Les cours viennent de se terminer. D'un pas décidé, j'avance dans Édimbourg vers ma rue, ma petite ruelle calme, à l'abri des regards, ou personne ne pourra me trouver. Je l'ai découverte il y a maintenant longtemps, quand ma vie ne rimait plus à rien et que j'avais besoin de m'isoler. Ici, sur ses toits loin de la foule, je peux me détendre et oublier tous mes problèmes.
Devant mon immeuble favori, j'inspire un grand coup. Pourvu que la porte ne soit pas fermée. D'habitude, les locataires ne la ferme jamais, la rue étant une impasse qui débouche sur la rivière Leith, personne ne s'y aventure à part les habitants.
Je pousse la porte, elle s'ouvre. Je monte alors l'escalier qui mène à la fenêtre donnant sur le toit. C'est un velux qui se trouve en hauteur, au dessus du vide. Je ne peux pas l'ouvrir d'ici. J'utilise alors ma technique habituelle, je monte sur la rambarde de l'escalier, en face de la fenêtre, en essayant de ne pas glisser, puis je prend mon élan comme je peux, et saute. Normalement, j'arrive à attraper la poignée, mais de temps en temps, ma main ripe et je dégringole les marches jusqu'au rez-de-chaussez. Je retente alors souvent ma chance, et quand j'arrive enfin sur le toit, j'ai tout mon temps pour que mon corps endolori se calme.
Heureusement, ce n'est pas le cas aujourd'hui. J'attrape alors la poignée du velux tout en ayant les pieds dans le vide, la tourne pour ouvrir la fenêtre et grimpe sur le toit. Je marche jusqu'à une rangée de cheminées située au milieu. Je me pose alors contre l'une d'elle, et décompresse.
J'observe les nuages, les oiseaux et les feuilles rousses de l'automne qui virevoltent dans l'air. Sur ce toit, je me sens libre, comme à La Maison Noire. Fini les problèmes, fini l'ennuie du lycée. Le rêve arrive. La Maison Noire, c'est le nom de mon squat. Du haut de mes dix-sept ans, je dois être l'un des plus jeunes à y aller, mais le plaisir que je ressens à l'idée d'un bon shoot est si intense que je ne peux m'en empêcher. Cette sorte d'extase surréaliste est la seule chose qui me permet de tenir.
Une sonnerie me sort de ma rêverie, c'est que je serais presque en manque. C'est mon portable. Je réponds alors machinalement, sans une once de sentiments et d'une voix monocorde.
- Aaron.
- Aaron, c'est Astrid. Tu doit sûrement beaucoup t'amuser à La Maison Noire ou sur un de tes toits, mais on va manger dans un quart d'heure, alors rapplique tes fesses ici ! me dit-elle en rigolant.
- J'arrive tout de suite As !
C'est ma tante, Astrid. J'ai beaucoup de chance de l'avoir. Bizarrement, le fait que je me drogue ou que j'escalade des toits ne la dérange pas. Cela la fait plutôt rire. Elle doit sûrement avoir pitié de moi et me laisser tranquille. C'est elle qui m'a recueilli à l'âge de 5 ans, quand mes parents sont morts.
Ils partaient pour un voyage en amoureux pendant une semaine. J'étais chez Astrid devant la télévision, quand les informations ont commencé :
"Le vol 345 en direction de Rome s'est craché ce matin, dans l'Océan Atlantique. Les secours sont actuellement sur place, mais malheureusement, aucun passager n'a été retrouvé vivant."
En larmes, j'étais allé la chercher dans la cuisine, et l'avais traîné devant la télé. On était alors resté là, plantés devant une télévision qui diffusait la tombe de mes parents en boucle. Debout sur le tapis, les yeux rouges et larmoyants, Astrid me caressait les cheveux en pleurant doucement. On a jamais retrouvé leurs corps, donc je n'ai jamais pu leur dire correctement au revoir. Je pense que c'est cette télé qui s'en ai chargé. Quand As l'a éteinte, je ne me suis jamais senti aussi seul de toute ma vie. C'était comme si cette télévision représentait mon univers, mon monde d'enfant de cinq ans solitaire, qui n'avait jamais quitté ses parents. Mon monde venait complètement de s'écrouler, je ne savais pas quoi faire, à part pleurer encore et encore jusqu'à me vider complètement.
Vers la fin de soirée, nous nous étions endormis sur le canapé. J'avais terriblement mal dormi, comme si mon esprit n'avait cessé de tourner en rond pendant toute la nuit. Quand je m'étais réveillé, les yeux totalement rouges, Astrid était en train de préparer le petit déjeuné.
On était alors resté cloîtrés chez As pendant une bonne semaine, à ne rien faire d'autre que regarder des films et jouer à des jeux de société. Je ne voulais plus sortir d'ici, mon esprit d'enfant avait tellement peur du monde extérieur, j'étais si effrayé de voir des étrangers en sachant que mes parents ne seraient pas avec moi que je me suis isolé. Astrid est bien sûr restée avec moi, je ne sais pas ce que j'aurais fait si je ne l'avais pas eu à ce moment là. J'aurais sûrement sombré bien plus lourdement que maintenant.
Quand cette semaine de répit s'est terminée, j'ai dû me résoudre à sortir. Il fallait qu'on régularise ma situation. Ma situation d'orphelin à cinq ans, vivant chez sa tante. On a passé un mois épouvantable, à remplir un tas de paperasse et à effectuer un tas de procédures compliquées, pour qu'enfin, Astrid devienne ma tutrice et m'accueille chez elle.
Toujours sur le toit, je regarde ma montre, ses aiguilles trottant en un cliquetis apaisant. Il est vingt heure trente. Mine de rien, cela fait trois heures que je suis ici, à ressasser encore une fois le passé. J'essuie une larme discrète sur ma joue, et soupire longuement, pour évacuer toute cette nostalgie et cette déprime qui s'empare de moi. Mon sac sur le dos, je descend en quatrième vitesse les marches de l'immeuble et arrive devant la porte de chez moi. Je reprend mon souffle, et entre.
- Salut mon poussin ! S'exclame tante Astrid. Le dîner est prêt, installe-toi, j'apporte le plat.
- Ça marche, merci ! Répondis-je en jetant mon sac au pied de l'escalier.
Notre maison est assez petite, mais suffisamment grande pour contenir une salle à manger et deux chambres. Cette salle en question se trouve dans une pièce ronde, cerclée de hautes fenêtres. Elle m'a toujours fait penser au donjon d'un château, renfermant une princesse qui attend qu'un valeureux prince vienne la délivrer. Je tire une chaise de sous la table, et m'assoie en attendant Astrid, le regard dans le vide.
VOUS LISEZ
The Cancerous and the Vampire
VampireAaron est un lycéen, son meilleur ami est fan de disco et sa petite amie est un vampire. On pourrait croire que tout va bien. Le problème, c'est que la vie l'ennuie, il n'a plus le goût de rien, et déprime. Pour résoudre ça, il se drogue à l'héroïn...