34. Mélina

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Média: Dad - Neeles Ternes.

Fin d'Octobre, bientôt Halloween, enfer assuré.

- J'aime le France ! Venez play with nous !
Les touristes se pressent pour partir sans se retourner. Nous éclatons de rire, et je me rends compte qu'Adrien s'esclaffe d'un ton extraordinairement grave. Enfin, nous posons chacun notre tour au sommet de la falaise afin de prendre "de belles photos" pour l'exposé. Adrien a même envoyé un bisou à l'objectif, et j'ai mis la photo en fond d'écran sur mon téléphone, mais ça il ne le sait pas. C'était sans doute la meilleure fin d'après-midi depuis mon grand départ.

***

- Ça va aller ?
Dans ma petite robe noire foncée, je grelotte silencieusement. Ma mère vient de me parler, et je devine que j'ai une tête à faire peur. Quelques jours plus tôt, j'aurais trouvé ça absurde: me retrouver à l'enterrement d'Adrien Anderson avec ma mère. J'aquiesce tout en me demandant ce que je fiche ici.
- Oui oui...
L'enterrement. La chose la plus pénible au monde pour mon pauvre petit coeur, si vous voulez tout savoir. Je n'ose même pas regarder le petit cercueil noir juste au centre de toutes les attentions. Je suis certaine qu'un type comme Adrien aurait pensé que le monde entier aurait dansé sur sa tombe, mais je suis également sûre que de là où il se trouve, il se moque de nous tous. De notre chagrin. Presque tout le lycée s'est réuni aujourd'hui pour lui faire hommage, ainsi que toute sa famille. Ils ne sont pas très nombreux, d'ailleurs: je reconnais entre autre ses deux sœurs, Rachel et Emma qui ont l'air effondrées, sa mère qui scrute les alentours comme si elle était constamment menacée, et un grand type d'une quarantaine d'années qui doit être son père. Il reste un peu à l'écart de tout le monde, et je dois admettre que la ressemblance avec Adrien est frappante. Les mêmes yeux, et la même attitude à se tenir d'un air un peu blasé. Les mains dans les poches, le balancement agaçant d'une jambe à l'autre et le reniflement systématique d'un nez pas encore mouché. Oui, je sais... ce n'est pas très élégant, mais c'était lui. Il y a aussi Auguste et Sandra qui sont venus me dire bonjour un peu à leur manière. Sandra n'arrêtait pas de se moucher bruyamment dans un petit chiffon en tissu, réduisant à néant son maquillage très foncé. J'aperçois Léonie, Gaëtan et Valentin en me demandant ce qu'ils fichent ici. Je m'approche à contre cœur.
- Salut, c'est pour lui rendre hommage que vous êtes venus ou tout simplement pour cracher sur sa tombe ?
Je n'ai pas fait exprès. La colère l'a emporté sur la pratique. Je peux être très franche quand je le veux, et ils ne me connaissent pas sous cet angle. Ils se retournent en même temps.
- Mémé, commence Léonie d'un air désolé, on est juste venus lui rendre hommage, je te le jure. On ne l'appréciait peut-être pas vraiment, mais tout le monde vous a vus sur le toit du lycée. Vous étiez vraiment craquants ! Et on a été touchés... Alors on s'est dit que finalement il n'était pas si méchant que ça !
Gaëtan fait la moue, et je sais que la jalousie n'est pas loin. Même s'il ne peut pas en vouloir à un garçon qui est mort en sautant dans le vide de son plein gré.
- N'allez pas me faire croire n'importe quoi. Vous n'avez jamais cherché à savoir si les gens autour de vous étaient gentils ou méchants. Vous-même, vous êtes des salopards.
Ils paraissent outrés par ce que je viens de dire, et je me félicite intérieurement. J'ai enfin réussi à le leur avouer !
- Moi y compris ?! S'exclame Gaëtan, toujours choqué de ne pas être parfait à mes yeux.
- Bien sûr ! Je ne vois pas ce que vous foutez ici, et encore moins ce que vous me voulez, mais allez vous en. C'est tout ce que je vous demande. C'est fini la petite Mémé qui se laisse manipuler par votre secte de débiles.
Après un dernier regard méprisant lancé par l'ensemble de leur bande, ils s'éclipsent aussi vite que possible. Une fois calmée, je retourne vers mes parents avec un grand sourire faux. Hors de question de faire un scandale le jour d'un enterrement. Quelques secondes plus tard, monsieur Millet vient nous rejoindre et je lui jette un regard suspicieux. Il ne peut pas s'empêcher de demander avec curiosité:
- Alors c'est donc vous, la petite amie "mystérieuse" d'Adrien Anderson. Non pas que je n'en avais aucune idée, mais Anderson n'arrêtait pas de le nier.
Je joins mes mains derrière mon dos, nerveuse.
- Ça se voit que vous ne le connaissiez pas si bien que ça.
- Bien sûr que non. J'ai essayé pourtant, mais ce qui se passait dans son esprit restait un secret pour toute l'humanité.
- Même lui ne se connaissait pas. Mais je ne pense pas que ce soit quelqu'un d'ordinaire. Sa particularité était d'être unique.
Il me lance un regard étonné, et malgré ses yeux qui tombent sur les côtés, il a l'air vraiment surpris.
- Vraiment ?
- Il disait que nous étions tous uniques. Mais que certains le sont plus que d'autres. Je sais qu'il est toujours là, parmi nous. Tout est irréel chez lui: il savait lire dans les pensées, et j'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'un vampire. Pas d'un humain.
Il se gratte le menton en réfléchissant. C'est la personne la plus prévisible du monde, et je comprends mieux Adrien lorsqu'il disait qu'il l'aimait bien. Naïf et compréhensif, tout ce qu'il lui faut pour devenir attachant.
- Intéressant.
- Mais il sera toujours beaucoup mieux que Robert Pattinson, vous ne croyez pas ?
Cette fois, il recule de quelques pas en imitant un étouffement. Que voulez-vous ? J'ai attrapé la maladie d'Adrien Anderson pour toujours. Il est bien trop contagieux. Mais je l'aime encore, et ça, ça pardonne tout. Je prends mon téléphone et l'allume. Puis je me souviens que j'ai gardé la photo d'Adrien qui m'envoie un bisou lors de notre toute première balade. Je souris.

***

- Ça te dit de jouer à pile ou face ?
Je hausse les sourcils. Il faut dire que le moment est très mal choisi pour jouer à ce genre de chose. Mais les moments sont toujours mal choisis lorsque je suis avec lui, alors...
- OK... je prends face. Mais c'est pourquoi faire ?
Face m'a toujours porté bonheur jusqu'à présent, mais je ne connais pas encore la chance d'Adrien.
- Alors pile, tu es à moi et face, je suis à toi. Comme ça pas de jaloux, pigé ?
J'éclate de rire même si je m'efforce de trouver son jeu crédible. Il sort une pièce alors que je pensais sincèrement qu'il plaisantait. Je devrais le connaître mieux que ça, pourtant... il l'a lance puis la plaque brusquement contre le dos de sa main... pile. Génial, il a gagné. Avec un sourire ravi, il s'écrit:
- Tu es à moi, Moulinet !
Et, par ma plus grande surprise, il commence à me chatouiller le ventre. Je le supplie d'arrêter, car je suis généralement très sensible aux parties de "guiliguili"... nous roulons tous les deux dans les herbes hautes, et il pouffe de rire en rétorquant:
- Désolé mais je fais ce que je veux de toi maintenant !
Puis soudain, il s'arrête net. Je constate nerveusement que je suis finalement passée au dessus de lui, nos visages se trouvant à quelques centimètres l'un de l'autre. Il regarde mes lèvres avec envie, et je fais de même avec les siennes.

<3 <3 <3

Ne me laisse pas tomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant