16. Mélina

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Média: Valentin Etienne.

Dix-huitième jour en enfer.

Le lendemain, je m'étire douloureusement dans mon lit. J'ai des courbatures partout à cause de mon service d'hier soir, au bar, où je n'ai cessé de courir. Je m'ébouriffe les cheveux puis me décide enfin à sortir du lit. Je me poste devant le miroir de salle de bain avant de me contempler longuement. Je n'arrive plus à déceler la beauté enfantine que je voyais en moi autrefois. Après tout, je n'aime pas les enfants, mais il faut dire que c'était tellement facile... la vie. Vivre, c'était comme un jeu d'enfant. On se voyait tel que l'on était et pas tel que l'on voudrait que l'on soit. Je prends un petit déjeuner en vitesse, m'habille en prenant la première chose que je vois dans ma garde-robe et descends d'un air las, comme d'habitude. Sauf qu'il y a quelque chose qui change de l'ordinaire, cette fois. Je découvre Adrien en train de dormir sur son vélo en bas de mon immeuble, et je pousse un petit cri de surprise qui le réveille automatiquement. Il doit avoir une sorte d'instinct... Il s'ébouriffe les cheveux à son tour avant de s'étirer comme un chat. Il ne trouve rien d'autre à me dire que:
- Hmm... good morning Moulinet.
Je penche la tête sur un côté. C'est ce que je fais, souvent, lorsque je suis surprise et légèrement offensée de quelque chose. Et il semble l'avoir remarqué.
- Ne t'énerve pas, hein... Moulinet, Mélina, c'est bien trouvé non ?
- Mouais. Qu'est ce que tu fiches ici ? Tu as dormi là ?!
Il se relève avec difficulté, ce que je peux comprendre. Mes pauvres courbatures ne sont pas grand chose par rapport à ce qu'il doit avoir dans le dos.
- Oui. Je t'ai attendue, tu sais. Tu as entendu les cailloux ?
Je hoche la tête d'un air dépité. S'il parle des petits cailloux qui ont gâchés ma nuit, alors oui.
- En effet.
- Ah, alors je ne m'étais pas trompé de fenêtre ! Tu aurais pu me répondre enfin, Moulinet !
Je retire l'antivol de mon vélo et commence à monter dessus, mais il ne semble pas vouloir me lâcher.
- Où on va ?
- Au lycée.
- Non mais je veux dire, demain pour la balade. Tu veux qu'on aille où ?
Mince. Je repense à l'invitation de Gaëtan pour la fête chez Léonie, et je grimace nerveusement. Je ne sais toujours pas si je dois accepter oui ou non, et je devais y réfléchir hier soir...
- Demain, je risque de ne pas être là.
- Naaaaaan, sans blague ?! Qui a t'il de plus important pour que tu ne puisses pas vider ta tête trop lourde en balade avec moi ?!
Je plisse les yeux. Mais je prends la décision de me confier, parce qu'Adrien est très compréhensif, généralement. À vélo, il se place derrière moi et je ne peux plus le voir, ce qui est extrêmement agaçant et stressant à la fois.
- On m'a invitée à une fête.
- Ah. Ok. Cool. Raconte-moi ce qui s'est passé avec tes parents.
Voilà. Il a encore une fois réussi à semer la pagaille dans mon esprit. Pourquoi change-t'il de sujet aussi rapidement alors que tout se passait si bien ?
- Pardon ?
- Écoute, en tant que personne masculine qui t'as sauvé la vie et ton coéquipier d'histoire géographie, tu me dois bien ça non ? En échange, je te raconterai l'histoire de ma cicatrice dans le cou.
Mon vélo vacille, et un frisson terrible m'envahit pour la seconde fois lorsqu'il place sa main sur ma selle pour me stabiliser. Génial. Vraiment. Je suis une professionnelle pour me mettre mal à l'aise toute seule.
- Alors, toi d'abord.
Nous approchons dangereusement du lycée, autant faire diversion.
- Ok. À l'époque, je jouais de la flûte et on m'avait demandé de rentrer dans un groupe. Je savais même plus de quel genre ils jouaient. Et lors de notre premier concert dans un petit bar, un mec est monté sur la scène et s'est mis à tous nous tabasser. Il m'a planté un truc pointu là, mais je me suis sauvé avant qu'il ne me tue...
Je suis certaine à quatre-vingt dix-neuf pourcents qu'il ment. Mais bon, il a l'air très fier de lui.
- Allez, à toi.
- Quand tu m'auras dit la vérité.
Nous ne sommes plus très loin du lycée, et j'aperçois déjà des têtes qui ne me sont pas inconnues. Je grince des dents. Par pitié, que personne ne me reconnaisse... je reçois un message de Cynthia. Depuis la dernière soirée, elle ne me lâche plus d'une semelle seulement par message...
ANDERSON ???!!! WTF ????!!!
Je peine à déglutir correctement. Nous arrivons sur le parking, mais Adrien ne descend pas de son vélo.
- Bon, et bien, à la revoyure Moulinet !
Je ne dis rien, ne laisse rien paraitre, mais je brûle de honte à l'intérieur de moi-même.
- C'est ça...
Il s'en va, mais je l'interpelle:
- Le lycée, c'est de l'autre côté.
- Je sais.
Et il part dans le sens opposé.

***

Et voilà comme je me suis lamentablement rendue à cette fête avec Gaëtan. À croire que la première fois ne m'avait pas suffit... comme d'ordinaire, je ne bois pas une goutte d'alcool, même si des garçons surement mal attentionnés me l'ont déjà proposé plus d'une fois. Déjà que cette soirée risque d'être très longue, je ne veux pas non plus finir saoule et me réveiller le lendemain matin dans le lit d'un inconnu. Non merci, je suis peut-être désormais libérée de toute autorité parentale, ce n'est vraiment pas mon truc. Donc oui, vous pouvez bien vous demander comment est ce que je me suis retrouvée dans cette voiture, avec Gaëtan à l'avant juste à côté de moi et Léonie avec Valentin à l'arrière qui seraient les responsables de bruits plutôt suspects. Et je ne préfère pas savoir l'origine. Le plus gênant, c'est de se trouver juste à côté de son ex dans cette situation plus que dérangeante. Heureusement que le volume de la musique est mis au maximum. De temps en temps, il se risque à me jeter un petit regard en biais, mais je détourne rapidement la tête. À un moment, j'ai même senti sa main se glisser lentement sous mon maillot. Avant d'exploser de rage, j'ai fait mine de vouloir prendre l'air et je suis sortie de la voiture en poussant un très, trèèèès long soupir.
Mais il me rejoint, ce petit coquin. Sous prétexte "qu'il s'inquiète pour moi". Pfff, j'ai trouvé mieux comme excuse bidon de ce genre. Mais en bonne petite Mélina, Apolline, Eléonore et Joséphine Allard ( oui je sais, c'est affreux mais c'est mon nom en entier ), je ne dis absolument rien.
- Non non, je te promets que tout va bien.
- Alors je te crois.
Ouh la. Il a enclenché la technique de drague numéro cent soixante-douze: faire semblant du lui vouer une totale confiance, ça marche à tous les coups. Surtout avec Mélina Allard...
- Euh, ouais, ok... cool.
Je suis étonnée en même temps que lui de voir qu'il ne me fait plus aucun effet.
- J'ai toujours été fasciné par tes yeux.
Ah, Sarthe retente sa chance. Y arrivera-t'il ? Draguer la "fille sans émotion" ? Je me rappelle qu'en seconde, un garçon m'avait sorti une phrase de CP du genre: est ce que ton père est un voleur ? Car il volé toutes les étoiles pour les mettre dans tes yeux. Ça m'avait beaucoup touchée. Et j'aimerais qu'il dise la même chose... mais Monsieur Sarthe est bien trop éduqué en gentleman pour faire une chose pareille.
- Merci. Les tiens aussi. Ils sont pas mal.
Il soupire désespérément avant de remettre en place sa mèche rebelle. Un geste qui, à l'époque, me faisait craquer. Mais je reste impénétrable.
- Mélina... j'ai été dingue de toi dès la première fois que je t'ai vue ! Je n'ai jamais cessé de t'aimer, je te cours après depuis le début et tu ne m'envisages plus comme autrefois. Ça me rend fou si tu savais !
Ah. C'est tout ce que j'ai envie de dire. Il n'avait qu'à y penser avant de me larguer pour sa blonde. Mais tout ce que je trouve de mieux à dire, c'est:
- Ah, je n'avais pas remarqué.
C'est fou, mais j'ai envie de rire. Je me mords la lèvre pour m'en empêcher, et je pense que Gaëtan a cru que c'était le signal. Il m'a embrassé. Oui je sais, ce n'est pas très romantique et même un peu malsain de faire ça juste à côté d'une voiture où il doit se passer des choses étranges à l'intérieur, mais il l'a fait. Et je ne l'ai pas rejeté parce que j'avais tout simplement peur qu'il le prenne mal. Mais lorsqu'il commence à passer ses mains une deuxième fois sous mon maillot, je m'écarte rapidement de lui. Il s'excuse comme un automate.
- Oh, désolé, c'est juste que je ne savais pas si...
- Non, laisse tomber. Je... je crois que je vais rentrer...
C'est à ce moment que je me suis rendue compte à quel point j'aurais tant aimé être en balade avec Adrien plutôt qu'ici avec Gaëtan et une voiture qui saute. Si seulement je pouvais revenir sur ma décision là, maintenant !
- Ah... en tout cas, j'ai passé une super soirée.
Il me sourit. Le genre de sourire qui m'a fait craquer la première fois que je l'ai vu, car j'ai découvert ce jour là qu'il avait des fossettes. Et c'est si mignon... sans pouvoir m'en empêcher, j'embrasse sa joue avant de lui rendre son sourire. Je commence à partir mais, sur le coup, j'ai peur de l'avoir allumé. Il doit se dire que ça y est, nous sortons de nouveau ensemble... alors je me retourne pour lui crier:
- Hé Gaetan, je t'aime plus !
Et lorsque je me suis rendue compte de mes paroles, je me mets à détaler à vive allure avant qu'il ne me voit.

Ne me laisse pas tomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant