Grosse déception. Arrivé dans l'appartement, impossible de m'y sentir bien. Encore un lieu étranger qu'il faut redécouvrir et apprivoiser. Rien ne me parle. Que ce soit les meubles, la peinture ou encore l'agencement, rien. J'ai l'impression d'être chez un étranger. Taehyung est incroyablement gentil et tendre avec moi. En arrivant il m'a pris mon manteau et m'a proposé de visiter un peu l'appartement pendant qu'il nous préparait un petit goûter. D'après lui j'aime boire du thé à l'orange, ça je ne pourrais pas l'affirmer. Je navigue de pièce en pièce, découvrant cet appartement qui va désormais être mon lieu de vie. Puis un détail me frappe. Taehyung a mentionné une colocation, pourtant j'ai fait tout le tour et je n'ai trouvé qu'une chambre. Bizarre. Intrigué je retourne au salon pour lui demander.
- Taehung ?
Il lève la tête vers moi et son sourire revient immédiatement sur son visage.
- Oui Seokie ?
Je m'approche de lui.
- Je.. Tu m'as dit qu'on vivait en colocation, pourtant je ne vois qu'une chambre...
Immédiatement, il baisse les yeux, gêné. Il a la même expression que cette fois-là, à l'hôpital. Il ose enfin lever les yeux vers moi et s'approche, posant ses mains sur mes épaules, comme pour me rassurer. J'appréhende un peu sa réponse.
- Seokie, le mot colocation n'est peut-être pas le plus approprié. En fait je...
Hein ? Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? Je le laisse poursuivre, impatient d'avoir son explication.
- Nous somme en couple Seokie depuis deux ans.
Je reste abasourdi face à cette révélation, me raccrochant à son regard. Immédiatement une question me vient à l'esprit.
- Mais Taehyung, pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt ?
Il baissa à nouveau le regard et soupira. Je pouvais sentir la culpabilité émaner de lui.
- Je... je ne voulais pas te perturber, c'était déjà bien assez compliqué pour toi je ne voulais pas en rajouter.
Il leva à nouveau les yeux vers moi et je pouvais voir que cette lueur de tendresse était de retour. La gêne rougissait quelque peu ses joues. Je me surpris à l'observer plus en détail analysant les traits de son visage. Il était mignon, je ne pouvais le nier. Il avait un visage enfantin, avec un air joueur, auquel, je n'avais sans doute pas sur résister. Moi homosexuel, en couple avec mon meilleur ami depuis deux ans ? Et pourquoi pas après tout ? Sans mes souvenirs, tout me paraissait plausible. Ou presque.
- D'habitude on dort ensemble dans le lit double de la chambre, mais si tu veux que je dorme sur le canapé c'est bon hein, je ne veux pas te brusquer.
Il m'avait dit ça tout en me caressant la joue. J'avais accepté, gêné par cette caresse, sachant maintenant que ce geste renfermait plus que de l'amitié. J'avais besoin d'un temps d'adaptation. D'un autre côté je m'en voulais de lui faire subir ça. J'étais perdu.
Il m'avait fallu un certain temps d'adaptation. Prendre mes marques dans cet environnement où je ne reconnaissais rien. J'avais demandé à Taehyung de me montrer des photos de notre enfance, me rappelant les conseils du médecin. Le problème est qu'il n'avait en sa possession que quelques photos, justifiant cela par le fait que toutes les photos d'enfance me concernant, et impliquant mes parents, et peut-être le reste de ma famille, mais toutes les photos ont disparu dans l'incendie de ma maison il y a maintenant trois ans. J'aurais dû m'en douter. Et quand j'ai questionné Tae sur ma famille, il m'a dit que je ne lui en parlais pas beaucoup, et qu'apparemment on ne se voyait que très rarement. Moi qui pensais creuser de ce côté-là, c'est raté. Depuis que je suis sorti de l'hôpital j'ai une idée en tête, retrouver des personnes qui me connaissent, qui pourraient me dire qui je suis. Bien sûr j'ai Tae, mais ce n'est pas que je ne lui fasse pas confiance, au contraire d'ailleurs, je ne le remercierai jamais assez pour ce qu'il a fait depuis mon accident, mais j'ai besoin d'avoir une deuxième version. Heureusement, il avait gardé avec lui un album photo contenant des clichés de nous deux quand nous avions entre huit et dix-huit ans. Le reste se trouvait chez ses parents, et il me promit que une fois que je serai rétabli, on partirait tous les deux passer quelques jours dans le village de notre enfance. J'avais hâte. Il avait sorti un vieil album à la couverture bleue autrefois foncé et maintenant plus pâle, du placard de sa chambre (de notre chambre) et il me l'avait tendu. Je m'étais mis en tailleurs sur le parquet de la chambre et avait ouvert devant moi le recueil photographique. J'avais du mal à me reconnaître dans ce garçon de huit ans. J'en avais aujourd'hui vingt-deux et j'avais quelque peu changé. Tae en revanche était beaucoup plus facile à reconnaître, ce même sourire, ce même visage espiègle et rieur. Le même. A en juger par nos torses nus et nos cheveux trempés, nous devions sortir d'une piscine, je la distinguais d'ailleurs dans le fond de la photo, d'un bleu criard. Je passais à la photo suivante. Cette fois il y avait trois personnages sur la photo. Moi bien sûr, Tae à mes côtés, et une femme, la quarantaine je dirais. Elle et Tae avaient un petit air de famille, et je supposais que c'était sa mère. Tae répondit de lui-même à mon interrogation.
- C'est ma mère. Ce jour-là tu étais venu jouer à la maison, et ma mère nous avait fait un gâteau au chocolat.
Effectivement, je pouvais distinguer de légères traces de chocolat autour de ma bouche et de la sienne. Je continuais de tourner les pages, me voyant grandir au fur et à mesure des clichés. Ici avec Tae, bien habillés pour notre premier jour au collège, vêtus de notre bel uniforme tout neuf et bien repassé. Là toujours bien entendu avec Tae, chacun enfourchant un vélo, pour je suppose une balade en forêt. Ou encore, toujours ensemble, à s'adonner à un concours de grimace, Tae selon moi le remportant haut la main. J'étais partagé. Heureux et triste. Heureux car ses photos renvoyaient sans aucun doute à de bons souvenirs, des bêtises d'enfant et visiblement pas mal de fous rires, mais triste parce que rien ne me revenait, impossible de me rappeler une scène, un lieu, une conversation. Rien. Je continuais de tourner les pages, plus dans mes pensées qu'intéressé par ce que je voyais. Quand soudain je me figeais. La photo nous représentais encore une fois tous les deux, Tae ayant passé son bras par-dessus mes épaules, et souriait à pleines dents, à vrai dire moi aussi. Nous étions vêtus d'un uniforme composé d'une veste bordeaux aux liserés or, sagement boutonnée par-dessus une chemise blanche, et je pouvais deviner en bas la présence d'un pantalon noir. Il y avait également un écusson et un nom sur la veste mais je ne parvenais à le lire. Je restais à observer ce cliché, qui émanait la joie de vivre. Nous avions l'air heureux. Non, nous l'étions.
Il sembla remarquer mon intérêt puisqu'il pointa du doigt la photographie.
- Ah ça je m'en souviens ! C'était notre première rentrée au lycée. On était partis en retard parce que tu n'avais pas mis ton réveil, et au moment de la photo on était en train de courir à l'arrêt de bus. Mais ma mère avait quand même insisté pour prendre la photo. On était complètement essoufflés et on n'avait pas pu s'empêcher d'éclater de rire.
Je comprenais mieux ces grands sourires sur la photo. J'aimais bien cette photo.
Et Tae l'avait bien compris. Le lendemain j'avais retrouvé cette photo dans un joli cadre en bois noir, déposé sur ma table de chevet. Oui, la veille j'avais accepté de dormir avec lui. J'avais réintégré le lit conjugal, sans aucun souvenir de l'avoir déjà fait un jour. Heureux de ce cadeau soudain et quelque part assez symbolique, je me jetai dans ses bras. Si au début il sembla surpris, il me rendit rapidement mon étreinte et entoura mon corps de ses bras. Je me sentais bien, rassuré. Presque à ma place.
Presque. Car malgré tout l'idée que nous étions en couple avant mon accident était la plus difficile à accepter. Pendant la première nuit que nous avions passé dans ce grand lit, j'avais senti qu'il retenait ses gestes, qu'il ne voulait pas me brusquer, et je l'en remerciai. Pourtant dès que j'avais fermé les yeux tout avait changé. Depuis mon retour de l'hôpital j'avais beaucoup de mal à m'endormir, que ce soit ou non dans le même lit que Tae. J'avais mon petit rituel, je m'allongeais, fermais les yeux, ralentissais petit à petit ma respiration et je pensais. Je cogitais pendant des heures, coincé dans une phase de demi-sommeil. Je tournais, brassais, analysais les informations apprises dans la journée, essayant de les connecter entre elles, pour stimuler ma mémoire. Ce n'était pas forcément ce que m'avait conseillé le médecin, mais j'en avais assez. Assez de passer pour le boulet amnésique à qui il faut réapprendre à vivre. Marre.
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Memoria
Fiksi PenggemarJung Ho Seok. Voilà comment je m'appelle. Enfin ça, c'est ce qu'on m'a dit, je suis incapable de m'en souvenir. On m'a retrouvé ensanglanté et à peine conscient dans un parc de la ville, avec un jeune garçon à mes côtés, du nom de Kim Taehyung, soi...