No One Will Know || chanhun

Six

Nous sommes pendus aux lèvres de Jongin. Il a la larme facile lorsqu'il raconte et nous devons nous concentrer pour ne pas pleurer nous aussi alors qu'on voyait la minuscule couche luisante et tremblotante recouvrant ses iris, qui devenait une grosse goutte d'eau salée et qui dévalait sa joue.

-Ma copine sortait avec moi parce que j'étais populaire, pour avoir de la renommée, alors qu'elle sortait avec un autre qu'elle aimait vraiment, Jongdae, mais qui n'était pas populaire. Je l'ai rencontré sans qu'elle le sache puisqu'elle était chez le coiffeur puis nous sommes devenus amis et lorsqu'il m'a demandé avec qui j'étais en couple et que je lui ai répondu Rose, il s'est figé et m'a dit que Rose était sa copine. Bien évidemment, on pouvait pas s'accuser entre nous puisqu'on savait très bien de qui le tort venait. On lui est tombés dessus tous les deux, et pour une fois, elle n'avait plus ses armes, son arrogance, elle se faisait toute petite et humiliée alors que nous étions simplement chez elle à lui expliquer à quel point ce qu'elle a fait était immonde. Jamais on irait l'humilier en public devant tout le lycée parce que nous n'étions simplement pas comme ça avec Jongdae, même si sur le coup de l'énervement, on s'est dit qu'elle l'aurait amplement mérité.

Je suis tellement heureux qu'il soit enfin débarassé de ce fardeau qu'est sa petite amie, qu'il ait réalisé à quel point elle est mauvaise. Et étrangement, ce qu'il raconte d'elle ne m'étonne même pas, et Chanyeol non plus. Mais visiblement, ce n'est pas ça qui a rendu Jongin dans un tel état mais il "était tellement en colère d'avoir abandonné le skate et ses deux grands pour une telle perte de temps" .
Même si nous pensons le contraire, on cherche à le rassurer en lui disant qu'il ne pouvait pas connaître son mauvais côté, que l'amour qu'il lui portait le rendait aveugle sur tout ce qu'elle dissimulait et maintenant, il ouvre les yeux sur sa vraie façon d'être. C'est Chanyeol qui lui dit tout cela, car moi, je ne sais pas rassurer quelqu'un, j'ai tendance à dire réellement ce que je pense et au final, mon avis n'est pas le bienvenu alors que Chanyeol, c'est le meilleur à ce niveau là. Il a toujours su me consoler lorsque j'étais triste en étant enfant et aujourd'hui, il me réconforte encore lorsque je pleure. Si je ne peux pas le consoler, c'est surtout parce qu'il n'a jamais besoin de l'être.
Jongin s'arrête de pleurer et nous remercie d'être venus, il s'excuse auprès de sa mère après que je le lui demande et nous passons l'après-midi ensemble à réparer ce que nous pouvons sauver de son massacre. Il se lamente des centaines de fois d'avoir pleuré pour une fille qui n'en valait pas la peine. Nous en profitons pour en faire un grand ménage dans la bonne humeur et sous le soleil amical de quatorze heure, puis à l'ancienne nous montons sur le toit avec quelque provisions afin de nous faire un petit festin de travailleurs. Comme si tous ces mois nous ayant séparés de notre grand Jongin ont disparu, nous avons le grand sourire aux lèvres, dévorons nos cuisses de poulet avec voracité, les yeux plissés d'éblouissement et assis sur nos t-shirts.

Après être descendus du toit, nous entrons dans le garage, lieu utilisé uniquement par Jongin, où tous ses skates sont entreposés depuis son enfance mais au départ, c'était censé être un garage. Il se saisit de son dernier skate, qu'il avait pensé poser ici à tout jamais s'il s'était vraiment engagé avec Rose mais il le reprend d'une main assurée. Je suis fier de lui, et déduis qu'à son regard, Chanyeol aussi. C'est drôle tout ça, il y a encore quelques temps, c'était notre idole, le grand Jongin qui nous regardait d'un œil fier, car tout ce que l'on accomplissait, c'était son œuvre. Mais aujourd'hui, ce sont les disciples qui sont fiers que leur mentor s'adonne de nouveau à sa passion délaissée.

Puis nous nous en allons à la rampe, et Jongin se met à pleurer d'émotion, alors cela nous fait rire, nous, déjà en haut du bloc. Jongin s'approche, tape dans le métal bricolé avec le bout de sa chaussure et je vois ses lèvres trembloter discrètement, les doigts agrippant fébrilement la planche. Je ne me moque pas, Chanyeol non plus, on attend patiemment. Je comprends bien ce qu'il ressent, je pense que moi aussi, si j'avais plus revu l'œuvre de mes mains inscrite dans ma vie depuis mon plus jeune âge pendant presque un an, j'aurai réagi de la même manière, comme si je le redécouvrait aussi. Je pense même que Chanyeol aurait pleuré aussi, lui qui ne pleure jamais. Mais en y repensant, il n'y a rien avec quoi j'ai grandi qui puisse me faire pleurer si je venais à m'en séparer, excepté mon skate, et Chanyeol. C'est ça, je pense que si Chanyeol et moi on se sépare en étant plus grands, je serai totalement perdu, je n'aurai plus foi en rien, et je serai mal dans ma peau. Je ne préfère cependant pas y penser puisqu'il est aujourd'hui à mes côtés et on ne compte pas se quitter de sitôt, jamais c'est l'idéal.

Nous restons là, en silence, que Jongin, d'un bond agile, nous rejoigne ce qu'il fait après encore quelques minutes, un immense sourire au lèvres que nous lui rendons, il pose un pied sur sa planche et entame sa descente, prudemment. La deuxième est déjà plus naturelle puis c'est comme s'il n'avait jamais arrêté. Ainsi, entre les cris, les rires et les discussions sur nos vies, nous sommes redevenus comme auparavant, notre grand Jongin est redevenu notre Jongin cette fois moins grand que nous.

Je suis heureux, tellement heureux d'avoir pu renouer notre trio, je me concentre pour éviter de pleurer parce que je sais que Jongin passe son temps à me taquiner lorsque cela m'arrive alors que je me qualifie habituellement de "caïd " et essaie de maintenir cette image devant tout le monde. Seul Chanyeol sait que je ne le suis pas autant que je le prétends, et je n'ai pas peur de montrer qui je suis vraiment à ce cornichon. Parfois, je le regarde et je me dis qu'il est plus important que quinconque à mes yeux, que j'ai besoin de ce bêta et que je ne peux pas m'en séparer même si je ne le lui montre pas, même si je ne le lui dis pas, il le sait. L'envie me prends parfois de le serrer dans mes bras, de lui dire des tonnes de mots niais mais après mes quatorze ans, j'ai arrêté de céder à ces envies puériles, même si je les éprouve toujours. Quelques moments de vulnérabilité où j'ai besoin de l'affection de mon meilleur ami avec qui je partage ma vie, où j'ai besoin de lui dire à quel point il m'est important, lui montrer combien je l'aime.

Mais l'heure n'était pas aux niaiseries, plutôt aux courses de natation dans l'étang, en sous-vêtements. L'eau prends la couleur du soleil qui se couche, un orange magnifique, comme la tête de mort etiolée sous mon skate.

Jongin n'a pas nagé depuis des lustres lui non plus, c'est très drôle à voir le temps qu'il mets pour entrer dans l'eau tandis que nous, d'un plongeon irréfléchi d'en haut du grand rocher plat, nous atterrissons tête la première dans l'étendue orange.