Chapitre 19

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Neal commanda une bière, gagna l'extrémité opposée du zinc avec un pâle sourire. Il avait dit un truc idiot, mais cela avait suffi pour faire rire une bande de très jeunes femmes. Il en avait ressenti une sorte de fierté, qui lui avait mis du baume au cœur, l'incitant à espérer que son plan marcherait. Il n'avait plus eu de contact avec de charmantes donzelles depuis tant d'années, qu'il craignait de ne pas savoir s'y prendre. Aussi avait-il tout prévu.

Le jeune homme demanda un verre de rhum, s'éloigna vers une table du fond protégée de la lumière d'où il pouvait tranquillement observer l'ensemble de la salle, notamment le groupe de midinettes. C'était la première fois, depuis la disparition d'Emma quatre ans auparavant, qu'il remettait les pieds dans un bar pour une raison autre que se bourrer la gueule.

Il n'avait pas vraiment eu le choix : quelques mois plus tôt, il avait commis une erreur de débutant, — arrêter un innocent sans avoir vérifié son alibi, ou plutôt son absence d'alibi —. Son capitaine l'avait ensuite convoqué, lui demandant de s'expliquer sur ses retards continuels et sur son manque d'investissement lors de ses enquêtes, ajoutant qu'il le couvrait depuis bien trop longtemps maintenant.

Le policier avait menti : s'il y avait bien une chose qui ne lui avait jamais fait défaut, c'était son extraordinaire don pour le mensonge. Il avait confessé, les larmes aux yeux, — c'était réellement un excellent comédien —, que sa femme avait été très malade, qu'elle allait mieux aujourd'hui, et que tout allait rentrer dans l'ordre. Son chef lui avait dit qu'il comprenait mais qu'il fallait dorénavant que son meilleur élément se reprît en main.

Ce fut le coup de fouet dont il avait besoin. Jamais, jusqu'à présent, il n'avait mécontenté son chef. Il devait cesser de se morfondre, faire preuve de volonté, redevenir l'homme qu'il était, retrouver son épouse. Il fit de réels efforts car il ne pouvait pas se permettre de perdre son boulot.

Il appréciait, en effet, d'être un héros. Il lui était même vital d'être ce héros, ce héros qui trouvait toujours les coupables. Ceux-ci, bien souvent, étaient innocents, il ne l'ignorait pas. Il suffisait qu'ils ne puissent prouver leur alibi. C'était fou, d'ailleurs, le nombre de gens qui passaient leurs soirées seuls chez eux. Leur innocence lui importait peu : il fallait bien faire monter les chiffres. Cela plaisait à sa hiérarchie, dont il tenait à avoir l'estime.

Mais ces derniers temps, il avait terriblement besoin d'argent. C'était le second motif pour lequel il ne pouvait être licencié. L'abandon et la trahison de son épouse lui coûtaient cher en pressing, en restaurant, en hôtellerie : sa maison était devenue une véritable porcherie car ce n'était pas son rôle d'effectuer les tâches ménagères. Il continuait d'y vivre, bien sûr, d'autant que c'était le seul endroit où il pouvait tranquillement boire et tenter de se souvenir de sa conjointe. De plus en plus souvent cependant, il dormait à l'hôtel, juste pour se blottir dans des draps propres qui lui rappelaient ceux dans lesquels il faisait l'amour à sa femme. Penser à elle le rendait tout à la fois ivre de rage, de colère et de tristesse. Il ne la laisserait pas, de surcroît, détruire sa carrière.

Il avait décidé qu'il devait ce soir se trouver une amante. Depuis l'incompréhensible disparition d'Emma, il n'avait plus fait l'amour, lui qui avait l'habitude de baiser presque tous les jours, parfois même plusieurs fois par jour. Il avait tenté à maintes reprises de faire la chose, cherchant des prostituées blondes comme substituts, si ce n'était qu'il n'arrivait plus à bander, même lorsqu'il essayait de se masturber dans sa salle de bain, lieu où il avait tant aimé prendre passionnément le petit cul de son adorée. Mais ce soir, ce serait différent, il en était certain. Tout comme il était certain que cela lui permettrait de retrouver un semblant d'équilibre et d'énergie, une énergie dont il avait besoin s'il voulait retrouver son épouse.

Un amour éternelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant