Chapitre 5 : Confiante complicité secrète

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Le jour suivant, Spica rendit visite à Machanaël, le Séraphin déchu, avec un peu de nourriture.
La veille, elle avait dû écourter un peu leur première rencontre car ses heures de travail touchaient à leur fin et elle ne pouvait pas se permettre d'éveiller le moindre soupçon à Ondia sur son contact secret avec un ange déchu.

-Bonjour, Spica.
-Salut, Machanaël.
Les deux jeunes gens s'entendaient à merveille, on aurait cru qu'ils se connaissaient depuis un siècle. Ils s'étaient vraiment trouvés. On aurait presque dit des jumeaux...
-Merci pour le repas, lui dit-il quand il vit avec quoi elle était venue.
-De rien. Donne-moi aussi ta tunique, quémanda Spica en tendant la main. Je vais te la laver et la repriser. Elle fait des fils et elle n'est pas sous son plus beau jour.
Machanaël baissa les yeux sur sa tenue normalement immaculée mais ici, tâchée et salie de terre et de poussière.
Il retira donc le vêtement ample sans protester. Il avait suffisament de fierté pour ne pas se balader dans une tenue sale ou abîmée, bien que se promener à torse nu n'était pas beaucoup plus digne. Il tendit le tissu à la jeune Ondine qui l'empoigna.
Le Séraphin déchu commença à manger les fruits secs et les baies que sa sauveuse lui avait ramenés tandis qu'elle lavait soigneusement sa sorte de toge.

Une fois la tâche terminée, Spica arrêta son regard un moment sur le torse de l'ange. On disait de par le monde qu'ils représentaient la perfection et, bien qu'actuellement, elle n'en connaisse qu'un seul, elle était bien d'accord. Aucun Ondin de tout le royaume d'Ondia n'avait de corps aussi parfait. Et pourtant, les Ondins charmaient les humaines presque autant que les Ondines charmaient les humains ! Le torse de Machanaël était bien taillé, sans aucune imperfection et totalement imberbe. On avait presque l'impression qu'il luisait à la lumière tant il était lisse.

Une fois l'habit presque sec, suspendu sur une branche, Spica prit les plis et recousut attentivement et soigneusement les petits défauts des fils, provoqués par la violente chute du déchéant. Elle le replaça au même endroit pour le laisser sécher entièrement.

-Spica ?
-Oui ?
-Comment est Ondia ?
La jeune femme réfléchit, un doux sourire aux lèvres.
-Magnifique. C'est une cité merveilleuse dont le palais royal est la fierté, trônant au milieu de la forêt, surplombant du haut de son immense arbre toutes les habitations environantes. Et comment est le paradis ?
Machanaël soupira doucement avant de répondre :
-Propre. Blanc. Immaculé. Éblouissant. Mais je n'aime plus ce décor autant qu'avant. Ce surplus de blanc accompagné de ce manque de couleur, cette overdose de pureté...Ça me mettait en colère pour le reste de la journée.
Il ajouta avec humour :
-Déjà que les Séraphins, les anges du feu de la passion et de l'amour, ont une température corporelle constamment chaude, je n'améliorais pas les choses en voyant rouge !
Spica rit.
-Je sais que tu n'aimes pas les contacts physiques mais...

Elle plaqua sa main sur la joue de l'ange. Ce dernier ouvrit des yeux surpris. Puis son visage se détendit peu à peu avant de lentement s'appuyer sur la paume de la jeune Ondine.
-Tes mains sont si froides, c'est tellement agréable...
Spica sourit de contentement et constata :
-Tu sembles respirer le bonheur, Machanaël.
-C'est le cas...

En ce moment, Spica ne travaillait absolument pas, mais personne ne se chargeait de vérifier si toutes les Ondines faisaient vraiment ce qu'elles étaient censées faire. Leur travail avait, en réalité, pour principale fonction de les nourrir et Spica n'était pas vraiment en manque. Et surtout, elle possédait chez elle plusieurs fioles contenant encore de l'essence pure d'énergie vitale d'humains, qu'elle avait elle-même récoltée et conservée, au cas où. De quoi tenir encore un an tout entier, voire bien plus.

Le Séraphin prit la seconde main de Spica dans la sienne.
-Quelle température parfaite...fit-il avec un petit soupir de pur bonheur.
-Mon corps est toujours froid, lui dit Spica avec un sourire. Les Ondines passent le plus clair de leur temps dans l'eau des sources de leur lieu de travail, c'es donc tout à fait normal qu'elles soient froides.
-Moi, comme je suis, ou plutôt j'étais, un Séraphin, disons que je suis tout le temps une fournaise, c'est aussi horrible que terrible...Parfois, je me demande même comment je me supporte.

Spica retira un de ses mains et tapota avec cette dernière le haut de la tête de l'ange.
-Tes cheveux me fascinent...Totalement...Tu as une implantation extrêmement nette et distincte et tes cheveux font l'effet de petits piquants, c'est trop drôle ! J'adore !
-Moi, c'est tout pareil, rétorqua Machanaël. Tes Cheveux d'Ondine sont absolument magnifiques. Même les cheveux des anges ne sont pas aussi sublimes !
-Merci, bien que je n'en sois pas si sûre...sourit Spica.
-Arrête un peu ! fit Machanaël avec un air faussement énervé. J'en ai côtoyé, des anges aux cheveux longs, tu peux me croire. Si je puis dire quelque chose que j'ai lu il y a peu de temps, tes cheveux "sont si soyeux et ils ruissellent dans ton dos".
-C'est très poétique, Machanaël. Merci ! sourit gentiment Spica, touchée de ces conpliments qu'elle n'avait jamais eu à Ondia.

Comme elle continuait à tapoter le haut du crâne du Séraphin, elle lui demanda :
-Mais, comme tu es à moitié haptophobe, n'est-ce pas désagréable que je te pof pof la tête de cette façon ?
-Que tu me quoi ? fit Machanaël en relevant ses yeux étonnés vers l'Ondine alors qu'il fixait le sol.
-Pof pof, fit Spica en riant. Cette expression date de mon adolescence mais elle m'est restée j'ignore pour quelle raison. Pof pof est le fait de te tapoter la tête.
Machanaël partit dans un grand éclat de rire.
-Non, ça ne me dérange pas que tu me pof pof la tête ! Il y a les cheveux entre deux, ce n'est pas tout à fait un contact physique direct...
-Tant mieux, dit Spica.
Puis, avec un air malicieux, elle ajouta :
-Tu risques de regretter tes paroles, je vais souvent te pof pofer la tête, alors !
-Au secours ! fit Machanaël en faisant semblant de fuir, sourire aux lèvres. Et ne regarde pas mes épis avec cet air-là !
En effet, le Séraphin avait deux épis à l'arrière du crâne qui dérangeaient à chaque fois les anges qui tentaient de lui couper les cheveux ou essayaient vainement de le coiffer.
-C'est amusant ! lui confia la jeune femme en souriant.

Après un moment de calme et de discussions tranquilles, Spica se mit à fixer le visage du Séraphin.
-Ça aussi, ça me fascine...murmura l'Ondine.
-Quoi donc, encore ? soupira l'ange déchu qui commençait à fatiguer devant les assauts incessants d'inspection de son corps de Spica, desquels il ne pouvait pas se défiler.
-Tes cils.
-Et qu'ont donc mes cils de si particulier ? demanda Machanaël, finalement plus vraiment sûr de vouloir savoir.
-Ils sont très longs pour appartenir à un homme...fit Spica sans décaler d'un seul millimètre son regard qui commençait à mettre le Séraphin mal à l'aise.
Au bout de quelques secondes, le jeune ange s'exclama d'une voix aiguë dans laquelle on entendait une pointe d'amusement :
-Bon, ça suffit !
Spica se retira mais avec un sourire aux lèvres aussi indicatif que communicatif. Elle aimait bien l'embêter, c'était très drôle.

La lumière du jour commençait à décliner. Spica se leva puis remit à Machanaël sa tunique blanche, à présent propre et à nouveau immaculée.
-Enfile-la. Les nuits dans le monde des humains à cette saison de l'année ne sont pas toujours chaudes.
L'ange déchu la fixa et lui dit :
-Tu sais, je n'aime pas me balader à torse nu. Ce n'est pas, comment dire, très noble.
-C'est vrai que tu es très fier et digne dans ton attitude. Mais c'est bien ainsi ! Au moins, tu ne te mens pas à toi-mêne !
Spica s'approcha de lui et lui fit pof pof sur la tête.
-Je dois y aller. Mes heures de travail sont presque finies.
-Tu reviendras demain ?
-Quelle question, Machanaël ! Bien évidemment que je reviendrai demain !

Avec un signe de la main, elle sauta entièrement dans la source. Le Portail Aquatique la ramena chez elle.
Elle ne put s'empêcher, en sortant du bassin principal dégoulinante d'eau, de penser au merveilleux après-midi que le jeune ange lui avait fait passer. Elle n'aurait son jour de congé que dans quatre jours, elle n'avait pas besoin de songer déjà à comment elle allait annoncer à son nouvel ami qu'elle ne pouvait pas venir le temps d'une journée par semaine.

-Alors, on rentre bien de son travail ?

Par contre, elle allait devoir supporter Ada...

L'esprit d'un Séraphin déchu et la bonté d'une Ondine solitaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant