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JADEN

Ça fait cinq minutes qu'on roule en silence, quand sa petite voix douce s'exprime enfin :

—Tu m'aimes ?

Pris d'une quinte de toux incontrôlable, je manque de m'étouffer.
Je tousse, tousse encore comme si l'air avait disparu de ma voiture.

Quand je parviens à retrouver mes esprits, je tourne la tête vers Léna afin de croiser son regard qui me sourit.

—Qu'est-ce que t'as dit ? je demande en essayant de contrôler mes battements cardiaques.

—Je t'ai demandé si tu allais m'aimer comme les autres pour me faire souffrir ?

Je déglutis. Plusieurs fois.
Cette fille repousse l'amour comme elle l'attire.

—Non.

—Non quoi ? Non tu ne m'aimes pas, ou non tu ne vas pas me faire souffrir ?

J'inspire. J'expire.

—La deuxième option.

Je garde les yeux braqués sur la route, craignant la tornade "Léna ".
Effectivement elle maintient un court silence, avant d'enchaîner :

—J'espère que tu ne t'attaches pas à moi Jad, car je suis aussi redoutable que le poison.

Mes mains se crispent sur le volant. J'essaye de ne pas paraître affecté par ses mots.

—Je t'ai déjà dis que je n'attendais rien de toi. Et puis j'ai déjà une copine.

—Quoi ? s'étrangle-t-elle.

Je la regarde, surpris. Incapable de dire un mot.

—Tu trompe ta copine ?

Incapable de suivre le fonctionnement de cette fille.

—Non ! Enfin si ! Mais qu'est-ce qui te prends à la fin ? Pourquoi on parle de ça ? Tu m'as demandé de pas m'attacher à toi et je t'ai répondu que c'est pas le cas parce que j'ai déjà une copine ! Il est où le problème ?

Sans crier gare, elle détourne son regard vers la vitre en rabattant ses genoux contre elle.
Dans un murmure de dépit, elle lache :

—Tous les mêmes.

Je fulmine.

Je cherche où me garer, trouve un parking de supermarché à cent mètres de là, avant de m'arrêter en trombe.

Murée dans son silence ou dans sa colère, je la sors du véhicule en la tirant par le bras.

—J'ai pas de petite copine ! Voilà, t'es contente ?

Ses yeux s'arrondissent.

—Quoi ? Tu m'as menti ?

J'hoche nerveusement la tête en lâchant son bras. Puis hors de moi, je balance :

—Tu me rends dingue ! Tu me pousse à bout ! Je ne sais plus sur quel pied danser avec toi !

Elle croise les bras contre sa poitrine, en fronçant les sourcils.

—Tu insinues que je suis folle ?

—Non ! Non, putain !

—Alors quoi ?

Ses petits yeux verts semblent perdus.
Ils attendent des réponses claires de ma part.
Nerveux, je passe mes mains dans mes cheveux en soupirant fort.

—Léna...Tu...Tu ne vas pas bien en ce moment, et c'est normal tu viens de perdre ta mère à cause de cette putain de maladie ! Mais...

J'aperçois ses lèvres se pincer et une légère tristesse voiler ses yeux.
Je m'approche d'elle pour replacer une mèche de ses cheveux derrière son oreille.
Ma main reste posée sur sa joue, avide de ressentir sa chaleur. Mais Léna a brusque mouvement de recul, avant de me jeter un regard plein d'effroi.
L'instant d'après je la vois courir se réfugier à l'intérieur du supermarché.

Mais c'est quoi ce bordel ? Cette fille veut ma peau ?

C'est qu'elle court vite en plus !
Juste après avoir franchi les portiques de sécurité, je réussi enfin à la rattraper dans un rayon.

—Arrête ça ! je crie. Arrête ça tout de suite !

—Non ! répond-t-elle avec les larmes aux yeux. Tu vas me tuer !

—Quoi ?

—Lache-moi ! hurle-t-elle en se débattant avec rage.

Cette fille est folle. Définitivement folle.
Et moi dans la merde.

J'abat ma main sur ses lèvres pour la faire taire, puis je la traîne de force à l'extérieur. Quand un vigile s'approche de nous, je lui fais un grand sourire pour lui faire comprendre que je gère la situation.

Alors que je tire Léna par le bras pour aller s'asseoir plus loin sur le parking derrière les voitures, ses cris ont été remplacés par des sanglots. Des tout petits sanglots qu'elle tente de retenir.
Je la force à s'asseoir et je fais pareil. J'écarte les jambes et l'attire dans mes bras.

—Moon, pourquoi tu crois que je vais te tuer ?

Son regard brillant de larmes s'ancre dans le mien. Je la vois enfin lâcher prise.
Elle n'est plus sur la défensive. Elle est prête à parler.

Sa petite voix frêle commence par me raconter la tentative d'étranglement de son gars, qu'il l'a piégée parce qu'il l'aime et qu'elle n'arrive pas à aimer qui que ce soit à part son petit frère.
Elle reprend plusieurs fois son souffle pour se calmer.
Puis elle continue en m'expliquant l'épisode d'hier soir avec son ex qui a poignardé son propre frère parce qu'il l'aimait aussi.
Que Max était toujours à l'hôpital mais qu'elle est morte de peur.

À ce moment-là, je visualise ma rose enfermée dans un bocal qui ne cesse de l'étouffer.
Les événements s'abattent sur elle comme si elle était maudite.
Ma rose est maudite. Et moi aussi.

Elle se blottie ensuite contre moi pour faire quelque chose d'étrange. Elle me chuchote à l'oreille comme si elle allait me dévoiler un secret.
Elle m'avoue qu'elle refuse d'aimer et d'être aimée, parce que ça lui fait mal.
Elle compare ça à de la torture barbare. Elle préfère le sexe aux sentiments car elle a le contrôle sur son corps mais pas sur son coeur.
Et que son coeur en ce moment part en couille.

Quand elle relève ses yeux verts vers moi, je la fixe en silence, essayant de digérer ce flot d'informations.
Son visage pâle respire difficilement. C'est comme si elle allait se briser dans mes bras.

Je porte son petit corps qui devient de plus en plus léger à chaque fois que je la tiens.
J'ouvre la voiture, la dépose sur le siège passager et lui attache sa ceinture, avant de l'embrasser sur le front.
Ses yeux se ferment, et elle finit par s'endormir d'épuisement.

                                       
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Quitte moi si tu peux  [Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant