Chapitre IV : ... que je pensais morte et enterrées depuis longtemps

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On aurait dû s'y attendre.

Pourtant, Camille et moi, nous ne pûmes que rester bouche bée. Mes deux amis semblaient eux-mêmes très surpris. Je ne sais pas vraiment comment définir les sentiments que j'ai alors éprouvés. Je venais d'apprendre que ma grand-mère était plus jeune que moi. C'est impossible normalement. Mais sur le coup, je n'ai pas vraiment pensé à cela. Je cherchais juste quoi dire. Surtout que notre grand-mère ne nous ouvrit pas ses bras, comme le faisait Rosalie, la grand-mère de Nicolas, à chaque fois qu'elle passait le voir. Non. La nôtre nous examina du regard un long moment, froidement. Puis, elle détourna les yeux, pour se plonger dans sa fiole. Notre présence semblait lui être indifférente. Ma gorge se serrait. J'aurais espéré un peu plus d'affection. Mais après tous, c'était la mère de Xavier, il fallait bien que mon oncle tienne sa froideur de quelqu'un.

- Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ? Demanda Kaïa à ma grand-mère.

- Ma tante et mon père ont travaillé ensemble sur une potion pour rendre immortel, nous raconta Bruno avec un grand sourire.

Il parlait rapidement, mais de manière à ce qu'on voit à quel point, ce travail était de « la plus haute importance ».

- Il y a dix ans à peu près, ils ont enfin réussi. Ma tante, qui a été la première à y goûter, s'est retrouvée dans cet état. Du coup mon père y a fait quelques modifications avant de la prendre à son tour. Et depuis, il repasse en boucle par tous les stades de la vie : de l'enfance à la vieillesse. J'ai réussi à freiner le mécanisme. Avant il mettait deux minutes pour passer de nourrisson à vieillard. Maintenant il lui faut plusieurs heures.

La chose en elle-même était assez surprenante, même pour nous magiciens.

Je me tournai vers Jérôme et l'examinai. C'est vrai qu'il semblait plus vieux qu'à notre entrée. Mais le plus effarant, c'était que Bruno semblait trouver cela absolument fascinant. Il serait sans doute capable de nous découper, juste pour faire une expérience bizarre.

Kamélia eut un petit mouvement agacé.

- On n'est pas là pour cela ! Jeanne, j'aimerais en savoir un peu plus sur le père de tes petits enfants.

Quand je vis la tête que firent les trois scientifiques, je crus que la fée avait dit une grossièreté.

Bruno tentait de se faire tout petit. Malgré qu'il ait fait un mouvement tellement brusque qu'il a manqué de faire tomber une table en la percutant. Son père avait grimacé, en faisant de nouveaux tomber sa canne, puis échangé un regard gêné avec son fils. Quant à ma grand-mère, son visage fermé avait rougi de colère. Elle leva vers nous des yeux flamboyants de haine.

- Pourquoi ? Je ne veux pas parler de ce vaurien. Depuis sa mort, je me suis jurée de ne plus JAMAIS entendre parler de lui ! nous agressa-t-elle.

- Théophile a des pouvoirs plutôt incontrôlables. Et on aurait aimé savoir d'où cela vient.

- Son père disait en avoir aussi ! explique-t-elle avec dédain. Il évitait d'utiliser la magie pour cela. Cela ne m'étonne pas de lui, de nous léguer uniquement ses problèmes ! C'est tout lui !

Elle semblait avoir une piètre opinion de mon père. Comme Xavier. Cela ne me choqua donc pas outre mesure. Par contre, son agressivité me déconcertait.

J'échangeai un regard avec ma sœur. On était déçus. Pour une fois, j'avais cru, vraiment, pouvoir trouver une famille normale et je tombais sur une femme froide et agressive. Certes, je ne m'attendais pas non plus à ce qu'elle nous gave de sucrerie et de gâteaux fait maison, délicieux, comme la grand-mère paternelle de mon meilleur ami. Mais j'espérais au moins que comme « Mamie Rosalie », elle nous raconterait des anecdotes à mourir de rire, ou qu'elle se plaindrait de la modernité.

La pierre des mersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant