Trois

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La rentrée, quel fléau. Maintenant, c'était nous les collégiens, même s'il y avait plus d'obligations et de travail, on se sentait plus libres qu'en primaire. Et puis, derrière, il y avait un complexe sportif avec un endroit pour le skate. En le découvrant, on avait été tellement excités avec Chanyeol à l'idée de passer nos récréations là-bas même si ces petites pentes en métal ne valaient pas le quart de notre rampe à nous. Mais on nous a dit qu'on pouvait pas sortir du collège aux récréations ou entre les cours. Avec Chanyeol, on s'est demandé à quoi ça servait de nous envoyer dans une école pour les grands si c'était pour nous surveiller encore comme des petits. Du coup, on faisait du skate dans la cour, dans un endroit désert, caché du bureau des surveillants et où personne n'allait jamais. On ne faisait pas de bazar, on n'embêtait personne, on était très bien Chanyeol et moi, juste tous les deux.

Et les semaines ont passé, quand on ne faisait pas de skate, on parlait de tout et de rien, les profs, les cours. On parlait des grands skaters qu'on idolâtrait, vantait leurs exploits en se promettant d'apprendre telle ou telle figure impossible un jour. Un jour... Ça me paraissait loin, un jour. On dirait ce que les parents nous disent pour qu'on oublie une promesse qu'ils nous ont faite. Un jour, c'était trop vague, alors on s'est promis qu'à quinze ans on apprendrait ces figures.

On a pu voir la neige tomber, les arbres se pencher, la pluie s'écraser, chaque nuit sans exception, on s'asseyait en haut de la rampe et on discutait, encore et toujours en faisant attention à ce que personne ne nous voie. Le week-end, parfois, le grand Jongin nous rejoignait lorsqu'il faisait bon puis pendant quelques mois, puis presque toutes les grandes vacances, on ne l'a pas revu. Ça nous a beaucoup intrigué, alors, un après-midi où ça tapait fort, on est arrivés trempés de sueur chez les parents du grand Jongin pour leur demander pourquoi celui-ci ne venait plus. Ils nous ont juste dit qu'il passait les vacances avec la personne qu'il aime.

Ça nous a un peu surpris comme le grand Jongin avait changé. Il était toujours aussi grand, mais il avait les joues plus creuses, alors qu'avant elles étaient toutes rebondies. Avant il était bronzé, maintenant il était plus pâle. J'avais toujours vu cette petite lumière dans ses yeux quand il avait son skate, et maintenant il ne l'avait plus, cette lumière. J'ai regardé Chanyeol, qui m'a regardé aussi, je comprenais son regard et je savais qu'il comprenait le mien. Le grand Jongin avait arrêté le skate, et il tenait la main de cette cruche qui lui a fait arrêter le skate. Chanyeol lui a proposé de venir en faire un peu avec nous alors que j'essayais de ne pas lancer de regards noirs à la fausse blondasse qui se dandinait au bras de notre Jongin tout en gardant les yeux sur son écran de téléphone. Elle devait se demander pourquoi son copain perdait du temps à causer avec des petits et je pariais qu'elle allait râler qu'il ne fasse pas attention à elle.

-Non, désolé, je n'ai plus de skate les gars.

Et je ne pus me retenir plus longtemps, je foudroyais la gourde du regard. J'étais certain que c'était de sa faute et je me demandais un moment comment le grand Jongin faisait pour aimer cette bécasse, moi j'ai vu tout de suite qu'elle l'aimait pas, elle. Et j'étais triste pour lui. Ah, ça y est, elle se met à râler. "Bon bébé, tu fous quoi là avec les p'tits, c'est bon ils t'ont vu on peut rentrer maintenant? ". C'est super, je l'aime de plus en plus, celle-là. Chanyeol m'a regardé, et encore une fois, j'ai compris qu'il pensait comme moi. Il n'a pas contesté, j'ai alors compris qu'il était entièrement à sa merci. J'avais pas pour habitude de dire du mal de celui que je considérais comme une idole, mais bon dieu qu'il était con.

Nous sommes partis à la rampe tous les deux, assez déçus de ne pas avoir pu passer un peu de temps avec celui qui nous a fait aimer le skateboard, celui qui nous a passionné, qui nous a tout appris, qui a été patient avec deux petits débrouillards d'à peine cinq ans. Et le voilà, après six mois d'absence, avec une potiche de service, complètement différent, pas  comme le grand Jongin qu'on avait connu et admiré.

Adossés contre la rampe, il y avait un grand silence parce que cet après-midi là, nous n'avions pas le coeur à faire du skate. C'est après quelques minutes, que Chanyeol pris la parole.

-Il faut espérer qu'il réalise que cette fille est mauvaise...

J'ai acquiescé, il avait raison. Je regardais l'espace autour de moi, cet étang, ces arbres, ce parc et cette rampe. Ça m'aurait enchanté avant mais ça ne m'amusait pas de l'admettre. Désormais, cette vieille rampe en bois rafistolé nous appartenait, Chanyeol et moi, deux petits collégiens.

Et ça me dégoûtait aussi, mais j'avais l'impression qu'on m'avait volé une partie de moi, le grand Jongin... Je ne le répéterai jamais assez, mais c'était de lui que tout à commencé, pour moi et j'étais certain que pour Chanyeol aussi, il était un modèle. Les yeux qui ne regardaient nulle part, repensant à cette colère mêlée de tristesse qui m'habitait, je commençais à pleurer sans même m'en apercevoir. Alors les choses se sont faites toutes seules; j'ai commencé à pleurer pour de vrai même si je n'aimais pas montrer de faiblesse, et Chanyeol s'est assis à ma droite puis, tout naturellement, je penchais vers lui de moi-même, ma tête se posa sur son torse et mes bras l'encerclèrent. Il m'a pris dans ses bras et me murmurait que ça irait mieux. J'ai alors réalisé où était ma place, là où je me sentais bien, pas sur un skate ou une rampe, mais bien auprès de Chanyeol, ce grand cornichon qui se comportait comme un grand frère parce qu'il faisait une tête de plus que moi. Je me suis rendu compte à quel point il était important pour moi, comme je tenais beaucoup à lui et ne voulais jamais m'en séparer.

No One Will Know || chanhunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant