Chapitres 11

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Le vendredi, la serveuse poussa la porte de l'épicerie une demi-heure à peine après l'ouverture. La veuve se retourna. Son visage, en reconnaissant la blonde, s'éclaira d'un sourire spontané. Cette joie soudaine à se revoir les surprit toutes les deux. Les jeunes femmes se figèrent, leurs regards enfouis l'un en l'autre. Émeraude contre ébène. La douceur et la sérénité de la brune troublèrent la barmaid, avant de l'apaiser. La commerçante se reprit subitement, détacha ses pupilles comme si elle craignait d'avoir été trop intense.

— « Vous êtes matinale ! Remarqua-t-elle d'un ton neutre.
— Je me suis levée tôt.
— Est-ce que cela signifie que les choses se sont calmées à votre travail ?
— Oui. Comme je vous l'avais dit, nous manquions de personnel cette semaine : une collègue était partie au mariage de sa cousine tandis que l'autre était malade.
— Vous avez donc dû assurer seule le service.
— Oui, confirma Emma. Je m'en suis sortie toute seule, comme une grande, ajouta-t-elle avec une fierté presque enfantine.
— Je n'en ai jamais douté. Travaillez-vous également ce week-end ?
— Granny m'a donné mon samedi. Elle a dit que je méritais de me reposer, maintenant que les deux autres serveuses sont revenues. Pourquoi ?
— Je me demandais si... Enfin... J'aimerais vous inviter à dîner. Rien que nous deux, cette fois-ci, sans Henri et Alice. Accepteriez-vous ? »

L'orpheline savait que toutes deux se trouvaient à la croisée des chemins, à un point décisif susceptible de changer la teneur de leur relation. C'était ce qu'elle avait conclu de sa semaine de réflexion. Leur échange visuel quelques instants auparavant le confirmait : pour la première fois depuis qu'elles se connaissaient, la jeune femme blonde était certaine d'avoir envie d'être invitée par la brune.

Celle-ci, cependant, interpréta mal son silence, montrant une fois encore combien elle respectait les émotions de la jeune serveuse.
— « Peu importe. Je proposais cela à tout hasard...
— Oui, répondit hâtivement Emma en regarda Regina droit dans les yeux. Cela me ferait plaisir de dîner avec vous. Mais à une condition.
— Je vous écoute.
— Vous avez déjà beaucoup trop fait pour moi. Il serait juste que je vous rende la pareille. Pourriez-vous venir chez moi ? Je préparerai le repas.
— Cela me semble parfait. Je sais que David, mon assistant, pourra garder les enfants. À quelle heure souhaiteriez-vous que je vienne ?
— Vingt heures vous conviendrait-il ?
— Oui. »

Elles se sourirent.

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Le samedi, Emma se réveilla plus tard que d'habitude. Les rayons de soleil traversaient la vitre et striaient son lit. Des coups de marteau résonnaient à l'extérieur. Un regard furtif sur le réveil lui indiqua qu'il était déjà plus dix heures. Elle s'en étonna. Elle dormait mal d'habitude : des cauchemars récurrents l'éveillaient plusieurs fois dans la nuit, toutes les deux heures très exactement, jusqu'à ce qu'au petit matin elle abandonnât l'idée même du sommeil. Toujours blottie dans son lit, il lui vint à l'esprit que c'était peut-être parce que les choses lui paraissaient plus claires avec Regina, que son sommeil avait été meilleur parce qu'elle s'était sentie protégée par elle. Protégée, et non prisonnière.

Lorsqu'elle fut debout, elle étouffa un bâillement, puis gagna la cuisine où elle alluma la petite machine à expresso qu'elle avait achetée quelques jours auparavant. Il y avait maintenant plusieurs mois qu'elle se trouvait à Storybrooke et, petit à petit, elle avait acquis tous ces objets de première nécessité qu'elle ne possédait pas lors de son arrivée, reléguant dans le garde-meuble de sa propriétaire ceux dont elle n'avait plus l'usage. Non pas que les couverts et les assiettes laissés par Mary Margaret ne fussent pas jolis, mais elle préférait que les ustensiles de son quotidien reflètent ses propres goûts.

Elle avait été plus que surprise d'éprouver ce désir de posséder des choses qui indiquaient son envie profonde de rester durablement dans la petite ville. Elle avait beau savoir qu'un jour son passé la rattraperait, elle n'avait simplement pas pu s'en empêcher. Elle avait cependant longtemps résisté à cette envie. Elle s'était finalement dit qu'il suffirait de tout abandonner lorsqu'elle devrait s'enfuir, l'essentiel étant que son sac à dos soit toujours prêt, juste au cas où. L'argent, de fait, n'était plus un problème, son pécule étant dorénavant particulièrement conséquent. Elle avait pensé que c'était un bon moyen de dépenser cet argent en trop, notamment parce qu'elle ne pouvait pas ouvrir de compte en banque, et qu'elle ne trouvait pas prudent de posséder plus de cinq cents dollars dans son sac à dos. Aussi avait-elle peu à peu acheté des objets qu'elle avait soigneusement choisis, séduite par leur beauté et leur finesse. Elle ne put ce matin, que se réjouir de cette décision, car c'était ce soir que devait venir Regina.

Un amour éternelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant