33. Mélina

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Média: <3

Je crois que j'ai perdu la notion du temps.

Je me réveille, frémissant au premier contact de l'air frais. Tout est blanc autour de moi, et j'ai l'impression d'être morte. Ça doit être pour cela que je souris. J'ai un terrible mal de tête, et je dois admettre avoir pensé que la mort serait moins douloureuse que ça. Je marmonne le mot "Adrien", sans savoir pourquoi exactement dès les premiers instants. Puis tout me revient, et cette fois, je m'écris "Adrien". Je reprends totalement connaissance et me rends compte que je suis dans une salle d'hôpital, seule, avec une étrange odeur de pipi de chien. J'ai des perfusions de branchées un peu partout sur mes poignets et ma jambe est suspendue en l'air avec un énorme plâtre. J'ai également un bandage autour de la tête, et je m'aperçois avec dépit que j'ai survécu. Mais, et Adrien ? Un médecin entre dans la chambre, l'air sévère et un petit bloc-note dans les mains. Je le fixe nerveusement, comme si j'étais devenue une sorte de fantôme.
- Alors Mademoiselle Allard, bon réveil parmi nous ?
Je ne réponds rien. Je me contente de le dévisager d'un air méfiant. Ma migraine rend sa voix presque inaudible.
- Vous savez que vous avez eu de la chan...
- Où est Adrien ?
Il s'interrompt aussitôt en interprétant une expression un peu trop désolée. Je ne veux pas de pitié, et je ne veux pas d'excuses. Ce qu'il n'a pas l'air de comprendre.
- Oh... vous voulez parler de Monsieur Anderson ?
- Oui, il est où ?
Je suis encore bien trop fatiguée pour m'énerver maintenant, s'il vous plaît... il ne fait que retarder sa réponse en me répondant:
- C'est étrange que vous posiez cette question. Vous deviez être très attachée à lui, mais vous savez qu'il est également très connu par les autorités et...
- Je m'en contre-fiche. Abrégez.
Je n'ai jamais parlé aussi mal à un médecin, mais celui-ci est particulièrement casse-pied et l'heure n'est pas à la rigolade pour l'instant. Il feinte une quinte de toux, et je sens le trou dans ma poitrine s'agrandir.
- Il... il est encore en salle de réveil voyez-vous... nous essayons encore de le faire respirer...
- Quoi ??!!
Je me suis redressée sur mon lit d'hôpital, et le médecin tente de me rallonger en m'assurant que tout irait pour le mieux.
- Mademoiselle...
- Laissez-moi le voir !! Laissez-moi le voir tout de suite, je vous en prie !!
Une infirmière entre soudainement dans la chambre l'air interloqué, trainant un fauteuil roulant.
- Mais qu'est ce qui se passe ici ? Qui hurle comme ça ?
- Mademoiselle Allard réclame à voir Monsieur Anderson !
- Je veux le voir et vous ne pourrez pas m'en empêcher !!
Aussi surprenant que cela puisse paraître, elle me sourit et m'invite brusquement à m'asseoir sur le fauteuil roulant. Le médecin proteste en prétendant que je dois me reposer, mais il ne parvient à rien sans le consentement de son infirmière et surtout du mien. Je suis très diplomate. On me guide jusqu'à la salle trois-cent quatorze qui est entièrement vitrée, à mon plus grand malheur. Elle me prévient en me disant que ce n'est pas beau à voir, mais je ne m'en préoccupe pas vraiment. Je veux le voir. Vivant et en pleine santé. Malheureusement, ce n'est pas ce qui m'attend... derrière les épaisses vitres, j'aperçois des médecins et des chirurgiens s'affairer un peu partout, des masques sur leurs visages. Au centre de toute cette attention, il y a Adrien. Je me dis qu'il dort pour ne pas m'inquiéter. Il est branché sur une gigantesque machine qui retransmet ses battements de coeur, et une larmes roule toute seule sur ma joue lorsque je me rends compte que la ligne rouge est droite, et un bip sonore très agaçant manifeste qu'il est bel et bien parti. Un bruit aigu résonne dans mes oreilles, comme si mon cerveau ne m'écoutait plus.

- Ça fait un bon bout de temps qu'ils essayent de le ranimer, m'intime l'infirmière d'une voix toute douce, mais je crois que c'est fichu maintenant. C'était une connaissance ?
Je ne parle plus. Je suis figée. Abandonnée à mon triste sort. Je fais face à l'abomination de toute une vie. Plus rien n'a aucun sens lorsqu'Adrien n'est plus là... des images de lui me reviennent, juste pour me torturer un peu plus.

***

- Pas un mot sur cette histoire, OK ?
J'ai dit cela d'une vois tellement autoritaire que je peine à y croire moi-même. Ce doit être ma trouille d'être repérée... après tout, je ne le connais pas ! Et il a l'air bizarre...
- Oh, de rien. Ce n'est pas la première fois que je sauve la vie de quelqu'un, tu sais.
Je deviens plus calme, d'un coup. Il n'a pas tort. Grrr, il doit me trouver vraiment trop prévisible !
- Désolée... merci beaucoup. Je ne sais pas ce qui m'a pris...
- C'est surement la vue. Elle est imprenable d'ici !
Je lui offre enfin un magnifique sourire pour me faire pardonner. L'humour résout tout avec moi. Et puis, ce n'est pas souvent que quelqu'un essaye de me faire rire.
- C'est que... les gens sont si déprimants ! J'ai l'impression d'être de trop dans ce monde, d'être d'une banalité effarante ! C'est horrible de se sentir ordinaire...
- Mmh... moi ça me plait bien d'avoir deux yeux, une bouche, et une rangée de dents.
Il me sourit pour que je constate par moi-même et je ris. Il a un air étonné, comme si c'était la première fois qu'il amusait quelqu'un. D'ailleurs, il a des dents bien plus belles que les miennes.
- Pour un gars suicidaire, tu m'épates Anderson !

Ses yeux bleus pénétrants sont un peu déstabilisants, et sa peau blanche est juste incroyable. J'aperçois même quelques muscles qui se dessinent en dessous de son T-shirt. Il est vraiment pas mal, en faite... je lui dis:
- Tu as changé...
Tu n'es plus le Adrien fêlé dont tout le monde devait se méfier. Mais ça, je ne le dis pas.
- C'est sans doute l'altitude.
Je lève les yeux au ciel et il s'approche de moi. Un peu trop de moi. Je crois n'avoir jamais été aussi proche d'un garçon depuis que j'ai quitté mes parents, ma source de confiance en moi. Il regarde mes lèvres, et pendant un instant, j'ai cru qu'il allait m'embrasser. Pendant un instant, j'en avais envie. Mais mon cerveau s'est rallumé trop vite...
- C'est quoi cette cicatrice qui tu as dans le cou ?
J'ai dit ça au hasard, juste pour détourner son attention, même si mon intérêt est réel. Il me fait un grand sourire d'idiot.
- Ah, ça, c'est juste du maquillage. J'ai vu quelque part que ça impressionne les filles ce genre de truc.
Je détourne le regard rapidement, gênée, mais il reprend.
- Tu viens, on saute ?

***

Je me rappellerai toujours de lui. Effondrée en pleurs dans mon lit d'hôpital, je m'en veux. Je m'en veux parce que j'ai enfin compris le petit stratagème d'Adrien. Il souhaitait vraiment mourir, sans moi dans les pattes, et c'est ainsi que lorsque nous avions sauté lui et moi, il m'a poussé sur la droite pour que j'atterrisse dans le drap étendu par les pompiers. Et lui... il est tombé beaucoup plus loin. Il m'a dit qu'il ne voulait pas me voir mourir. Il m'a dit qu'il tenait à ce que je vive sans devoir m'en vouloir. J'aurais pu lui éviter ça, j'aurais pu le sauver... si j'avais su, j'aurais vraiment tout tenté pour le sortir de là. J'ai été idiote d'avoir pu imaginer une seule seconde sauter avec lui. Si j'avais su, je l'aurais embrassé bien avant. Mes parents sont finalement venus à l'hôpital, et je me sens également coupable de ne pas les avoir accueillis comme il se doit. Car je me dis que s'ils sont là, c'est uniquement grâce à Adrien, et je n'arrête pas de penser à ce tout ce qu'il a fait pour moi contrairement à tout ce que je lui au infligé... s'il est mort, c'est par ma faute, et rien d'autre.

***

- Je peux savoir pourquoi tu fais ça ?
C'est vrai quoi, il ne peut pas me laisser tranquille à la fin ? Il passe en mode séducteur, comme si un bouton venait de s'être enclenché.
- C'est juste parce que je voulais te voir au moins une fois aujourd'hui...
- Ah oui ? Une fois, t'es sûr ? Parce que j'ai plutôt l'impression d'avoir un psychopathe en face de moi, là !
J'ai l'impression de l'avoir touché, mais il se remet vite dans la peau de Justin Bieber draguant Selena Gomez. Et mon dos se retrouve coller contre le mur. Ressaisis-toi, Mélina !
- Il va falloir t'y habituer, Moulinet, parce que je ne vais pas te lâcher...
Je regarde aux alentours, comme pour voir si quelqu'un que je connaissais était dans les parages. On ne sait jamais. Il semble l'avoir remarqué, et il s'indigne.
- Je te fais honte, c'est ça ?
Mon visage est trop, trop près du sien. Mon esprit est en pleine guerre mondiale.
- Euh... non... enfin je crois...
- Il vaudrait mieux pour toi que tu ne crois rien du tout...
Je ferme fortement les yeux tout en retenant mon souffle. Mon corps est plaque au maximum contre le mur, et ma tête se retrouve entre ses deux mains, et son regard bleu océan me dévisage lentement. J'attends qu'il m'embrasse, son souffle chaud dans mon cou, mais le professeur de sport tire Adrien par une épaule.

***

Ne me laisse pas tomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant