Chapitre 8

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En revenant de l'épicerie, la jeune femme blonde gara son nouveau vélo dernière sa maison, où elle entra se changer. Elle mit un maillot de bain noir en guise de sous-vêtements, s'observa attentivement dans la glace. Elle fut heureuse de constater qu'elle ne s'était pas trompée en l'achetant, lorsqu'elle avait hâtivement vérifié que le vêtement cachait bien les cicatrices dues à son passé, cicatrices que le temps et les remèdes n'avaient pu effacer. Pour l'instant, espérait-elle. Mais elle savait qu'elle avait déjà perdu cet espoir, que son corps serait marqué à vie.

Elle prépara un peignoir pour la plage, dont elle savait qu'il la recouvrait entièrement, jeta un dernier coup d'œil au miroir. Bien qu'aucun stigmate ne soit apparent, à part quelques zébrures sur les jambes qui, elle l'espérait, pouvaient passer pour les traces d'un accident, la jeune femme blonde ne se sentait pas à l'aise dans cette tenue qu'elle devait porter devant Regina. La présence de ses enfants ne changeait rien au problème. Elle devait admettre, quoique l'idée la dérangeât, que la jeune femme brune l'intriguait. Non à cause des attentions qu'elle avait eues à son encontre, si touchantes fussent-elles. Non.

C'était plutôt à cause de son sourire, à cause de son regard profond qui s'infiltrait à l'intérieur d'Emma comme une caresse, à cause de la manière aimante, douce, dont elle s'occupait d'Alice et d'Henri. Il y avait autre chose aussi, quelque chose qu'elles avaient en commun : la jeune veuve ne pouvait camoufler cette solitude qui transparaissait dans sa personnalité. C'était cette solitude qu'elles partageaient.

L'orpheline comprit également qu'elle intéressait Regina. Elle avait suffisamment vécu pour savoir interpréter les attitudes des hommes et des femmes qui la trouvaient séduisante, avait passé suffisamment de temps à les éconduire car elle n'était plus capable de croire en l'amour.

C'était différent, cependant, avec la jeune femme brune. La barmaid en avait plus que conscience. Elle savait qu'elle aurait dû continuer de rejeter l'ancienne militaire, mais, sans que la serveuse ne sût pourquoi, son habituelle méfiance s'était bloquée en elle, lui faisant accepter l'invitation, signe que la négociante se rapprochait imperceptiblement. Elle ne savait que penser de cela : tandis que ses pensées lui ordonnaient de fuir, son instinct lui disait de rester. Peut-être que cette journée lui permettrait d'y voir plus clair. Elle l'espéra.

Elle ouvrit ses tiroirs pour en sortir un pantalon de plage, une chemise légère et des sandales. Sitôt habillée, elle vit la voiture de la commerçante s'approcher sur la route en gravier. Elle prit une profonde inspiration lorsque celle-ci se gara devant chez elle : il était temps d'affronter la réalité.

— « Tu dois mettre ta ceinture, prévint Alice sur la banquette arrière, une fois que l'orpheline se fût installée à côté de Regina. Ma maman ne veut pas rouler sinon.
— Emma sait parfaitement cela, dit sa mère, allons-y ! »

La jeune femme brune se gara dans un petit parking. La barmaid descendit du véhicule et contempla l'océan. Les enfants sortirent à leur tour, se ruèrent immédiatement vers la plage.

— « Je vais voir si l'eau est bonne, Maman ! Cria Henry, masque et tuba à la main.
— Moi aussi ! » Renchérit Alice dans son sillage.

La jeune veuve était affairée à décharger l'arrière de la voiture.
— « Attendez deux minutes, d'accord ? » Dit-elle.

Henry soupira en trépignant tandis que sa mère sortait la glacière.
— « Vous avez besoin d'un coup de main ? Proposa Emma.
— Non, merci, je vais me débrouiller. En revanche, voudriez-vous leur mettre un peu de crème solaire et garder un œil sur eux pendant ce temps ? Ils ne tiennent pas en place.
— Aucun problème. » La jeune femme blonde s'adressa alors à Alice et Henry, tout en prenant le tube que lui tendait la négociante : « Venez près de moi tous les deux. »

Regina passa la minute qui suivit à observer la douceur avec laquelle la barmaid étalait la crème solaire sur le corps de sa progéniture. Rassurée, quoiqu'elle ne s'était pas vraiment inquiétée, ayant déjà confiance dans la manière dont la serveuse appréhendait les enfants, l'ancienne militaire installa leurs affaires près de la table de pique-nique la plus proche de la dune, là où la marée haute ne risquait pas de gagner du terrain. Bien qu'il y eût d'autres familles par-ci par-là, cette partie du rivage leur était quasiment réservée.

Emma avait enlevé ses sandales mais gardé ses vêtements. La négociante pensait savoir pourquoi, car elle avait déjà remarqué les cicatrices que la jeune femme blonde cachait. La commerçante ne poserait cependant aucune question : non seulement ce serait indiscret, mais elle sentait une terrible histoire derrière ces marques, une histoire qu'elle connaîtrait peut-être un jour lorsque l'orpheline lui ferait suffisamment confiance. Elle était néanmoins certaine que la barmaid ne se baignerait pas devant eux bien qu'il fût évident qu'elle aimait la mer.

Celle-ci restait d'ailleurs au bord de l'eau, tandis que les gamins s'éclaboussaient et pataugeaient à qui mieux. La jeune femme aux cheveux dorés avait croisé les bras. Même à distance, la veuve avait noté une expression de satisfaction sur son visage, ce qui était rare chez cette dernière. Elle s'approcha :
— « Difficile de croire qu'on a eu un orage hier, n'est-ce pas ?
— Oui... J'avais oublié combien l'océan me manquait.
— Cela fait longtemps ?
— Trop longtemps... »

Elles observèrent les enfants en silence. Henry faisait des allers-retours dans l'eau tandis qu'Alice s'était accroupie en quête de coquillages.

« Ce ne doit pas être évident parfois de les élever toute seule, reprit Emma.
— La plupart du temps, ce n'est pas si difficile. Mon mari et moi est mort peu après la naissance d'Alice. Désolée...
— De quoi ?
— J'ai l'impression que chaque fois que nous discutons, je finis par parler de mon mari.
— Pourquoi ne pas en parler ?
— Parce que je ne veux pas que vous pensiez que je ne sais pas parler d'autre chose.
— Vous l'aimiez beaucoup, n'est-ce pas ?
— Oui.
— Non seulement il occupait une place capitale dans ma vie, mais il était aussi le père de vos enfants, pas vrai ? Insista la jeune femme blonde.
— Exact.
— Dans ce cas, il n'y a aucun mal à parler de lui. C'est tout à fait normal. Il fait partie de vous. »

La militaire lui décrocha un sourire empreint de gratitude, mais ne sut quoi dire.

« Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ? Continua la serveuse.
— Dans un bar, la musique assourdissante.
— Je parie qu'il était beau garçon.
— Évidemment... Alors, j'ai pris mon courage à deux mains, je me suis approchée et j'ai usé de mon charme.
— Et après ?
— Il m'a bien fallu deux heures pour obtenir son nom et son numéro de téléphone !
— Euh... Laissez-moi deviner. Vous l'avez appelé le lendemain, c'est ça ? En l'invitant quelque part ?
— Comment le savez-vous ? Demanda Regina.
— Vous m'avez l'air d'être ce genre de femme, répondit Emma. Et ensuite ?
— Pourquoi voulez-vous savoir tout ça ?
— Je ne sais pas trop. Cela m'intéresse...
— D'accord... Alors, comme vous l'avez si singulièrement deviné... Je l'ai invité à déjeuner. Nous avons passé le reste de l'après-midi à discuter. Au cours du week-end qui a suivi, je lui ai dit, bizarrement, qu'on se marierait.
— Sans blague ?
— Je sais, ça paraît dingue. Croyez-moi, lui non plus n'en est pas revenu. Mais j'étais... Sûre de moi. C'était un garçon intelligent, agréable. On avait des tas de points communs et on attendait les mêmes choses dans la vie.
— Miss Emma ! Cria Alice. J'en ai trouvé des supers jolis ! »

La jeune femme blonde se pencha vers la petite fille :
— « Tu veux me les montrer ? »

L'enfant lui en remplit la main, puis se tourna vers sa mère :
— « Dis, maman ? On peut allumer le barbecue ? J'ai vraiment faim !
— Bien sûr, mon ange. »

Regina s'éloigna et regarda son fils plonger dans les vagues :
— « Henry ? Je vais allumer le barbecue. Tu veux bien sortir de l'eau, mon chéri ?
— Maintenant ?
— Juste un moment, Henry. »

La jeune femme brune vit les épaules de son fils s'affaisser. Il avait l'air anéanti. L'orpheline dut également le remarquer, car elle intervint :
— « Je peux rester là, si vous voulez.
— Vraiment ?
— Alice va me montrer ses coquillages. »

La négociante hocha la tête avant de se tourner vers Henry :
— « Emma va vous surveiller, d'accord ? Ne t'éloigne pas trop !
— Promis, Maman ! » S'écria le jeune garçon en souriant jusqu'aux oreilles.

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