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LÉNA

Glasgow.
11h02.

Jaden a appelé l'hôpital leur annonçant qu'il est malade, alors que j'ai éteint mon téléphone car j'en avais marre des appels de Max.
Jad s'engouffre dans un quartier chaud, bourré de personnes louches qui traînent dans les rues, puis un instant plus tard il se gare devant un immeuble délabré, remplis de graffitis.

Quand il éteint le moteur, il garde les mains serrées sur le volant comme s'il regrettait de m'avoir emmenée ici.
Depuis son mystérieux coup de fil de toute à l'heure, son visage a changé. Il s'est refermé.
Je tente alors de détendre l'atmosphère trop lourde à supporter une seconde de plus.

—Alors cette fois-ci, tu m'as enlevée pour de bon ?

Il esquisse un petit sourire.

—On dirait oui.

Les mains toujours braquées sur le volant, il évite de me regarder.

—Écoute Moon, il y a certaines choses que je t'ai pas dites sur moi...Des choses qui appartiennent au passé, mais dont je dois me servir aujourd'hui pour te protéger.

—Me protéger ? Me protéger de quoi ?

Il fixe le pare-brise en silence, avant de cracher un soupir.
Je tends ma main sur la sienne pour la ramener vers moi et entremêler nos doigts.

—Jad, de quoi tu veux me protéger ?

Sa tête se tourne enfin vers moi, et je rencontre un regard marron tourmenté.

—De toi. Je dois te protéger de toi-même.

Je baisse les yeux en essayant de retirer ma main, mais il m'en empêche.

—J'ignore qui t'a fait du mal Moon, mais je ne suis pas comme lui. Je veux que ton bien.

—Hé bien tu commences mal !

—Tu dis ça à cause de cet endroit ?

—Je dis ça parce que tu m'as embarqué dans une histoire que je ne veux pas !

Il lache brusquement ma main, avant de bondir de la voiture énervé.
Quand il ouvre ma portière pour me sortir de force, ses yeux fusillent les miens.

—Dis-moi que tu ne ressens rien pour moi, grogne-t-il, et je te ramène chez Max.

—Non.

—Non quoi ? crie-t-il excédé. Et regardes-moi quand je te parle !

Je relève les yeux en serrant les dents.

—Non je te répondrai pas.

Il donne un grand coup de pied dans la voiture en hurlant :

—Putain !

Je ne l'ai jamais vu si tendu.
Je croise mes bras contre ma poitrine en campant sur ma position.
Il revient vers moi, plante son regard dans le mien et j'y lis de la colère.

—Tu sais où on est ? Tu sais les risques que je prends pour toi ?

Je le fixe en silence en attendant la suite. Pourtant il ne continue pas. Il me jette un regard sidéré.
Il contourne alors la voiture pour remonter dedans.

—Je te ramène chez toi.

Quand il allume le contact, mon coeur cesse d'être irrigué.

La même panique qu'hier soir en boite vient m'étouffer, je cherche un moyen pour me calmer.
Je fouille cette rue du regard en cherchant un bar. Il me faut de l'alcool. Vite pour oublier ces putains de sentiments qui germent en moi.

J'aperçois un café en face, je suis sûre qu'ils servent de la bière. Cette fois je m'en fou et je cours. Qu'il me rattrape ou pas, je boirai cette bière. Même dix d'un coup.
Je traverse la route, mais à peine ai-je posé un pied sur le trottoir d'en face, que ses bras m'empoignent pour me plaquer brutalement contre un mur.

—Désolé ! Je suis désolé, Moon ! S'il te plaît ne pars pas !

—Lache-moi !

Il se penche pour m'embrasser mais je l'esquive.
S'entame alors un combat de têtes, mais je ne me laisse pas faire. Aucune envie qu'il m'amadoue avec ses baisers.

Pourtant trente secondes plus tard, ses lèvres parviennent à saisir les miennes, et m'envahissent de longs et langoureux baisers.
Son coeur qui bat fort à côté du mien, me force à capituler.
Je sens son souffle s'infiltrer dans mon corps, et je comprends que je ne pourrais plus combattre cette sensation chaude et apaisante qui rayonne dans ma poitrine.

Quand nos bouches se séparent, ses yeux brillants ne lâchent pas les miens.
Ils les ensorcèlent encore plus fort qu'hier.
Ils les emmènent vers une frontière que j'ai peur de franchir.

Comme s'il la lisait dans mon regard, Jad ne dit rien. Il se contente de glisser sa main dans la mienne, et on fait demi-tour pour pénétrer dans cet immeuble gris et dégradé.

***

Une fois arrivée devant une porte en bois remplie de graffitis de toutes les couleurs, Jaden se tourne vers moi.

—Tu me fais confiance ?

—Non.

—Moi non plus, sourit-il.

Il toque deux fois à la porte, il attend, deux autres coups bref, il attend, puis un dernier petit coup.

Une minute plus tard, la porte s'ouvre sur un asiatique d'une vingtaine d'années, couvert de tatouages.
Ils se saluent froidement, avant que l'asiatique sorte précipitamment de l'appartement en le prévenant qu'il va faire les courses.

Dès que la porte se ferme, j'ai l'impression de rentrer dans un monde parallèle.
Le salon est minuscule avec un bordel incroyable. Il y a des tonnes de détritus partout : sur le sol, sur la table, le canapé, et même au bord de la fenêtre.
Des canettes et des bouteilles vides, des paquets de chips, des boîtes de conserve, des feuilles de sopalin, et j'en passe.
Même si je vivais avec deux frères bordéliques, je n'ai jamais vu une apocalypse pareille qui dégage une puanteur abjecte.

Jad se précipite pour aérer la pièce, pendant que je reste immobile à l'entrée.
Où est-ce qu'il m'a emmenée ?
Chez un dealer ? Un trafiquant ? Un tueur en série ?

Heureusement ma personnalité maniaque prend vite le dessus sur mes peurs. Je vais chercher un sac poubelle ou quelque chose qui s'y apparente, pour faire un minimum de ménage dans ce foutoir.

Entre temps, Jad va s'occuper des draps du lit de la chambre, puis de la salle de bain dont j'ose même pas imaginer l'état.
Quand son ami l'asiatique revient, ils vont aussitôt s'enfermer dans la chambre pendant un long moment.

Une heure plus tard ils en ressortent, et leurs visages sont crispés.
Celui de Jad est dix fois plus fermé que ce matin. Il se dirige vers la porte d'un pas déterminé, et me demande de le suivre.

C'est ainsi qu'on se retrouve en ville un quart d'heure plus tard.

Quitte moi si tu peux  [Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant