Songeur

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Tout est noir. C'est la peur de l'oppresseur. C'est la crainte du vide et la folie des esprits embrumés. On voit des hommes qui courent. D'autres assis sur les marches d'un palais et qui songent. Il y en a qui se lèvent. L'Espérance d'une vie meilleure brille dans leurs pupilles éblouïssantes. Alors les foules viennent en masse et crient leur colère dans les rues. Elles viennent entourer cet homme, seul dans l'ombre d'un palais, pensif. Les foules crient. Les soldats traversent les rangs pour venir secouer cet homme solitaire. Et les enfants gémissent, portés par des femmes en furie. Certains se mettent à trembler, pris par la fièvre du désordre. De la sueur coule de leur front malade et leur donne un air désorienté et sale. Tout est noir. Des familles fuient, leurs effets sur le dos. Quelques voleurs s'incrustent dans la masse et dérobe quelques pierreries. On pleure. On se lamente. Et l'homme songe. Oublie le reste du monde. Assis sur sa pierre dans l'ombre fraîche d'une ruine. On le presse. Il songe. Les foules pleurent et crient. On se marche les uns sur les autres. La place est pleine. Les rues sont pleines. La ville est en furie. Et au loin s'élèvent les flammes des palais en flamme. Et l'homme pense. Tout est noir. Le peuple est épuisé. Il mène sa guerre et déjà s'écroule, sur le sol, épuisé de fatigue et d'angoisse. L'on se met à ramper. On a soif. Il fait froid. Il fait noir. Il fait peur. C'est la fin de toute une dynastie. C'est la fin et c'est tout. Le tonnerre gronde. Et l'homme songe. Le regard au loin, traversant les corps désarticulés de compatriotes éperdus. Le regard vient se fixer sur la ligne d'horizon où le soleil se lève. Il ne dit rien. Il songe, au creux des ruines enflammées. Et on le presse. Il ne fait rien. Il songe. Des vallées de larmes s'écoulent à ces pieds. Pas un frémissement : il rêve. Son âme s'est envolé vers le ciel s'étiolant, et rouge du sang du peuple. Tout n'est qu'un brasier gigantesque.

- C'est l'anarchie.

La foule frémit. Les lèvres désséchées se sont entrouvertes pour murmurer ces quelques mots et le silence s'installe. L'homme se tait de nouveau et tourne son visage vers les ruines érubescentes. On l'observe. Il est parti rêver.

Un enfant rampe au sol en hurlant à mort. Il gémit et vient aggriper la veste de l'homme pour s'y moucher. Mais l'homme ne le regarde pas et pense. Il est absent, rêveur. On le supplie, il n'entend pas. Et voici que l'enfant le pousse et le renverse sur le dos. L'homme a les yeux dans les étoiles et ne bouge plus. L'enfant gémit et tappe avec désespoir l'homme.

Et le penseur se lève tandis qu'un fin sourire vient éclairer son visage beau et mélancolique. Il lance un regard distrait à cette foule, et marche. On le suit. On l'acclame. Il songe. La ville se meut vers les restes des bas quartiers, à sa suite. Il marche lentement, à pas réfléchis. Tout n'est que ruine autour.

Trois planches les unes sur les autres. Quelques poutres incandescantes. Des débris de verres cassés recouvrant le sol. L'homme entre et se tourne vers la foule muette et admirative. Il les observe en silence. On baisse les yeux craintivement et pour cacher son trouble. Ce qu'il est beau. Il parle.

- C'est l'anarchie. La ville est enflammée. C'est l'anarchie. Il n'y a plus rien. Tout est mort. Tout est fini.

Et il se tait de nouveau, s'assied sur une pierre, face à eux, et se tait. Il a un air de profonde lassitude et de rêverie intense. Il est calme. Il est beau. Il est jeune.

- C'est l'anarchie, répète-t-il presque sans y penser.

On est suspendu à ses lèvres, mais il ne dit rien et songe. La ville flambe.

- C'est l'anarchie.

On le sait. On a honte. Il n'y a plus rien que le vide et l'on croit que tout est terminé. Qu'il ne reste plus que la mort. Mais le soleil se lève et l'homme dit :

- Je serai votre chef.

Il n'y a plus d'anarchie.

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Texte écrit dans le cadre des Joutes Wattpadiennes j'ai réçu la troisième place !!!
Le thème était (mais vous l'auriez deviné😉) l'anarchie.

Mes rêves les plus fousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant