18. Mélina

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Média: les gens ne sont pas tristes parce qu'ils sont trop faibles, c'est parce qu'ils sont forts depuis trop longtemps.

Deuxième balade.

Je reconnais le chemin qu'il me fait prendre. C'est celui de l'église de Notre-Dame, l'un des monuments les plus historiques de Calais. Ma mère y allait souvent, autrefois, car elle avait été élevée dans une famille très croyante. Je n'ai pas suivi le mouvement: je crois réellement à ce qui est prouvé, mais cela ne m'empêche pas de croire en l'impossible. Je me rattache souvent à des idées complètement absurdes lorsque je suis malheureuse. Je me gare dans une petite ruelle située non loin de l'église, car il y a beaucoup de monde. Nous sommes Dimanche et c'est la messe. Adrien a choisi le jour de la semaine où l'immense chapelle serait le moins désert. La malice n'est décidément pas donnée à tout le monde... Je sors de la voiture sans même me retourner pour l'attendre. Il est obligé de m'interpeller.
- Attends, Moulinet !
Des inconnus tournent la tête vers nous pour voir qui est Moulinet, et je mets mes mains sur ma figure pour dissimuler ma honte et surtout mon teint qui s'est sans doute empourpré. Adrien ne vient toujours pas.
- Bon, dépêche-toi ! Qu'est ce que tu fais ?
- Tu veux vraiment savoir ?
- Euh... bah oui !
Même si je crains le pire.
- Je remets ma braguette correctement mais elle est cassée !
Il finit par sortir de la voiture en marmonnant un "bon et ben tant pis hein" et en tirant son maillot au maximum. Je détourne le regard, embarrassée. Nous entrons dans la cathédrale et j'essaye de me redresser pour paraitre "plus classe", car je remarque que la plupart des gens ont l'air très strictes et leurs visages me rappellent celui de ma prof de maths du collège. Adrien ne s'en rend pas compte, bien sûr. Les mains dans les poches pour baisser un peu plus sa veste sur sa braguette ouverte, il sifflote l'air de la Marseillaise en regardant le plafond de la salle. Je m'en souviens, maintenant. Tout est tellement beau... petite, j'étais complètement ébahie devant cette merveille en me demandant "mais comment ont-ils fait ça sans les méthodes d'aujourd'hui ?". Un jour, ma mère m'avait même emmenée devant un grand tableau noir avec écrit en lettres blanches "Avant de mourir, je veux..." et puis l'on pouvait compléter avec ce que l'on souhaiterait faire avant de dépérir. Adrien me conduit un peu à l'écart de l'église et je le revois. Cet immense tableau noir placé en extérieur. Je lis ce qui y était déjà écrit auparavant. Des cinquantaines d'écritures différentes. "Avant de mourir, je veux rencontrer l'amour, tourner dans un film, visiter l'Australie, écrire un livre, savoir diviser par 0, avoir un orang-outang apprivoisé, parler chinois, vivre."
Adrien s'empare de la craie blanche et commence à écrire en patte de mouche: Jouer de l'harmonica comme Roll Pignault, recommencer à conduire, savoir ce que c'est d'avoir un meilleur ami, pouvoir me confier, servir à quelque chose, changer le monde, ne plus avoir de migraine.
Puis, il me tend la craie et j'ai un temps d'hésitation. Mais j'écris tout de même: ne plus avoir peur du passé, ne plus vivre seule dans mon coin, me faire de vrais amis, faire quelque chose qui n'est pas banal, compter pour les autres.
Avec un grand sourire, il me reprend la craie et ajoute: et rencontrer au moins une fois Robert Pattinson. Ce qui me fait rire comme une idiote. Puis, en soupirant, il efface et écrit à la place: et embrasser Mélina Allard. Ce qui, cette fois, me fait vraiment rougir comme une idiote. Je le regarde, il me regarde. J'ai l'impression qu'il va le faire, j'aimerais que ce soit le cas. Me sentir aimée, comme autrefois, pas une fille inutile que tout le monde a peur de fixer dans les yeux, pas cette fille là. Je veux être comme je suis avec Adrien. Comment arrive-t'il à me rendre heureuse à ce point ? Comme pour s'en assurer lui-même, il dit:
- Mais ce ne sera pas ici.
Je baisse le regard. J'ai dû le dévisager un peu trop longtemps, et je ne trouve pas ça suprêmement convenable. Nous sortons de l'église pour remonter à bord de la petite Clio jaune poussin de mon frère adoptif. Tout en contemplant la vitre avant, Adrien dit d'un ton dégagé:
- Ne crois surtout pas que j'ai écrit ça parce que tu me plais.
- Mais pourquoi tu dis toujours la même chose en boucle ?
- Non, mais c'est juste pour que tu n'espères pas trop. Des gars comme moi, on en trouve pas à tous les coins de rues...
- Oh, ça je confirme Anderson. Aussi imprévisible que toi, je ne vois vraiment pas.
Il a dû prendre ça pour un compliment, car il remue gaiement les épaules.
- Toi aussi tu es unique, tout le monde l'est mais nous le sommes peut-être un peu plus que les autres. C'est ce qui fait que nous sommes irrésistibles, et je ne dis pas ça parce que...
- Non, c'est bon j'ai compris. Et tu ne me plais pas non plus.
- Heureux d'être de ton avis, pour une fois.
Néanmoins, je n'ose pas l'admettre, mais ce compliment restera à jamais gravé dans ma mémoire...

Ne me laisse pas tomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant