Sept

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Il faisait nuit. Quelle heure, ça je ne saurais pas le dire puisque ma montre était inutile dans une telle obscurité, et mon téléphone était resté à la maison.

-Je t'avais dit qu'on devait pas tourner dans cette rue, on voit que dalle! me hurlait Chanyeol.

C'était bien la seule chose de drôle ici. Les rues étaient étroites, désertes, parfaitement silencieuses et plongées dans une obscurité presque sordide et ça le faisait paniquer, il perdait son sang froid. Il n'a pas peur du noir habituellement, mais il fallait dire que nous étions dans un décor plutôt angoissant et j'avais peur aussi. Madame Park nous avait dit que nous avions quartier libre pour le week-end, et cela voulait dire que l'on pouvait faire tout ce que l'on désirait faire et l'idée nous a sauté dessus.

Il fallait arpenter les ruelles de nuit en skateboard. Mais à présent, il fallait avouer que l'on regrettait un peu, surtout après avoir fait un peu la fête sur la plage.

Après avoir finalement pu rejoindre une rue plus large et éclairée par de faibles lanternes artisanales, Chanyeol lâcha ma main. En y repensant, je me disais que Chanyeol a eu beau avoir peur, sans le crissement rassurant des roues de son skateboard près de moi, de sa poigne douloureuse et ses incessantes plaintes, je n'aurais pas été serein non plus. Au moins, ses plaintes comblaient le silence de mort et j'étais certain que c'était plus pour se rassurer qu'autre chose s'il râlait, parce que ça m'étonnait un peu. Il n'y avait toujours pas le moindre passant,  et l'éclairage restait à désirer mais nous pouvions au moins entrevoir le ciel et la lune. Peu à peu, nous pouvions à nouveau entendre le semblant de brouhaha qui résonnait des grandes rues piétonnes au loin. Au fil de nos pas, je devinais Chanyeol de plus en plus détendu, puisque bientôt parvint à nos tympans la douce valse des vagues. Nous avions retrouvé notre voie, après près d'une heure d'errance dans les ruelles les plus sombres. De retour sur la plage, nous marchions sur le sable humide, laissant nos pieds nus se recouvrir d'eau salée par les jeunes vaguelettes, au seul son de celles-ci.

Planche en main, nous ne prononcions pas le moindre mot, profitant de cette rare harmonie que nous ne prenions jamais le temps d'apprécier à sa juste valeur, et observions nos orteils disparaître sous l'écume. Si je tournais la tête, le vent en profiterai pour remettre en bataille sur mon front mes mèches rebelles que je m'étais appliqué à placer en arrière, ayant la chance d'avoir un vent de face. Je n'osais donc pas regarder Chanyeol qui était à ma droite du côté de l'océan et sa silhouette que je devinais du coin de l'œil. Sombre, tête baissée, sa planche dans une main et ses chaussures dans l'autre, mais je sentis vite qu'il s'était arrêté et je l'imitai, curieux et prêt à poser la question mais c'était inutile.

Il enlevait son bermuda, puis son t-shirt après avoir posé planche et chaussures, pour se retrouver simplement en sous vêtements, debout, face à l'étendue infinie, seulement parsemée de ses lueurs lunaires. Je fus pris d'admiration devant cette situation presque mythique, comme si par acte de bravoure, il défiait les étendues infinies, le vent, le ciel et l'océan en se tenant droit et fier face à eux. Il se tourna lentement vers moi, ce que je n'eus remarqué que lorsqu'il m'appela. "Viens" et je l'imitai aussitôt, plus tard, nous courions de plus en plus loin sans prêter attention au niveau qui grimpait sur notre corps et nous finissions bientôt de l'eau jusqu'à la nuque.

C'était surprenant. Nous avions beau parler de tout et n'importe quoi depuis notre plus jeune enfance, jamais nos sujets de conversations ne se tarissaient. Il y avait toujours des choses à se raconter bien que Chanyeol soit le plus bavard de nous deux, il fallait avouer que je savais être une vrai pipelette aussi. Or, à la différence d'autres, je ne parlais pas pour ne rien dire; je considérais nos sujets de conversation riches et variés, aucun discours n'était creux entre Chanyeol et moi.  C'était notre habitude nager presque tous les jours dans l'étang, flotter en étoile de mer sur le dos, mais avec les vagues, c'était différent. Nous n'avions pas peur, au contraire, leur danse si fluide et harmonieuse nous berçait en un sens. Aucun mot n'était échangé depuis une vingtaine de minutes, nous étions toujours allongés sur le dos, flottant aisément grâce à la haute salinité des eaux. Je tenais le doigt de Chanyeol, qui s'était probablement endormi de peur que le courant ne l'ai emporté à l'autre bout du monde, loin de moi. Peut-être dérivions nous au large, de l'autre côté de la planète, mais au moins, nous serions ensemble, alors je ne me sentirai pas perdu.

Moi, je regardais la Lune, elle n'était pas pleine, et même, elle n'était pas à moitié pleine, juste assez pour voir les reflets dans l'eau, dansant d'une vaguelette à l'autre. Je me fichais des créatures mystérieuses et effrayantes qui se cachaient sous les eaux sombres, invisibles, tapies entre leurs coraux à nous observer, comme deux cadavres flottants. Peut-être même nous prenaient-ils déjà pour des cibles de chasse et dans la minute qui suivra un géant à dents tranchantes jaillira hors des remous pour nous déchiqueter tous les deux en quelques secondes, membre par membre. Peut-être que les mouettes nous prenaient déjà pour morts et se poseraient bientôt sur nous pour nous dépecer progressivement et nous priver de morceaux de chair pour aller nourrir leurs oisillons perchés sur des récifs à quelques kilomètres de là.

Je m'en fichais. Je n'avais pas peur. C'est la lune qui me l'a dit, de ne pas avoir peur. J'en étais certain. Mais bon, elle devait exister depuis longtemps, cette lune, elle a dû voir tout ce qu'il était possible et imaginable de voir, elle n'avait plus peur de rien. Moi, je n'avais que seize ans...

-Chanyeol?

Il ne me répondit pas tout de suite, il devait avoir les oreilles sous l'eau. Je me redressai en position verticale, constatant que le sol se trouvait très loin sous mes pieds, j'en profitai également pour me rendre compte que la rive était extrêmement loin, que je la voyais à peine, nous allions mettre au moins quarante minutes pour y revenir en nage de course, en prenant en compte le fait que la houle commençait à se lever. Je regardais le visage tout à fait serein de Chanyeol endormi, sans se douter que nous étions à quelques kilomètres de la rive. Je le secouai doucement, en essayant de flotter.

-Mmh...? il émergea.

Une fois totalement conscient de la situation, je lui informai que nous avions beaucoup dérivé et que nous devrions nous mettre à nager dès maintenant. Alors nous voilà partis, en crawl, un crawl rapide. Chanyeol, à peine réveillé me devançait déjà mais essayait de ne pas me semer de trop de peur de me perdre. Nous profitions de l'élan de certaines vagues pour nous propulser quelques dizaines de mètres en avant lorsque nous parvenions à nager assez vite pour que la vague nous cueille. J'avais beau être endurant, cela devait faire une demi-heure que je faisais des mouvements de crawl rapide, je m'épuisais rapidement et la rive semblait ne jamais s'approcher, de plus, nous étions au large donc aucun récif auquel se cramponner pour récupérer.

Dix minutes de plus, la cadence avait ralenti considérablement et nous avons trouvé plus judicieux de nager très lentement et de profiter de l'élan des vagues d'une hauteur croissante nous faisant fuser.

Telles deux algues, nous nous échouons sur le sable parsemé de galets et coquillages tranchants, nous griffant probablement le corps. Pour le moment aucun de nous deux n'avions la force de se lever pour retraverser la plage retrouver nos affaires, alors, exténués, nous rampions quelques mètres jusqu'au sable sec. L'eau sécha rapidement sur notre corps laissant son sel brûlant sur notre peau, dans nos cheveux, nos yeux, notre bouche et nos oreilles. Je sentais le sable s'incruster sur toute la moitié gauche de mon visage, puis, dans un effort incroyable j'ouvris les yeux pour voir Chanyeol près de mois, déjà inconscient. J'ignorais où je pouvais encore trouver l'énergie de faire ce que je fis, mais je délogeai ma main de sous mon torse et l'avançai prendre la sienne avant de m'écrouler, à bout de forces.

No One Will Know || chanhunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant