Prologue *

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 Le bruit des vagues berçait son âme encore endormie, mais Axel avançait vers l'océan d'un pas déterminé.

Ses bottes cirées, abîmées par le temps, faisaient crisser le sable tandis que, au-dessus de lui, les mouettes commençaient déjà à chanter. L'aube décorait les cieux avec de magnifiques lueurs de rose, d'orange et de bleu. Axel jeta un dernier coup d'œil à la hutte de fortune qui lui servait d'abri, qu'il quittait tous les matins pour aller pêcher, un léger sourire peint au coin des lèvres.

Il marcha jusqu'à rejoindre un piètre chalutier, long d'une trentaine de pieds environ, amarré à un ponton en bois grinçant. Sa coque malmenée par la mer rouillait à certains endroits, et sa peinture jaune canari s'écaillait. Axel monta sur le pont glissant, puis s'étira comme un chat qu'on aurait arraché de sa sieste, en plein après-midi. Il respira à pleins poumons l'odeur salé des embruns qui s'élevaient tout autour de lui, qui réveillait en lui une sensation d'apaisement qu'il était incapable de décrire à la perfection.

Tout son équipement était là : son grand filet, entassé sur lui-même, juste à côté de son portique qui émettait un grincement peu rassurant à chaque rafale de vent, ses seaux en caoutchouc imprégnés par l'odeur omniprésente du poisson et du sel, ainsi que ses caisses remplies d'objets en tout genre, allant des outils au bricolage jusqu'aux vêtements de rechange qu'il n'osait pas porter en public. Mais le plus important, sur le navire, restait sa fidèle canne à pêche, qui reposait dans un coffre verrouillé, adossé à la cabine de pilotage, en compagnie d'une boîte pleine à craquer d'appâts et d'une bombine de fil de rechange. Il l'ouvrit sans attendre et en sortit sa canne à pêche – sa baguette de chef d'orchestre tandis que l'océan était son opéra.

Tout en se grattant l'arrière du crâne de sa main libre – ses cheveux bouclés et courts, d'un blond cendré quoiqu'assez banal, étaient devenus totalement secs à cause de l'eau de mer –, Axel se dirigea vers la cabine de pilotage. L'ancre se levait avec une lenteur bruyante, et fit trembler tout le navire, après qu'il eût relevé un levier récalcitrant. Il prit le temps de s'asseoir sur sa chaise de pilotage en cuir craquelé, et d'admirer la renaissance du Soleil et du jour à travers les vitres sales de la cabine, en attendant que l'encre fût totalement levée. Puis, ses doigts pianotèrent rapidement sur le tableau de bord, il sentit le moteur vrombir et animer l'entièreté du chalutier. Axel se leva dans un mouvement, puis fit tournoyer le gouvernail en bois vers la gauche.

Le chalutier abandonna tranquillement la côte, mais Axel était bien trop occupé à contempler l'océan qui s'étendait devant lui, de ses yeux vert clair. Appuyé sur le bastingage qui l'avait retenu plus d'une fois de tomber à l'eau lors d'une tempête, le jeune homme se remémora toutes les pensées qui traversaient son esprit, à voix haute :

— Je dois penser à garder de la peau de poisson pour la docteure Khalil... et j'espère que cet imbécile de Wilfried n'a pas oublié que c'était à lui d'assurer la permanence de la poissonnerie, aujourd'hui ! Il y a des chances que je croise Baptiste, aussi...

L'île commençait à devenir un mirage lointain. Axel ne parvenait plus à distinguer la plage et sa misérable hutte, et les montagnes se confondaient avec le ciel qui s'illuminait, progressivement. Le reflet du Soleil levant, sur l'eau, donnait l'impression que l'astre émergeait de l'océan.

Aucun nuage à l'horizon. C'était une belle journée en perspective.

Une journée qui commençait toujours de la même manière, et qui se terminerait de la même manière, mais Axel ne s'en plaignait pas. En fait, il ne s'en était jamais plaint. Il avait choisi de devenir l'un des pêcheurs attitrés de l'île, et jamais il lui arrivait de regretter un tel choix. Le jeune pêcheur se réveillait tous les matins, à l'aube, et était reconnaissant dès que ses yeux s'ouvraient, envers une force ou une entité qui n'existait vraisemblablement pas, pour avoir un quotidien comme celui-ci. Axel sortit sa canne à pêche de son coffre, et fourra sa boîte d'appâts dans l'une de ses larges poches de son pantacourt marron.

Enfin, le jeune pêcheur stoppa le moteur du chalutier lorsqu'il jugea qu'il était assez éloigné de l'île pour pêcher sereinement. La mer était calme, le vent soufflait doucement et hérissait les poils de ses avant-bras musclés. La température n'était pas encore accablante à cette heure-ci, ce qui était quelque chose de normal pour les derniers jours du printemps, mais ce n'était qu'une question de temps avant que le Soleil l'écrasât et brulât sa peau claire. Il inspecta une dernière fois son portique, avant de plonger le filet dans l'eau à l'aide d'un mécanisme qui devait bien dater de l'époque de ses arrière-grands-parents. Le portique fit un bruit infernal en s'activant, mais son ouïe avait l'habitude.

Puis, Axel s'approcha du garde-corps, sa canne à pêche dans la main gauche, et il lança de toutes ses forces son hameçon. La pêche traditionnelle restait incomparable à celle plus mécanique, plus commode, que lui offrait le filet. Le plaisir ressenti, lorsque le jeune pêcheur extirpait sa trouvaille des profondeurs, qui gesticulait au-bout de son fil, n'était clairement pas le même que celui d'appuyer simplement sur un bouton pour remonter plusieurs tonnes de poissons d'un seul coup.

Axel ne pouvait pas effacer le sourire qui décorait son visage.

C'était une belle journée en perspective.

I am not a fish ! // REÉCRITUREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant