Chapitre 15

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Dès que le pas lourd du policier retentit sur les marches du seuil, elle se précipita vers le vieux cagibi où il l'avait enfermée à maintes reprises et dont elle avait eu le temps d'explorer tous les recoins. Elle en fit sauter une planche d'où elle sortit un vieux sac à dos, qui avait dû appartenir à Neal dans sa jeunesse. En plus de celui-ci, elle avait caché là, en prévision de sa fuite, quelques vieux vêtements de Neal. Trois jeans, trois sweat-shirts, des tee-shirts, des sous-vêtements. Que des habits de mec. Plusieurs paires de chaussettes, une brosse à dents, du dentifrice. Un bonnet. Et un couteau. Elle y avait également caché un vieux coussin ainsi que de vieilles ceintures.

Il y avait encore un blouson de ski noir, que Neal avait un jour jeté au début de leur mariage et qu'elle avait récupéré dans la poubelle alors qu'il répondait au téléphone. Il était parfaitement neuf, aussi n'avait-elle pas compris pourquoi un tel radin s'en était débarrassé. Le vêtement, de plus, lui rappelait une doudoune que Marco avait prévu de donner. C'était ce souvenir qui l'avait poussée, malgré le risque d'être surprise, à fouiller dans la poubelle afin d'y prendre hâtivement l'anorak pour le cacher sous l'évier. L'ébéniste la lui avait montrée afin d'avoir son opinion. Elle ne l'avait pas retrouvée dans ses affaires, avait simplement pensé que son patron tant aimé avait eu le temps, avant son décès, de l'offrir à la personne à qui il la destinait. Elle était simplement heureuse qu'il ait eu le temps de faire ce cadeau.

Elle sortit d'une des poches ce qui était son plus grand secret. Une carte d'identité au nom d'« Emma Swan ». Le document avait été une surprise indicible. Un mois peut-être après l'enterrement de Marco, elle avait reçu une convocation à la mairie. On lui avait expliqué qu'à la suite de son adoption par Monsieur Marco Swan, son nom de famille avait changé : elle ne s'appelait plus « Emma Nolan » mais « Emma Swan ». Elle était ici pour que lui soient remis ses nouveaux papiers officiels. Arrivée chez elle, elle n'avait pu que pleurer longuement. Marco ne lui ayant jamais parlé de cette démarche, elle ignorait totalement qu'il l'avait adoptée. Mais cela expliquait pourquoi quelques temps avant sa mort une assistante sociale assez farfelue du nom de Tink était venue passer une journée à l'ébénisterie. À l'époque, elle n'avait pas encore dix-huit ans : les services sociaux étaient donc les seuls habilités à valider son adoption. Elle comprenait mieux maintenant certaines questions de la femme, certaines attitudes de son patron. Elle n'avait jamais parlé à quiconque de ce fait, et s'était finalement mariée sous le nom de Nolan, nom qui lui avait été attribué à l'orphelinat. Avec le décès si douloureux de Marco, « Emma Swan » n'avait jamais eu la chance d'exister. Peut-être était-il temps de la faire enfin naître. Et même si Marco n'était plus là, penser qu'il avait été son père sans qu'elle s'en doutât lui procurait une joie sourde.

Elle regarda longuement une enveloppe qui était accolée à ses véritables papiers d'identité. Elle venait du notaire de l'ébéniste. La jeune femme blonde, lorsqu'elle l'avait reçue, avait été incapable de l'ouvrir. Elle la rangea soigneusement. Elle espérait trouver un jour, peut-être, le courage d'en lire le contenu.

Lorsque Neal l'avait violentée la première fois, lorsqu'il l'avait abandonnée pleine de sang et de contusions, la laissant toute une journée menottée aux barreaux du lit conjugal, une journée qui avait finalement duré deux terribles années, elle avait compris que ce mariage ne serait pas aussi heureux qu'elle l'avait espéré. Un mystérieux instinct l'avait alors poussée à sortir les documents de sa trousse de toilette, unique objet personnel qu'il lui avait laissé car, avait-il dit, c'était un truc de gonzesse. Le même instinct l'avait conduite, quelques mois auparavant, à cacher les documents dans son mince trousseau. Elle les avait sortis de leur cachette, s'était tortillée dans tous les sens, se blessant même les poignets, pour glisser, entre le mur et le cadre du lit, l'enveloppe les protégeant.

Un amour éternelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant