Chapitre 7 : L'enterrement insupportable et le deuil difficile

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Le lendemain, Spica se leva avec une envie de tuer tout le monde ou presque.
La veille, Cabille avait rendu son dernier souffle et Spica avait tout raconté à Machanaël après, à la source, tout en conservant le même état d'énervement et de colère. Il l'avait patiemment écoutée, compatissant à la fois pour Spica qui avait dû houspiller Ada, à la fois pour Ada qui avait perdu une de ses seules amies et à la fois pour Milde qui avait perdu sa meilleure amie et qui avait été obligée d'ouvrir les yeux à une Ondine aveugle mais qui possédait pourtant son sens de la vue.

Aujourd'hui se déroulerait les funérailles de Cabille.
Spica, étant une Polyvalente, se devait d'y assister.
Elle savait qu'elle y retrouverait les autres Polyvalentes, et également Ada, Milde, les membres de la famille de Cabille et certainement ceux de la famille royale.
Elle serra les dents tandis qu'elle enfilait avec rage sa longue robe à la ceinture à grande boucle circulaire, de couleur noire, signe de deuil.

Elle fut obligée d'aller voir Cabille à ce qu'on pourrait comparer à une morgue dans le monde des humains. Elle reposait, sur un grand drap immaculé, les mains jointes et les yeux clos. Elle semblait dormir paisiblement. Spica murmura encore une fois quelques mots de bienveillance puis s'en retourna à l'extérieur.
Là l'y attendaient Altaïr et Arcturus.
-Ça va ? demanda le cadet.
-Oui. Elle n'était pas une de mes amies proches mais je sais qu'on a perdu une bonne Ondine.
-Oui, acquiesça le plus âgé des deux princes. Elle était sûrement capable de changer Ada, mais malheureusement, le destin a décidé que non, elle ne pourrait pas.
Spica baissa les yeux.
-Elle a voulu protéger Ada, cette peste, au péril de sa vie et voilà le résultat. Elle en est décédée. Paix à son âme.

Le moment de l'enterrement arriva.
L'Ondine fut placée dans une sorte de boîte de forme cubique dans laquelle elle fut placée latéralement.
Ada et Milde pleuraient à chaudes larmes et Spica songea que c'était la première fois qu'elle voyait sa pire ennemie sous un jour aussi faible, aussi vulnérable. C'était également la première fois qu'Ada ne l'insultait pas alors qu'elles étaient toutes les deux au même endroit.
Un Ondin récita un texte d'hommage puis laissa la parole à Milde, la meilleure amie de feu Cabille. L'Ondine, sanglotant et reniflant, dit d'une voix tremblante mais forte :
-Cabille...J'espère que là où tu es, tu te sens bien. Je te souhaite toute la santé du monde pour ta vie actuelle et je pense bien fort à toi.
Milde renifla, se moucha et fixa Ada alors qu'elle terminait son discours :
-J'espère que ton sacrifice ne sera pas vain et aura ne serait-ce qu'un peu ouvert les yeux d'une Ondine têtue à l'orgueil et la fierté incomensurables. Merci de tout cœur pour ce que tu m'as apporté. Merci...
Milde repartit dans de grands sanglots absolument incontrôlables. Ada ne pipa mot. Elle pleurait mais restait aussi silencieuse que muette. Pas une seule insulte envers Spica, pas un seul mot pour la défunte.
La boîte fut enterrée dans de l'argile, dans un bassin qui serait bientôt recouvert entièrement par l'eau, actuellement retenue par une sorte de barrage. Les Ondins naissaient de l'eau et ils y retournaient.
Une fois la cérémonie terminée, Ada rentra chez elle en traînant les pieds.

Spica, elle, rendit visite à Machanaël.
-Alors ? Comment était-ce ? dit-il quand elle arriva avec une mine sombre.
-Horrible. J'ai beau de me moquer de la mort, je n'aime pas voir des enterrements. C'est morbide.
-J'imagine, fit l'ange déchu avec un sourire, un peu mal à l'aise. J'ai vite composé un poème en l'honneur de la défunte. Veux-tu l'entendre ?
-Volontiers, dit Spica en s'asseyant aux côtés du Séraphin.

Ce dernier se râcla la gorge avant de commencer d'une voix claire et belle :
-Cabille, une Ondine fidèle
Une Ondine qui jamais ne chancelle
Qui restera dans mos mémoires
Nous ne devons cesser de broyer du noir
Elle sera toujours à nos côtés
Tant que nous penserons à elle
Comme si elle ne nous avait jamais quittés
Nous continuerons de vivre pour et sans elle.
-C'est beau, dit Spica, les nerfs légèrement détendus. J'espère à présent juste que cette idiote d'Ada va ouvrir un peu les yeux sur la réalité et le sacrifice immense qu'a fait Cabille en donnant jusqu'à sa vie pour elle, que sincèrement, elle ne méritait pas...
-J'étais un ange, dit Machanaël en posant l'arrière de sa tête sur le tronc contre lequel son dos était déjà appuyé. Je sais quelle est la valeur d'une vie. Je ne connais Ada que par ton biais, il m'est impossible de juger réellement.
Spica lâcha :
-Pour ça, je suis sans scrupule et je ne prends que rarement des gants. Je trouve qu'elle aurait mieux fait de mourir à la place de Cabille. Ç'aurait été une moins grande perte...
L'Ondine enfouit sa tête dans ses bras, croisés et posés sur ses genoux ramenés vers elle.
-Tu dois me trouver horrible...
Machanaël leva un regard calme vers le ciel avant de dire :
-Je ne dirais pas horrible, mais...Impitoyable.

Le Séraphin et l'Ondine passèrent encore tout l'après-midi à discuter, avec une pause repas pour Spica qui sauta sur l'occasion et sur l'humain qui passait par là, pour satisfaire sa faim.
Machanaël, assis en tailleur sur une épaisse branche d'arbre, caché dans le feuillages sombre, observait la scène. Il ne voulait en aucun cas se retrouver un jour à être la victime de Spica. Cela semblait tellement simple pour elle d'embobiner un homme...
Cette dernière hausserait les épaules et disant que tout cela était dû à ses nombreuses années d'entraînenent et de pratique.

Machanaël songeait parfois à sa vie d'avant.
Il serra nerveusement son poing droit.
Dans peu de temps, des dizaines d'anges seraient mis à sa poursuite et il ne voulait en aucun cas mettre en danger Spica, sa nouvelle amie.
Il soupira. Il n'avait aucun moyen de résoudre ce problème de mise en chasse. Il était le seul coupable, le seul qu'il fallait blâmer mais dans le cas présent, il était hors de question de changer quoi que ce soit à la situation actuelle.

Après que Spica se soit rassasiée, son ami l'ange déchu descendit avec souplesse et grâce de son arbre.
-Quel appétit, lâcha-t-il pour tout commentaire.
Spica lui adressa un sourire.
-Ne nous juge pas. Ceci est pour nous la façon la plus simple et la plus nutritive pour se nourir.
-Je ne juge pas, rit Machanaël. Je constate !
Ils s'assirent les deux au bord de l'eau. Spica décida de faire un petit plongeon et le Séraphin la regarda faire la planche au milieu de cette source à l'eau pure et cristalline. Un sourire lui vint instinctivement aux lèvres. Il se sentait bien, le corps détendu.

Cet équilibre allait être bouleversé. Par sa faute, bien évidemment, et il se sentait un peu coupable. Spica ne savait pas ce qui se tramait dans sa tête, à quel point il culpabilisait à l'avance. L'Ondine ignorait tout de lui. Pourtant, elle l'avait tiré hors de l'eau et prit soin de lui jusqu'à maintenant. Il songeait petit à petit au fait qu'il devrait lui dire, tout lui avouer...

Il y avait cependant un petit problème...Il ne savait pas quand.
L'ange n'osait pas se jeter à l'eau, et donc, pas non plus mouiller ses plumes noires.
Ces événements étaient encore trop proches chronologiquement parlant, bien trop récents. Il cherchait tellement à fuir ces souvenirs qu'il ne savait plus où il se trouvait ni ce qu'il fallait qu'il fasse...
Un jour, il finirait bien par vider son sac et tout dire à quelqu'un tant le poids de ces responsabilités. Quitte à parler à une personne, il valait mieux que ce soit quelqu'un qu'il appréciait, et dans le cas présent, L'Ondine nommée Spica.

-Spica...l'appela-t-il.
-Oui ? répondit-elle en approchant doucement de la rive sur laquelle était assis Machanaël.
Les yeux baissés et la direction de son regard impossible à déterminer, le Séraphin déchu commença d'un ton grave :
-J'ai quelque chose à te dire, Spica. Une chose importante et absolument secrète.
La jeune Ondine se rapprocha encore un peu plus, écoutant avec attention.
-Oui ? Qu'y a-t-il, Machanaël ?
L'ange releva légèrement le regard.
-Comme tu le sais, les anges déchus deviennent normalement des démons.
-Oui, je le sais, dit Spica d'une voix douce.
-Et tu dois aussi savoir, il me semble te l'avoir déjà dit, que je ne veux pas devenir un démon et que je préfère garder mon statut d'ange déchu.
-Oui, je le sais, répéta la jeune femme.
-Et bien...Et bien...

Les mots restaient coincés dans la gorge de Machanaël, contre sa volonté. Les sons se refusaient à sortir de la bouche de l'ange, comme si quelque chose les empêchait de dépasser cette frontière que représentaient ses lèvres.

-Et bien, reprit-il. Je sais comment faire pour ne pas le devenir. Voilà...
Spica eut un doux sourire.

Machanaël aurait voulu se donner des claques et se frapper lui-même !
Il avait été incapable de tout dire à Spica. Pourtant, il lui faisait confiance, là n'était pas le problème. S'il y en avait un, il venait sans aucun doute de lui.
Il savait bien que son amie avait senti son malaise et également compris qu'il ne lui avait pas dit tout ce qu'il aurait voulu lui dire. Mais elle n'insista pas et se contenta de lui sourire gentiment.

Machanaël se renferma à nouveau sur lui-même.
Bientôt, elle saurait.
Bientôt, elle entendrait toute la vérité de sa propre bouche.
Bientôt, il serait bien obligé de tout avouer pour se sentir enfin un peu moins mal, un peu moins coupable...

L'esprit d'un Séraphin déchu et la bonté d'une Ondine solitaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant