Chapitre XII - Celui où j'apprends que ...

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Xavier, vint me chercher chez Nina.

Il avait la mine sombre et on partit sans dire un mot. Madame la maire ne s'en formalisa pas. À la maison, il me poussa sur une chaise de la salle à manger. Il posa un carton de nourriture du traiteur barcelianais sur la table et s'assit en face de moi.

On se dévisagea un moment en silence, immobiles.

Que pouvait-on se dire ? Que pouvait-on faire ? Camille avait disparu. On avait tous deux échoués à la protéger. On l'avait tous les deux perdue. Notre vie venait de s'écrouler une nouvelle fois. C'était comme une maison qu'on avait tenté de reconstruire après une tempête sur les ruines de la première. Et un coup de vent avait fait tomber un des piliers, entraînant l'écroulement de notre pauvre masure bancale. Encore une fois on se retrouvait sans toit.

On finit par se servir et manger en silence. On ne se regardait même pas. Après le dîner, ni lui, ni moi n'osâmes se lever. Xavier se tenait les tempes entre les mains. Il avait un aspect misérable. Avant, j'étais persuadé que mon oncle serrait heureux de se débarrasser de ma sœur et moi, que sans enfants pour l'embêter, il serait comblé. Mais ce n'était plus vraiment l'impression que j'eus ce jour-là, il avait l'air vraiment misérable. Je supposais que moi aussi.

Je commençais même à comprendre mon oncle. Il avait dû se sentir dépassé par les événements depuis qu'on était entrés dans sa vie. À dix-neuf ans, il s'était retrouvé, avec deux enfants en bas âge sur les bras et sa seule vraie famille venait de disparaître. Il avait dû nous élever seul, faire avec notre magie bien plus grande que la sienne. Mes dons défectueux et le charme de ma sœur ne devaient pas être faciles à gérer, surtout quand on venait de sortir de l'enfance. Je ne saurais pas dire quel sacrifice il avait fait, mais mon oncle à trente ans, n'avait ni femme, ni enfant, ni vrai travail, pas même d'amis. Il avait fait de son mieux, lui qui n'était pas fait pour être notre père. S'il avait dû avoir des enfants, il les aurait eus bien plus tard et ils auraient été « normaux ».

Le communiqueur de mon oncle sonna, on ne bougea pas. Quand ce fut la cloche de l'église la plus proche, on décida sans se consulter qu'il était l'heure de se lever pour se mettre au lit. Mais aucun de nous ne dormit cette nuit-là. On pensait à Camille et peut-être même cherchions-nous, dans notre mémoire, des bribes de prière ou le nom de la protectrice de la famille (d'ailleurs je ne suis toujours pas certain de qui cela peut être, Vesta il me semble), appris en théologie, auquel on n'avait jamais été attentifs. Car seule une puissance supérieure pourrait nous aider dans ce bourbier qu'était devenue notre vie.

Je me levai quand le communiqueur sonna. En entrant dans le salon, mon oncle avait déjà décroché.

Je m'assis à la même place que la veille au soir. Je me servis du bouillon pendant que Xavier répondait par monosyllabe à son interlocuteur. Je sentais, à la façon dont il parlait, que c'était Olivia. Je plongeai ma cuillère dans mon bol mais je me rendis compte que j'avais la gorge trop serrée pour avaler. Pourtant j'avais faim.

Je vis que sur la table était posée une enveloppe. Je regardai mon oncle intrigué, il me fit signe d'attendre. L'écriture me paraissait familière.

Quand il eut raccroché, lui aussi reprit sa place de la veille et ses mains reprirent leur place sur ses tempes. Puis il les glissa sur ses joues et les rassembla devant ses lèvres. Il croisa les doigts et finit par poser ses mains sur la table. Il semblait vraiment épuisé. Son visage était très pâle et des cernes immenses se dessinaient sous ses yeux.

Il vit que je ne mangeais pas et me demanda :

- Tu as fini ?

Je hochai la tête. Il ne commenta pas mon bol plein de bouillon chaud. De toute façon, en tant qu'adulte j'étais censé rompre le jeûne de manière rudimentaire.

La pierre des mersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant