Texte 7 : La prison des souvenirs

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Auteur : Liloulie
Titre : La prison des souvenirs

J'attends.

Quoi ? Je n'en sais rien, les secondes défilent avec lenteur, m'enfermant dans ce cercle vicieux des vingt-quatre heures. Seuls mes souvenirs m'accompagnent dans ce long chemin de la solitude.

Le bruit des machines s'accentue, mon pou s'accélère, la terre me parait tellement loin. D'ici je vois tout le parc, pas le temps de regretter car  le wagon tombe en avant, amenant ses occupants avec lui. La gravité augmente et nous ne pouvons plus bouger. Une remontée spectaculaire survient et le manège se poursuit désormais sous nos cris de joie pour ma part et de peur pour d'autres.

Ces belles images se dissipent, les yeux toujours clos, mes mots sortent de ma bouche dans un chuchotement:

-Maman, tu te souviens d'Europa park ? Tu étais terrorisée mais tu as accepté quand même venir pour me faire plaisir.

-Tu avais cet éclat de bonheur dans tes pupilles, je n'étais plus effrayée mon enfant, murmure-t-elle en me prenant la main.

Un grand sourire se dessine sur mes lèvres sèches, elle est là, tout près de moi. Je ne peux pas la voir mais je la sens, je l'entends, elle me soigne avec sa présence, réparant mon cœur meurtri.

La route se poursuit entre les champs de blé, le vent nous pousse en avant, nous obligeant à pédaler de toutes nos forces.

-Tu vas vite, fais attention ! S'exclame-t-elle d'un ton inquiet dans mon dos.

N'écoutant pas ses avertissements, je poursuis ma balade à pleine vitesse. Rien de plus réjouissant de sentir l'air nous fouetter le visage, nos muscles se contractant sous l'effort.

Un caillou de glisse sur mon passage, le vélo se déstabilise provocant de dangereux virages. Par chance, je tombe dans de l'herbe haute, ce qui amortit ma chute. Encore sonnée, les cris de ma protectrice se rapprochent.

-Tu es bien amochée, tu as l'air de n'avoir rien de casser, constate-t-elle en regardant mon corps sous tous les angles. Je vais chercher ma trousse de secours, tout va bien se passer.

Le présent me tire vers lui, ne me laissant pas de répit. Le noir glacial  me fait face. Sa peau contre la mienne apaise mon animosité.

-Maman, tu te souviens de ma chute en vélo ? Tu étais terrorisée de me voir  sur une route dangereuse mais tu as accepté quand même, pour me faire plaisir.

-Tu avais cet éclat de bonheur dans tes pupilles, je n'étais plus effrayée mon enfant, chuchote-t-elle en resserrant son étreinte, son ton est un peu froid, comme si elle m'en veut encore de cet accident.

Un rictus apparaît, un peu moins éclatant. Elle est toujours là malgré tout, elle pardonne mon caractère téméraire et mes erreurs.

Me voilà dans une voiture toute neuve et elle est fière de son achat.

-Grâce aux sous de ce métier, j'ai pu m'en procurer une, je pourrai t'amener où tu veux, sans craindre qu'elle me lâche! S'exclame-t-elle, son visage me paraît flou, mais je suis persuadée qu'elle est rayonnante, comme toujours.

-Je peux l'essayer s'il te plaît! La supplie-je en voyant une route parfaitement droite, en pleine campagne.

Elle cède après dix minutes de négociation, l'argument qui l'a remporté, c'est  que j'ai bientôt dix-huit ans, je dois bientôt passer mon permis et j'ai besoin d'apprendre. Le volant entre mes mains, je suis ses directives, appuyant sur la pédale d'accélération, je cale directement. Nous rions à en avoir mal au ventre devant mon incapacité à avancer de deux mètres.

Seulement, le destin ne laisse aucune chance, c'est lui qui a les reines, nous sommes que ses pantins. Trop concentrées sur nos gloussements, nous nous sommes arrêtées en plein virage après avoir fait une fausse manipulation, les arbres cachent la vue. Nous n'apercevons pas la voiture arriver en face, elle nous percute de plein fouet.

Il fait si sombre...

-Maman, tu te souviens quand j'ai conduit ? Tu étais terrorisée de me voir  prendre la voiture mais tu as accepté quand même, pour me faire plaisir.

-Tu avais cet éclat de bonheur dans tes pupilles, je n'étais plus effrayée mon enfant, marmonne-t-elle. Je ne pourrai plus avoir ce sentiment.

Sa chaleur a disparu, laissant un énorme vide m'envahir, ce sont des perles salées qui abordent maintenant ma figure livide.

Mes paupières se soulèvent lentement, affrontant le désagréable mur blanc. Un bip brise le silence, un cri de surprise me fait rater un battement. Le lit s'affaisse sous le poids d'une personne et ma main se trouve enfermée dans la sienne.

-Ma chérie, tu es réveillée. Ne t'inquiète plus, maman est là.

Je fronce les sourcils, ce n'est pas elle.

-Tu n'es pas ma mère, réplique-je d'une voix rauque.

-Mais si voyons, tu ne te souviens pas ?

Une porte claque et j'aperçois une blouse blanche, ma vision est instable, déformant tout.

-Un problème?

-Est-ce que vous pensez qu'il peut y avoir d'autre effet secondaire, comme une perte de mémoire, questionne-t-elle, angoissée.

Il feuillette le dossier et répond:

-Oui mais ça serait éphémère.

-Tu n'es pas ma mère, répète-je d'un ton catégorique. Elle est morte à cause de moi.

Je veux essuyer mes larmes mais mon corps ne réagit pas à ma demande. Je ne suis pas choquée, mon inconscient le savait déjà, me voici dans une prison, emprisonnée dans ma propre chair.

-J'ai compris, elle a raison, je ne la suis pas, ce n'est pas moi qui l'aie élevée, je passais mon temps au bureau. C'est sa nounou qui s'en est occupée, sanglote-t-elle, regrettant d'avoir été aussi absente.

-D'accord mais si vous remarquez des choses anormales, prévenez-moi, s'exclame-t-il, indifférent à ses pleures. Les analyses ont confirmé...

Mon esprit se désintéresse de la conversation, j'ai envie de retourner dans mon sommeil, là où les songes me permettent de m'enfermer dans ce mutisme.

-Il faut commencer le traitement au plus vite, l'accident a enclenché la maladie mais nous devons avoir son accord.

-Mais elle n'est pas en état de prendre cette décision! Regardez-là !

-Je sais mais elle est désormais majeure. Il y a eu très peu de réussite, madame Brenkel, vous êtes avec nous ?

-Je ne veux plus me battre, je suis paralysée alors si cette chose me détruit de l'intérieur, qu'on la laisse faire. De toute façon, personne ne veut passer sa vie à attendre qu'on lui mette une cuillère dans sa bouche pour manger.

Mon rythme cardiaque s'accélère sous la colère, c'est de ma faute. Si je n'étais pas assez stupide pour conduire sans permis, je n'en serais pas là. Puis de toute façon, avec ce cancer, j'allais mourir à petit feu. Ensuite, je pourrai rejoindre ma véritable mère, celle qui a été avec moi toute ma courte vie.

Morphée m'attire dans ses bras, elle me souffle de revenir vers elle. Mais si c'est Thanatos qui se cache derrière, je viendrais le rejoindre en courant, dans les griffes de la mort.

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~Cyclone

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