3. Le Conseil

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LUNA

Je courais. Mes pieds volaient sur les larges branches moussues de l'Arbre, dont le feuillage commençait à se teindre des couleurs du crépuscule.

L'urgence de la situation me rendait fébrile et l'adrénaline m'enflamma les veines. J'esquivai agilement quelques gigantesques nœuds du bois, et sautai par-dessus les branches basses.

Soudain, j'aperçus des marches dans le tronc massif, à peine esquissées.

Je m'accroupis et détendis mes muscles d'un seul mouvement fluide.

Le bond que j'effectuai me permit d'agripper de justesse une prise sur le bois et d'entamer mon ascension.

Je procédais avec calme, méthode, comme on me l'avait appris dès mon plus jeune âge. Une prise après l'autre, ne jamais en retirer deux en même temps.

A cet instant, je me sentais libre, là, suspendue entre ciel et terre, à deux doigts de la mort. Mes mouvements étaient souples, fluides, précis, presque mécaniques. Je faisais corps avec l'Arbre.

Symbiose.

C'est le terme qui me vint à l'esprit lorsque je sentis la sève couler dans mes veines et une sagesse archaïque m'envahir l'esprit. Je n'étais plus Luna, première guerrière, mais un être hors du temps et des esprits, trop complexe pour être décrit par de simples mots.

Soudain, mes doigts ripèrent sur la mousse verdâtre et humide. L'instant de grâce était rompu. J'essayai fébrilement de me rattraper à quelque chose, n'importe quoi.

Je me sentis glisser. A la dernière seconde, je réussis à saisir une minuscule protubérance du bois du bout des doigts. Une goutte de sueur dévala ma tempe.

J'étais suspendue à une trentaine de mètres du sol, et seule une de mes mains me permettait de ne pas précipiter vers ma fin.

Je me sentais faiblir de seconde en seconde. Il fallait que je tente quelque chose maintenant, ou il serait trop tard.

D'un puissant coup de reins, j'attrapai une prise un peu au-dessus de moi, et mon pied trouva enfin un creux dans le tronc.

Je restai dans cette position pendant un petit moment, soufflant pour récupérer de ma frayeur. Je repris l'ascension, plus prudemment cette fois.

Après un moment qui me sembla interminable, j'atteignis enfin le sommet de la branche.

Je me laissai choir au sol, épuisée. Le ciel sombre commençait à se couvrir d'étoiles et l'astre lunaire était dans sa forme pleine: un parfait disque d'argent se détachait sur l'étendue obscure, illuminant la nuit d'une douce lueur rêveuse.

J'adressai un sourire sincère à la lune, qui semblait me toiser d'un air bienveillant de là-haut.

Je me redressai et m'acheminai d'un pas las vers la cabane bancale trônant au milieu de l'entrelacs de branches. Elle était construite avec les moyens du bord: les matériaux semblaient assemblés avec maladresse: l'ensemble semble tenir par miracle.

Je toquai à la porte. Rien. J'insistai, plus fort cette fois-ci. Toujours rien. Agacée, j'ouvris la porte d'un violent coup de pied.

Je n'avais jamais été patiente.

Abasourdie, je découvris une vieille femme, dormant à poings fermés. Ses longs cheveux blancs tombaient en mèches désordonnées sur son visage, couvert de rides. Elle était assez replète, ce qui lui donnait une allure généreuse et maternelle. Dans sa main crispée, elle serrait convulsivement deux longues baguettes de bois.

Chroniques du CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant