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Mon petit frère et moi vivons chez Hylan et Max, depuis environ dix mois. On loge tous ensemble dans une charmante petite maison de village qu'ils ont hérité de leurs grands-parents.

Les circonstances de la vie ont fait que j'ai été "obligée" de vivre chez eux pour que mon petit frère et moi on ne se retrouve pas à la rue.
Néanmoins, Hylan a toujours respecté ma "liberté", et depuis six mois je dors au gré de mes envies soit dans la chambre d'Hylan, soit dans celle de Max.

Ma relation avec les frères semble compliquée de l'extérieur, mais évidente pour nous trois. Peut-être que je vous la raconterai une autre fois.

                                       ***

On est lundi, peu après 13 heures, et je viens de passer trente minutes en compagnie d'un cadavre intubé de partout.
L'envie de me pendre est imminente.
Comme d'habitude, je suis au bord des larmes et pressée de retrouver la vie dehors.

Cependant en sortant de la chambre, Jaden m'attend adossé contre un mur du couloir. Toujours vêtu de sa blouse blanche d'infirmier, et ses cheveux noirs toujours aussi bien coiffés avec du gel en arrière, il décroise ses bras dès qu'il me voit.

—T'as le temps de prendre un café ?

—Non.

—Viens, on y va.

Jaden commence à comprendre mon fonctionnement et cela m'agace.
Il se met à marcher devant moi, me laissant le choix de partir à tout moment, mais ce "quelque chose" que je n'arrive pas à nommer, me pousse à le suivre.

On s'installe dans une petite cafétéria qui n'est pas très remplie à cette heure-là de la journée.
Il va au distributeur chercher deux gobelets blancs avec un café brûlant à l'intérieur, et on prend place debout autour d'une table haute.

On se regarde un petit moment en silence, avant qu'il prenne la parole d'une voix tendre :

—Tu as un très joli corps.

—Merci.

—Tu devrais le préserver, et l'offrir à celui qui le mérite.

Ses paroles ne me font ni chaud ni froid.
Il m'a repoussée ce soir-là, tanpis pour lui.

On continue à boire nos cafés dans un nouveau silence, qui est encore brisé par une autre question :

—Tu vis où avec ton petit frère ?

—Chez Hylan.

—C'est ton copain ?

—Plus ou moins.

Je bois une gorgée de ce café répugnant, pressée de le finir au plus vite.

—Et toi, t'as pas des questions à me poser ? m'interroge-t-il avec un sourire aux lèvres.

—Je ne bosse plus, donc je ne suis plus obligée de poser des questions.

—Ah donc c'est ça ! Vous passez vos journées à parler avec les autres, mais vous économisez vos paroles avec votre entourage ?

—Chacun a ses défauts professionnels, je rétorque avec un sourire au coin.

—Mais comment tu fais pour t'occuper de personnes en fin de vie, alors que ta mère est...

Je n'ai pas fumé.
Je n'ai pas évacué la boule de larmes qui encombre mon larynx depuis la sortie de la chambre.
Jaden ne m'a pas laissé le temps de décompresser.

Brusquement, je sors de la cafet pour éviter de tout péter.
Mais il est plus rapide que moi et réussi à me bloquer dans ses bras en plein milieu d'un couloir.

Ce qui devait arriver arriva : j'éclate en sanglots dans ses bras.

—Je suis désolé, souffle-t-il. Je sais que je manque parfois de tact.

Il continue de me réconforter pendant un long moment, jusqu'à que je réalise que c'est la première fois que je pleure dans les bras de quelqu'un.
Je maintiens cette image de femme forte, de psy qui arrive à tout gérer (sauf sa vie de merde), et je me suis jamais laissée allée comme ça.
Même devant Hylan.

Je crois que c'est à ce moment-là qu'un lien se tisse entre Jaden et moi.
Le fait que je le laisse voir une petite faille de moi-même, change l'image que je me faisais de lui. D'un simple parasite, il est devenu "quelqu'un".

—Léna, je dois y aller...Ma pause est finie...

Je me retire de ses bras en constatant avec horreur qu'une partie de sa blouse blanche est souillée par mes larmes.

—Ne t'inquiètes pas pour ça. J'irai me changer.

J'acquiesce de la tête, incapable de prononcer un seul mot.

—Tu...Tu es libre ce soir pour boire un verre ?

Mes yeux s'ouvrent en grand.
Jaden manque indéniablement de tact.
Heureusement qu'il se ravise très vite parce que j'étais prête à lui coller une gifle.

—Ok laisse tomber...On se verra une autre fois.

Il s'avance vers moi, avant de s'arrêter avec une hésitation qui me trouble.

Cet instant-là est étrange car il me fait vivre.
Je sens mon coeur battre à une allure folle, mon corps est parcouru par d'étranges sensations.
En plongeant dans le regard noisette de Jaden, j'y lis le même trouble que moi.

Il opte finalement pour un baiser sur mon front. Cette douceur me fait frémir.

—Prends soin de toi.

Je le regarde partir de l'autre côté du couloir, avec ces mots qui dansent encore en moi.

                                        <.>

Quitte moi si tu peux  [Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant