Les doigts de Baptiste pianotaient en rythme sur la tige du garde-corps, signe incontestable de son impatience, indifférent aux rafales de plus en plus fortes qui tentaient vainement de le faire valser.
Axel n'arrivait pas à le regarder droit dans les yeux, le visage enfoui dans le col de son ciré abîmé. Une pluie fine les martelait, et gelait leurs os. Prendre la mer lors d'un temps pareil n'était absolument pas une bonne idée, mais les deux pêcheurs avaient un pari à honorer. Leur égo masculin, aussi mis en jeu, aucun des deux n'avait osé demander à l'autre de décaler leur virée en mer.
Le jeune pêcheur n'avait même pas tenté de plonger le filet au cœur de la houle agitée. La ligne de sa canne à pêche était brutalisée par les vagues, qui devenaient toujours plus farouches au fil du temps. Axel se retint de pousser un soupir épuisé, les yeux dans le vide, mais ce n'était pas la météo maussade qui lui plombait tant le moral. Baptiste l'observait d'un œil calculateur, en silence.
Il était bientôt midi. Et Morgane n'était toujours pas là.
Qu'avait-il fait de mal ? Le jeune pêcheur se remémora l'itinéraire qu'avait emprunté son chalutier, qui était le même que celui qu'il prenait tous les jours, depuis tant d'années – et qui lui avait permis de croiser la route de cette sirène sortie de nulle part. Mais Axel était seul, coincé avec son confrère peu bavard, en plein milieu d'un océan sauvage qui s'acharnait sur la coque du navire – sa façon de manifester son mécontentement de voir des mortels fouler son territoire.
Enfin, Baptiste soupira, un étrange sourire en coin peint sur le visage. Il se tourna vers le jeune pêcheur et, cette fois-ci, Axel ne put dévier le regard.
— Soixante-quinze pourcents, c'est ça ? Ça me permettra de mettre de côté pour rénover ma maison.
— Attends encore un peu, d'accord ? Elle va venir...
— Ramène-moi chez moi, Axel. Une tempête approche, j'ai entendu l'orage gronder à quelques lieues de là. Je n'ai pas envie de devenir le petit-déjeuner des crabes qui peuplent le bas-fond, quand ta boîte de conserve se retournera.
— Elle va venir, articula le jeune pêcher d'une voix à peine audible. Fais-moi...
— Ne me fais pas répéter, riposta sèchement Baptiste. On rentre, point. Je remporte le pari, et voilà, fin de l'histoire – et depuis, entre nous, tu croyais vraiment gagner ? À y réfléchir, j'étais gagnant dans les deux cas...
Les yeux d'Axel refusèrent de lâcher l'océan. Chaque mouvement, chaque écume s'envolant au-dessus de l'eau, était pour lui comme une lueur d'espoir. Mais rien ne se passa. La sirène était tout simplement absente. Quelque chose fit une chute libre et tomba dans son estomac. Le ressac devenait de plus en plus brutal contre la coque du navire.
Il devait le prouver à Baptiste. Coûte que coûte.
Son confrère n'eut pas le temps de l'arrêter : Axel bazarda son ciré, puis se jeta tête la première dans l'océan déchaîné. Son corps passa par-dessus bord avec une agilité insoupçonnée.
Ses poumons se vidèrent de tout leur au moment où le jeune pêcheur rentra en contact avec l'eau glacée. Ses yeux se mirent à le brûler sur-le-champ, l'eau salée ricocha contre sa sclère impuissante. Axel chercha vainement à retrouver la surface, en agitant furieusement les bras et les jambes, mais les flots s'allièrent contre lui, le renvoyant toujours plus loin de son navire, toujours plus profond dans les abysses. La panique le gagna rapidement, et ses membres engourdis par le froid refusèrent brusquement de lui obéir, pendant qu'une douleur vive lui traversait le torse.
Il savait bien que lutter ne servait plus à grand-chose, de toute façon.
Le jeune pêcheur ne prit pas la peine de se maudire pour son imbécilité. Quand ses paupières se fermèrent une bonne fois pour toutes, une force le propulsa vers la surface. Axel n'eut pas le temps d'être surpris : quelque chose agrippa fermement le col de son haut, et lorsque sa tête immergea de l'eau, le jeune pêcheur sentit quelque chose le pousser davantage.
VOUS LISEZ
I am not a fish ! // REÉCRITURE
FantastiqueDISCLAIMER : quand j'ai écrit cette histoire, j'avais quinze ans. J'en ai à présent vingt-trois. Et je trouve que cette histoire a très mal vieilli. J'ai donc décidé, plusieurs années plus tard, de retravailler « I am not a fish ! » et de la remettr...