Chapitre XIII - Celui où j'apprends des choses grâce à un caillou, ...

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Habituellement, j'adorais les vacances. C'était le temps des veillés où les anciens racontaient des histoires, où les musiciens jouaient en plein air, où l'on faisait la fête autour de feux de joie. Cette année-là, je les ai maudites.

Kaïa était partie visiter sa famille à Haldar et faire son « devoir de princesse ». Elle était donc occupée à jouer les suivantes de sa tante et à assister à des réceptions interminables. Je n'ai pu lui parler qu'une fois, brièvement, et ce fut au communiqueur, pour son anniversaire, en août. Elle m'avait alors semblée épuisée. Nicolas, de son côté, suivait son père à chacun de ses déplacements. Évidemment, Christophe me proposait à chaque fois de venir. Pourtant, je refusais. Je savais que cela faisait plaisir à Nicolas de se retrouver seul avec lui alors qu'il le voyait si peu le reste de l'année. Et puis, je pouvais toujours aller chez Nina, qui restée seule, ne rechignait pas à un peu de compagnie. De plus, quand mon ami et son père étaient à Firento, on allait chez sa grand-mère se régaler de crêpes. Mais c'était rare et je restais seul la plupart du temps.

Notez que j'aurais pu être occupé. L'été, la tradition voulait que nous travaillions auprès d'un parent ou de notre érudit. Pourtant n'étant plus au service de Christian, je n'avais pas envie de revivre cela. De temps en temps je travaillais à la mairie avec Nina. Mais je venais de voir ma sœur disparaître, et l'envie de faire quoi que ce soit m'avait déserté. Ce que les adultes entendaient parfaitement.

Olivia et Edwige, de leurs côtés, s'étaient installées à la maison, sans doute pour nous soutenir mon oncle et moi. Mais leurs efforts pour animer la maison et nous rendre de bonne humeur ne faisait qu'accentuer ma morosité. Je pensais à ma sœur qui n'avait eu le droit qu'à une maison froide et quasi désertée et ne pouvait la voir accueillante et pleine de monde, comme si elle avait été punie. Cela rendait son absence plus pesante encore.

Je passai donc presque tout l'été enfermé dans ma chambre, en compagnie de la pierre. Car elle ne me quitta pas pendant ces deux mois. Je passais mon temps à la contempler et à me « connecter » à elle. J'avais trouvé le moyen de ressentir à nouveau cette sensation que j'avais vécue dans le grenier et il était grisant de m'y complaire. Alors tous mes problèmes me semblaient bien légers, ma vie pas aussi tragique qu'ordinairement. Et c'était grâce à une petite pierre brillante. Je ne pouvais donc m'en séparer, craignant de la perdre et devoir faire à nouveau face à la réalité. Même la nuit je dormais avec elle à mes côtés. Grâce à cela, je ne me sentais jamais seul.

Car je lui parlais, comme on parlait à une amie, à un journal intime même, car jamais je n'aurais osé parler de mes sentiments à Nicolas comme je le faisais avec elle. Et aussi étrange que cela fut, j'avais l'impression qu'elle me répondait. Non pas avec des mots, mais avec des impressions. Il est difficile d'expliquer cela. Je dirais qu'elle m'envoyait une sorte de nappe de soutien quand je lui racontais mes problèmes, d'amusement quand la situation s'y prêtait, voire de tristesse par moment. C'était une impression assez diffuse et plutôt imprécise. Je suppose que c'est ce que Kaïa entendait par ressentir les gens. Ce n'est pas aussi précis que la télépathie, comme mes contacts avec la pierre n'étaient pas aussi précis que des contacts avec des personnes. Cependant, j'avais l'impression d'avoir de la compagnie. Et quelqu'un d'assez sage pour savoir quel sentiment afficher à tel moment. C'était presque aussi parfait qu'avoir un ami, une sœur pour vous écouter et vous conseiller. Car, par moment, il m'avait semblé avoir entendu un « non » résonner dans ma tête, me dissuadant de boire ce dernier verre de bière coupée, d'utiliser la magie pour chasser une mouche qui volait dans ma chambre. Parfois, c'était un rire qu'il me semblait entendre devant certaines histoires que j'entendais aux veillées ou face à une de mes réflexions. Mais je pensais avoir rêvé ou que mon esprit somnolant l'avait imaginé. Je ne me serais de toute manière en aucun cas séparé de la pierre. Elle était ce qui m'était nécessaire depuis la disparition de ma sœur. Ou même ce dont j'avais toujours eu besoin pour que ma vie soit meilleure sans m'en rendre compte.

La pierre des mersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant