, merci.
Je commence à faire un pas, mais elle me stoppe une deuxième fois.
- Une dernière chose: ne t'amuse pas avec son coeur. Il est déjà assez blessé comme ça si tu veux mon avis.
J'ai surement l'air un peu intimidée malgré mon bon mètre 70 et sa petite taille qui ne doit pas dépasser les 160 centimètres. Je me recroqueville instinctivement.
- Euh... ok...
- Tu es prévenue. Becarful small flat ass.
Je fais la traduction en français dans ma tête, mais avant que j'aie pu dire quoi que ce soit de censé, elle était déjà repartie. "Attention petit cul plat" ?! Non mais de quoi je me mêle, d'abord ? Je préfère avoir mes fesses et rester incognito plutôt que d'avoir les siennes... je décide de m'approcher de la silhouette qui se trouve être Anderson. Plus je m'approche, et mieux je peux voir ses traits. Je constate que Sandra n'a pas voulu me piéger, c'est bel et bien lui. À moins que c'est lui qui n'ait voulu me piéger, mais je préfère ne rien penser. Lorsqu'il me voit, un sourire se trace comme de lui-même sur son visage de marbre.
- Ah, tu es là. Il faut que j'aille chercher mon vélo chez moi, c'est juste à côté.
Je penche la tête sur un côté alors que je commence à monter sur ma bicyclette.
- Mais pourquoi on ne prend pas tout simplement la voiture ?
Cette question le fige. J'ai l'impression d'avoir touché un point sensible sans même savoir pourquoi. Il toussote sans me regarder dans les yeux, puis bafouille d'une voix morne.
- Euh... je n'aime pas trop tous ces trucs polluants...
- Ah ouais ? Adrien l'écolo, c'est ça ton truc ?
Il me fixe du coin de l'oeil.
- Nan, moi c'est plutôt Adrien le biker à l'accent écossais, tu saisis ? Hier c'était le petit élève bien sage, mais j'en avais juste marre de faire mes devoirs tous les soirs...
Je lève les yeux au ciel en pensant qu'Adrien est finalement plus prétentieux que ce que je croyais...

***

Après un petit quart d'heure de marche intensive en silence, nous arrivons devant chez lui. C'est une petite maison de banlieue, un peu à l'écart des autres. Elle est dotée d'un grand garage et d'un jardin plutôt spacieux. Il m'invite à entrer sous prétexte "d'aller chercher son casque dans sa chambre" et je découvre enfin la maison du garçon le plus étrange et le plus incompris du monde. Elle est normale. Trop normale pour lui, à vraie dire, elle n'a rien de particulier. Pas comme je l'imaginais. Tout est plus ou moins propre, la cuisine est la pièce la plus modernisée de l'habitacle et il y a des photos d'enfants partout. Lorsqu'il me fait traverser un couloir, je le reconnais sur plusieurs d'entre elles. Adrien qui souffle sept bougies, Adrien qui fait le pitre, Adrien qui rit avec un bébé dans les bras ( qui doit être sa soeur ), ... sans pouvoir m'en empêcher, je souris. Il y a aussi pleins de citations de toutes sortes accrochées sur les murs, dont quelques unes d'Oscar Wilde, mon préféré. Mais un proverbe retient particulièrement mon attention.
- La magie du premier amour, c'est d'oublier qu'il puisse finir un jour... cette phrase, c'est de toi ?
- Oui. Je l'ai écrite un jour où... un jour où je devais avoir beaucoup d'inspiration.
Je lève les deux sourcils, soudainement intriguée. Je ne suis pas si bête que ça, tout de même, je sais reconnaitre certains mensonges. Surtout s'ils viennent de la bouche d'un très mauvais menteur.
- Un jour où tu as rencontré ton premier amour, je me trompe ?
Il se tord la bouche, indécis.
- Oh, tu sais, je ne me rappelle même plus de mon premier amour !
Je note un léger tremblement dans sa voix, ce qui me décide enfin à laisser tomber l'affaire. Cela doit être un sujet encore trop douloureux. En entrant dans sa chambre, je découvre une carte du monde géante accrochée au mur ainsi que celle du métro parisien, un lit minuscule et un petit bureau rangé à la va-vite. Les murs sont bleus et presque entièrement recouverts de post-it avec des citations, des chose à ne pas oublier, et des mots. L'un d'eux est répété plusieurs fois, même.
- "Ephémère", "Nuage", "Clapotis" et... "Fracas". Pourquoi tous ces mots ? Et pourquoi "Fracas" en particulier ?
Il commence à fouiller dans ses affaires, et tout ce qu'il dérange se retrouve sur son lit.
- Ah, ce sont les mots les plus beaux et les plus significatifs de la langue française. Regarde les biens. Et puis, j'aime particulièrement "Fracas" pour son sens mais aussi lorsqu'on le prononce. Pas besoin de geste, tout est dans les paroles.
- Et bien, toi tu aime la langue française...
J'entends un petit "mouais" jusqu'à ce qu'il ne cri victoire en brandissant un casque de vélo rose bonbon.

Ne me laisse pas tomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant