Chapitre 6

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Pendant qu'Emma faisait ses emplettes, Regina s'affairait à la caisse, tout en l'observant du coin de l'œil. Elle remit de l'ordre sur le comptoir, surveilla sur l'écran vidéo Henry en train de pêcher, examina le coloriage d'Alice.

Ces dernières semaines, la jeune femme blonde avait changé. Elle se révélait, notamment, un peu moins nerveuse en la présence de la négociante, comme si l'incident avec Henri les avait rapprochées. Leur précédente conversation ne resterait certes pas gravée dans les annales, mais c'était un commencement, non ?

Le commencement de quoi, au juste ?

Dès qu'elle l'avait vue la première fois, Regina avait senti que cette femme avait été profondément traumatisée. La manière dont les yeux de cette dernière étaient aux aguets, comme s'ils guettaient un danger. La manière que celle-ci avait d'éviter tout contact, physique ou verbal. Cette tension glacée dans tout son corps lorsqu'elle entrait en interaction avec les autres. D'instinct, la militaire lui serait volontiers venue en aide. Elle avait été, de plus, touchée par la façon dont la blonde avait réconforté Alice lorsqu'Henry avait failli se noyer.

Bien sûr, elle ne s'en cachait pas, elle la trouvait jolie, malgré ses tenues banales. Ce n'était pas, cependant, ce qui avait attiré son attention en premier lieu. Il s'agissait de quelque chose de plus primaire, un profond désir de protection, qu'elle n'avait jamais éprouvé auparavant et qui ne ressemblait nullement à celui qu'elle ressentait pour ses enfants, ou qu'elle avait eu pour Daniel. Un sentiment si curieux qu'il l'intriguait totalement, au point qu'elle n'avait nulle intention de le voir disparaître.

Encore fallait-il qu'Emma la laissât approcher. Car la si frêle et si pâle jeune femme blonde demeurait un mystère. Regina l'observa encore, se demandant qui elle était vraiment et ce qui avait bien pu la faire venir à Storybrooke. La jeune femme se tenait, pour le moment, devant l'une des armoires réfrigérées. La brune remarqua que cette dernière tripotait distraitement son annulaire gauche avec les doigts de sa main droite, comme si elle faisait tourner une alliance imaginaire. Le geste évoquait quelque chose de familier et de relégué dans le passé.

À présent, elle ne pouvait cesser d'observer Emma tripoter cette alliance invisible. « Elle a été mariée », songea-t-elle. Qu'elle eût déjà divorcé ou non, Regina avait le pressentiment qu'elle craignait encore cet homme, ou cette femme.

L'orage explosa à l'instant où la jeune femme blonde s'emparait d'un paquet de riz. Il y eut un éclair et, quelques secondes plus tard, un coup de tonnerre, qui finit par se transformer en un grondement puissant et rageur. Henry revint à l'intérieur juste avant que le déluge ne se mette à tomber. Cramponné à sa trousse de pêche et à sa canne.

— « Hé, maman ! »

Regina leva le nez :
— « Tu as attrapé quelque chose ?
— Toujours les mêmes poissons.
— Je te revois plus tard, ok ? »

Le petit garçon disparut dans la réserve.

Dehors, il tombait des trombes d'eau que le vent projetait par intermittences contre les vitres. Les branches se courbaient, comme sous l'emprise d'une force implacable. De là où elle se tenait, Regina pouvait voir Emma tressaillir, le visage pétrifié par la surprise et la peur du tonnerre. La porte s'ouvrit : un homme aux cheveux gris s'empressa d'entrer dans le magasin. Il salua la commerçante d'un bref hochement de tête, fila vers le rayon de bière.

Emma se détourna de l'étagère, avant d'apporter son panier rempli au comptoir. Lorsque Regina eut fini de taper toutes les références et de glisser les articles dans des sacs, elle dit :
— « N'oubliez pas les légumes ! »

Emma lorgna le montant affiché sur l'écran :
— « Vous êtes sûre de n'avoir rien oublié ?
— Certaine. »

Les gens s'attardaient dans la file d'attente, observant l'orage avec une certaine méfiance. La jeune femme brune les entendait marmonner. Elle fit signe à David, son associé, de venir l'aider. La blonde inspira un grand coup, comme pour se donner du courage, et s'empara de ses sacs.

— « Miss Emma ! S'écria Alice d'un air affolé. Tu as failli oublier mon dessin. »

Emma saisit la feuille et l'examina d'un air ravi. Regina eut la sensation de vivre un instant de bonheur !

— « Magnifique, murmura Emma. J'ai hâte de l'accrocher chez moi !
— Je vais t'en faire un autre pour la prochaine fois où tu viendras.
— Cela me ferait extrêmement plaisir. »

Heureuse, Alice se rassit à sa petite table. Emma roula la feuille en veillant à ne pas la froisser, puis la glissa dans un sac. Des éclairs zébrèrent de nouveau le ciel, la pluie pilonnait le sol et une multitude de flaques d'eau jonchaient le parking, sous un ciel plus sombre que jamais.
« Vous savez combien de temps c'est censé durer ? Demanda la jeune femme blonde.
— J'ai entendu dire qu'on en aurait presque pour la journée, répondit Regina.
— Tu devrais ramener Miss Emma chez elle, dit Alice en tirant sa mère par la chemise. Elle n'a pas de voiture et il pleut fort. »

Regina regarda la serveuse, sachant qu'elle avait entendu la petite.
— « Voulez-vous que je vous dépose ?
— Non, ça va aller.
— S'il vous plait, Miss Emma », dit Alice.

Comme la barmaid ne réagissait pas, la négociante sortit de dernière la caisse :
— « Venez, dit-elle, en faisant un signe de tête. Ma voiture est garée juste derrière.
— Je ne veux pas vous déranger...
— Cela ne me dérange pas. Alice, mon lapin ? Tu veux bien prévenir Henry que je reviens dans dix minutes ?
— Bien sûr, maman.
— David ! Je te confie le magasin et les petits, d'accord ?
— Pas de problème ! répondit son associé.
— Vous êtes prête ? », reprit la jeune femme brune à l'adresse de la blonde.

Elles se ruèrent vers la jeep. Des éclairs crevaient les nuages. Une fois dans le véhicule, Emma passa la main sur la vitre pour en essuyer la buée tandis que Regina démarrait.

— « Vous n'êtes pas de la région ? Demanda la serveuse.
— Non. Mon mari l'était. Je viens de Boston.
— Oh !
— Au fait, où suis-je censée vous ramener, Emma ?
— Continuez tout droit, et après à gauche. C'est peu après le tournant.
— Vous parlez de la petite route qui est là ?
— Exact », acquiesça la barmaid.

Profitant d'être seule avec la jeune femme blonde, la brune tenta d'en savoir un peu plus sur elle :
— « Quelqu'un m'a dit que vous travailliez au restaurant Chez Granny ?
— Oui, j'ai commencé en avril.
— Cela vous plaît-il ?
— Ça va. C'est juste un boulot, mais la patronne s'est montrée sympa avec moi.
— Granny ?
— Vous la connaissez ? S'étonna Emma.
— C'est un petit village, ici. Tout le monde connaît Granny.
— Vraiment ?
— Oui, j'aime bien Granny... C'est une femme sympathique.
— C'est vrai qu'elle est géniale !
— Elle vous aime bien, continua Regina. Alice, je veux dire.
— Moi aussi, je l'aime bien. Elle a l'esprit vif... Une vraie personnalité.
— Je le lui dirai. Et merci pour elle.
— Quel âge a-t-elle ?
— Cinq ans. Elle va entrer à l'école cet automne. Le magasin va me sembler bien calme.
— Je comprends », répondit la serveuse, qui soudain eut envie d'en savoir plus sur la femme qui la ramenait si gentiment chez elle. Elle demanda timidement : « Que faisiez-vous avant ?
— J'étais dans l'armée. Pendant plus de dix ans. De quatorze à vingt-huit ans. Ce fut une bonne expérience et je suis contente de l'avoir vécue. »

La jeune femme blonde pointa l'index vers le pare-brise :
— « Au tournant, nous serons arrivées. »

Regina s'engagea sur le chemin, puis ralentit.
— « Laquelle est-ce ? Demanda-t-elle.
— Celle de droite.
— Je vous laisse les courses devant la porte.
— Vous n'êtes pas obligée.
— Vous ne me dérangez pas, Emma.
— Merci Regina. Vraiment... »

Mais la jeune femme brune ne la laissa pas finir :
— « Vous êtes une bonne cliente et j'aime bien aider mes clients. » Elle ajouta avec un salut vaguement militaire : « À votre service !
— Merci Regina, bonne fin soirée.
— De rien. Et bonne fin soirée à vous également. »

Emma rentra chez elle. La militaire retourna au magasin. Mais, alors qu'elle travaillait, ses pensées dérivèrent spontanément vers la serveuse. Une femme, cela faisait tout drôle, tel un écho du passé. Au fond, elle s'en moquait totalement : on aime une personne, pas un sexe.

Un amour éternelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant