Chapitre 16

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Durant les jours et les semaines qui suivirent cette séance éprouvante, les deux jeunes femmes échangèrent sur leur passé plus qu'elles ne l'avaient fait jusqu'à présent.

L'orpheline raconta à la négociante ses années d'errance, sa fuite de fermes en fermes, ses nuits solitaires dans la nature à tenter de se reconstruire. Elle lui confia aussi ce qu'elle ne lui avait pas dit à propos de son ancienne identité. Elles avaient déjà longuement parlé de Marco, mais Emma ne lui avait jamais révélé qu'il était son père adoptif. Elle évoqua tout ce qu'elle avait ressenti en le découvrant après le décès du vieil homme : son désarroi et sa peine, sa décision de n'en parler à personne, de garder cela comme un secret qu'elle serait la seule à connaître. Elle lui parla également de Monsieur Gold, de ce qu'il lui avait appris sur l'herboristerie et de la manière dont elle avait compris qu'il était son oncle adoptif. Régina suggéra à Emma de lui écrire et de l'inviter avec Belle à Storybrooke, mais n'insista pas plus que cela, estimant que c'était à la barmaid de décider seule des relations qu'elle souhaitait entretenir.

La jeune femme brune fit cependant remarquer qu'il était du coup possible que son mariage avec le policier soit invalide puisque le détective avait épousé Emma Nolan et non Emma Swan, qu'il faudrait donc vérifier la loi à ce propos. Emma préférait toutefois que Neal ne soit jamais au courant de son véritable nom, mais, pour la première fois, elle envisagea la possibilité d'un divorce. En cherchant, elles découvrirent qu'il suffisait de le faire acter.

La loi étatsunienne était, en effet, très simple vis-à-vis de celui-ci : si l'un des époux voulait divorcer, l'autre ne pouvait l'en empêcher, le consentement des deux époux n'étant pas nécessaire. Un juge entérinerait la dissolution du mariage, c'était le terme exact, sauf si l'un des époux était manifestement lésé. Emma ne souhaitant rien de Neal, si ce n'était qu'il disparût définitivement de sa vie, n'importe quel juge accepterait d'acter sa demande. Elle restait néanmoins hésitante, craignant que le policier puisse ainsi trouver l'endroit où elle habitait.

La militaire, de son côté, évoqua plus précisément les sévices que sa mère lui avait infligés durant son enfance, la manière dont celle-ci avait tenté d'empêcher son mariage avec Daniel, ou comment elle avait voulu la contraindre à se marier avec un inconnu bien plus vieux, jusqu'à ce que la veuve se décidât à demander une mesure d'éloignement, empêchant définitivement tout contact entre sa génitrice et la famille que la commerçante avait construite avec son défunt conjoint.

De temps en temps, quoique fort rarement, la serveuse accepta de venir dormir chez la négociante, les enfants adorant manifestement les voir toutes les deux ensemble. Bien qu'emplie de gestes tendres et de baisers délicats, la relation entre les deux femmes restait pourtant chaste, Emma étant toujours dans l'incapacité, pour l'instant, d'évoquer sa nuit de noces. La situation n'inquiétait nullement Regina : elle sentait sa bien-aimée de plus en plus détendue, de plus en plus demandeuse de caresses, et savait que les choses progresseraient entre elles uniquement lorsque la jeune femme blonde serait prête.

Un soir, alors qu'Emma quittait son travail après un service du soir intense, elle repéra une silhouette familière devant le restaurant.
— « Salut toi, lui lança Daniel.
— Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle en souriant.
— Je suis venue te voir. Où étais-tu ?
— Je pourrais te retourner la question ! Ou te dire que ce ne sont pas tes affaires.
— Je suis depuis suffisamment longtemps dans le coin pour savoir que tu fréquentes Regina depuis quelques mois, répliqua-t-il en lui faisant un clin d'œil. J'ai pensé que vous aviez besoin de passer du temps ensemble. »

Emma ne put s'empêcher de rougir.
— « Comment savais-tu que je me trouvais là ?
— Je l'ignorais. Mais comme il n'y avait pas de lumière chez toi, j'ai tenté le coup », dit-il avec un haussement d'épaules.

Une poignée de minutes plus tard, ils entrèrent dans un bar, un établissement lambrissé de bois sombre que des décennies d'existence avaient patiné. Ils s'installèrent dans un angle, au fond. La jeune femme blonde commanda un verre de vin ainsi qu'une bière, les régla et les apporta elle-même.

— « Merci, dit le jeune homme en prenant sa bière. Regina et toi, alors ?
— C'est vraiment de cela dont tu as envie de parler ?
— Eh bien, c'est une histoire qui a l'air de rouler, apparemment. Elle se rend chez toi... Quoi, deux ou quatre fois la semaine dernière ?
— Est-ce que tu m'espionnerais ?
— Non. J'ai juste l'impression que cela devient sérieux. Est-ce le cas ?
— Encore une fois cela ne te regarde pas, répondit-elle, sans trop savoir où cette discussion la mènerait.
— Vous vous voyez plus souvent, vous apprenez à vous connaître. C'est toujours ainsi que débute une relation. Tu lui plais et elle te plaît.
— Tu es venue me voir exprès pour cela ? Pour que je te fournisse tous les détails ?
— Pas tous. Uniquement les plus croustillants. »

Emma leva les yeux au ciel, agacée par ce comportement qui lui paraissait plus qu'indélicat et indiscret.
— « Je ne comprends pas ce que tu essaies de me dire.
— Regina et toi. T'a-t-elle dit qu'elle avait perdu son mari ? Combien c'était dur pour elle... Pour les enfants... De franchir ce cap ?
— En quoi cela te concerne-t-il ?
— Cela ne me concerne pas mais sois prudente avec eux. Ne leur brise pas le cœur.
— Tu as travaillé avec Regina et les petits, n'est-ce pas ? Après la mort de son mari, je veux dire. Serais-tu jaloux ?
— Non, lui répondit Daniel d'un ton calme. Mais je peux affirmer en revanche... Que tous les trois sont chers à mon cœur. Et si tu n'envisages pas sérieusement ton avenir avec eux, je pense que tu devrais tout de suite mettre un terme à votre relation. Avant qu'il ne soit trop tard. »

L'orpheline sentit ses joues s'empourprer. Ce genre de réflexion lui paraissait déplacé et inutilement blessant de la part de son voisin.

— « Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas, riposta-t-elle d'une voix tendue.
— Tu as raison. Cela ne me regarde pas... Et je suis en train de franchir une limite normalement infranchissable. Mais je pense sincèrement qu'ils en ont assez bavé tous les trois. Et la dernière chose que je leur souhaite, c'est de s'attacher à quelqu'un qui n'a aucune intention de rester à Storybrooke. Peut-être que, ce qui me tracasse, c'est que ton passé ne soit pas vraiment derrière toi et que tu décides de t'en aller, sans te soucier de la tristesse que tu risquerais de laisser dans ton sillage. »

Emma demeura sans voix. Cette conversation était inadéquate, gênante et d'une profonde injustice. Elle sentait la colère monter en elle, sachant bien, dorénavant, identifier ce sentiment.

Il poursuivit sur sa lancée, ignorant volontairement le malaise de sa voisine :
« L'amour ne signifie rien si tu n'es pas prête à t'engager : tu dois non seulement penser à ce que tu souhaites, mais également à ce qu'elle souhaite. Et pas uniquement maintenant, mais aussi dans l'avenir. Es-tu prête à devenir la femme de Regina, à devenir une seconde mère pour ses enfants ? Parce que c'est le souhait de Regina. Peut-être pas là tout de suite, mais plus tard. Si tu n'as pas le désir de t'engager, si tu ne fais que jouer avec ses sentiments et ceux de ses enfants, alors tu n'es pas celle qui lui convient. »

Avant qu'Emma puisse réagir, Daniel se leva de table et enchaîna :
« J'ai peut-être tort de te dire tout ça, peut-être que dorénavant nous ne serons plus amis, mais je m'en voudrais beaucoup de ne pas te parler aussi franchement. Comme je te l'ai dit dès le début, c'est une femme remarquable... une femme rare. Elle aime de toute son âme et pour toujours. Je pense que tu fonctionnes à l'identique, mais je voulais te rappeler que si tu tiens à elle, alors tu dois accepter de t'engager. Peu importe ce que l'avenir vous réserve. Et peu importe tes frayeurs. »

À la suite de ces paroles, le jeune homme tourna les talons et quitta le bar, laissant l'orpheline muette de stupéfaction. Ce fut seulement en se levant pour partir à son tour qu'elle remarqua qu'il n'avait pas touché sa bière. Il y avait cependant une chose dont elle était certaine : elle n'était pas prête de revoir celui dont elle avait pensé qu'il pourrait devenir son ami.

Un amour éternelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant