Texte 3 : L'épopée du rongeur nocturne

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Auteur : PtiteRenarde  
Titre : L'épopée du rongeur nocturne

Un museau moustachu, une patte poilue, deux pattes poilues... puis c'est mon corps tout entier qui sort du terrier, et mes petites narines qui hument l'air frais du soir. Je reconnais mille odeurs : la sève des sapins, le miel des abeilles, les fourmis grouillant sous l'écorce, la terre, la vie nocturne... Mais vite, je n'ai pas de temps à perdre ! Je trottine gaiement entre les arbres et les buissons, m'éloignant un peu plus de ma rivière natale à chaque pas. Comme toujours, je vais aux champs des humains, là où je suis sûr de trouver des céréales et des herbes pour ma famille. C'est très dangereux, j'en suis conscient ; s'ils me voient, couic ! À leurs yeux, je ne suis rien d'autre que l'un des pires animaux nuisibles du pays, qui soi-disant dégrade leurs pauvres constructions : le ragondin. Mais ne savent-ils donc pas que moi aussi, j'ai une femelle et toute une portée de fragiles créatures à nourrir ? Bientôt, il n'auront plus de lait, c'est qu'ils grandissent vite. Et alors, il faut bien que quelqu'un s'aventure au dehors pour remplir les réserves, quitte à prendre le risque d'aller là où la récolte sera abondante, même si ce n'est pas sans péril...

J'ai presque atteint l'orée du bois. Tout près, les épis de blé qui se balancent sous la brise me font de l'œil, et réveillent mon instinct de gros gourmand. Je n'y résiste pas : en deux trois coups de dents, au revoir le joli travail des hommes ! La bouche pleine de bons grains, je m'apprête à faire demi-tour lorsqu'une forte odeur m'interpelle. Inconnue, mais si alléchante... tant pis ! Je laisse tomber mon blé et accours vers ce nouveau festin. J'approche du but... Oubliant toutes précautions, mes mâchoires se referment sur un succulent bout de nourriture. J'ignore de quoi il s'agit, mais quel délice ! Soudain, j'entends un bruit métallique dans mon dos. Affolé, je me précipite dans l'autre sens ; mon museau s'écrase contre une grille froide. Stupide gourmandise ! Me voilà coincé dans un piège d'humains ! Je roule, je cogne, je bascule, je gratte, je couine, rien à faire. La cage s'est refermée sans garde sur moi, pauvre animal à l'appétit imprudent, qui voulait juste trouver de quoi nourrir ses enfants. Penaud, je me couche en boule dans un coin en attendant mon triste sort.

J'ai dû dormir un peu, car en ouvrant les yeux, le soleil éblouit les étroits barreaux de fer. J'ai tellement faim ! Combien d'heures ai-je passées dans ma prison rouillée ?

Bientôt, j'entends une voix, des exclamations d'humain. Je ne comprends rien à ce qu'il baragouine, mais je n'ai pas envie de le savoir. On me soulève du sol et je me retrouve en face d'un visage barbu, au sourire mauvais qui ne me dit rien qui vaille. Ah, si je n'étais pas enfermé dans cette fichue machine, je lui crèverai bien son œil de vautour, à cet affreux !

Après un lugubre monologue qui n'annonce vraiment rien de bon pour moi, je suis jeté comme un sac de pommes de terre dans une remorque rouge et sale. Le moteur démarre, la route est chaotique ; je ne manque pas d'être secoué d'un bout à l'autre au rythme des vibrations. Alors que je faillis passer par-dessus bord grâce à un choc plus violent que les précédents, le levier mal enfoncé du battant cède et je roule jusque vers ma liberté, chutant sur les cailloux dans un bruit sourd. La cage déjà bien cabossée dévale la pente, et même si je sais que chaque tour m'éloigne un peu plus du véhicule humain, je me demande sérieusement comment tout cela va finir. Paf contre une pierre, looping dans les airs, et j'atterris complètement sonné dans la rivière torrentielle. La cage est propulsée par le courant, et je commence à me sentir vraiment malade, à force d'être ballotté dans cette prison ! Heureusement, elle finit par se casser pour de bon contre un rocher, et je m'extirpe tant bien que mal de la carcasse métallique. Un saumon rose me frôle de près dans sa course contre les vagues, et je le suis jusqu'à la surface claire, avant que le brusque coup de patte d'un ours ne l'attrape au vol. Je nage vers la berge et m'affale de tout mon long sur les galets tièdes. Que d'émotions ! Plus jamais, plus jamais non, je ne retournerai dans ces maudits champs humains ! J'ai eu une sacrée chance de m'en sortir, et j'ai bien retenu la leçon !

En rentrant au terrier, je me contente d'une moule d'eau douce et de quelques racines, trouvées sur le chemin du retour. Un petit vient se frotter énergiquement contre mon cou ; je le repose délicatement près de ses frères, qui tètent avidemment le lait maternel. On est tellement mieux chez soi, auprès des siens. Dire que j'aurais pu ne jamais les revoir...

Je suis l'ennemi des hommes, mais je suis autant qu'eux un être vivant, un père, un héros. Ils ne devraient pas l'oublier de sitôt.

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~Cyclone

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