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Une semaine plus tard. Toujours un silence de mort avec Miya. Max ne pourra jamais la remplacer et pourtant... Il est devenu ami fidèle. Je peux me confier à lui sans souci. Et c'est assez drôle de constater qu'une amitié peut naître à travers une soirée éméchée...

J'observe par-dessus mon épaule le ciel ensoleillé et ouvre la porte d'entrée. Le soleil m'offre de ses éclats, or, ça n'empêche que la température n'est pas encline à s'élever. Encore sur le paillasson, deux voix s'élèvent dans le salon.

- Salut, maman.

- J'ai vu ton père, claque-t-elle, sèchement.

- Euh... Oui ?

- Tu es retombée dans les bras de ce voyou ?

Je bégaie. Elle parle d'Axel. Pourquoi le traite-t-elle de cette façon ?
Peut-être parce qu'elle a vu dans quel état je me suis retrouvée par sa faute. Du moins en partie. Alors je lui explique tout. Mais manifestement, elle s'est déjà forgé son idée et ne souhaite pas s'en défaire. Je sais parfaitement de qui je tiens mon entêtement...

- Je t'interdis de le côtoyer ! tranche-t-elle, les bras croisés.

- Mais c'est pourtant celui que j'ai choisi.

- Après ce qu'il a fait, tu comptes le suivre comme un petit toutou ? Non, mais ouvre les yeux !

Je lui en veux de ne pas me comprendre. L'amour n'a pas pour seul synonyme : la paix. La plupart du temps, les obstacles se dressent et tentent de nous ralentir, de nous réduire en cendres. C'est le test ultime des obstacles. Mais l'amour peut tout surpasser.
Je pensais qu'elle serait à même de comprendre...

- Oui, Maman, je compte le suivre comme un chien.  Parce que l'amour c'est ça, pardonner et continuer d'aimer.

Elle comprend l'allusion. C'est déjà ça.

- Tu... tu es au courant de tout ?

- Comme tu le sais, j'ai parlé avec papa. Et oui, je sais tout. Alors sache qu'Axel a voulu me protéger et non pas me tromper avec son premier amour !

Elle détruit la distance qui nous sépare et m'envoie une gifle qui me dévisse le cou. Instinctivement, je pose ma paume contre ma peau irritée et mes yeux se remplissent de larmes. Sa poitrine se soulève frénétiquement. Marck enroule son bras autour de ses épaules et lui demande de se calmer. Mais elle l'ignore et s'acharne contre moi.

- Ne t'avise plus jamais de me parler sur ce ton ! Tu n'es pas en position de juger. Tu n'es encore qu'une enfant ! Tu ne sais pas ce que j'ai vécu. J'étais malheureuse de ne pas avoir d'enfant alors oui, j'ai élevé l'enfant d'une autre et ce fut mon plus grand bonheur. D'un côté, je soulageais une femme seule et réglais les erreurs de mon mari et d'un autre, j'accédais à mon rêve d'être mère.

Mes larmes échouent sur mes joues. Je détourne le regard en ne sachant que dire. J'ai été trop dure avec elle. Mes mots ont été mal choisis. Et pourtant, elle non plus, elle a oublié ce que c'était d'aimer pour la première fois.

- Excuse-moi, je ne voulais pas te juger...

Nous quittons tous le salon, mais dans des directions opposées. Je sors de la maison et décide de marcher jusqu'au parc le plus proche.


°°°


Enfoncée dans le bois défraichi du banc opposé au lac, je rêvasse, le carnet en main. Les canetons suivent le sillage des canes et des canards. Une famille. Soudées. Unis. Emplis d'amour.

Que demander de plus ?

Ma famille ne ressemble en rien à ce que j'ai vécu auparavant. Luka est mon demi-frère. Axel est mon copain ainsi que le frère de Luka. Frères jumeaux. Faux jumeaux. Qu'importe !

Si je continue de nourrir mon égo, je vais me fracasser la tête contre un mur. Ça va faire mal. Concrètement, si je m'échappe un instant de ma propre identité, je constate que leur famille est plus défectueuse. Ce n'est pas une constatation rassurante. C'est peinant. Deux jumeaux qui ont vécu loin l'un de l'autre. Sans connaître l'existence de l'autre. Une mère - Karen - pour survivre à dû en « abandonner » un à son amant. Loin de son petit. Sa fierté. Je pense.

Je n'ai jamais été mère et pourtant, l'affection que j'ai toujours porté à mes peluches, témoigne d'un lien indestructible. Être une mère, c'est davantage. C'est porter la vie neuf mois et serrer ses progénitures dans ses bras tremblants. Les larmes aux yeux. Le cœur chantonnant de joie.

Je prends une profonde inspiration et visse mon regard sur le papier vierge. Mon calepin cloué à mes genoux redressés, mon stylo à plume entre mes doigts. Mes premiers mots s'inscrivent dans une plume résolue. Les mots qui me viennent sur le cœur. Des émotions que je verbalise enfin.

Mon téléphone me sort de mon lâcher-prise sur le papier noirci. Je décroche sans prêter attention au nom affiché.

- Oui ?

- Jeanne ! Mais où es-tu ?

- Au parc.

- Avec qui ?

Je plonge mon regard près du lac et contemple les canetons unis. Ils s'aiment malgré tout. Les épreuves de la vie n'ont pas eu le dernier mot. L'amour l'emporte toujours. Toujours.

- Avec une famille... Des parents aimants, des frères et sœurs soudés...

Une larme roule sur ma joue. Pourtant mon sourire se tient en tête.

- J'arrive ! Ne bouge pas, j'arrive tout de suite !

- Je t'attends...

En un battement de cils, je termine mon texte et claque mon calepin, le menton redressé. La brise fraiche caresse ma nuque. Je laisse les frissons s'emparer de mon épiderme frileux. Je souris

- Jeanne !

Je dévisse le cou et le jauge de la tête aux pieds. Il a l'air dans tous ses états. Pourquoi ? À ma hauteur, il saisit mon visage en coupe et plonge son regard affolé dans le mien. Attendrissant. Apeuré. Fraternel.

- Dis-moi que tu vas bien !

- Je vais bien, Luka... J'avais seulement besoin de me... Vider la tête ?

Il jette simultanément un regard en direction du lac et cherche un soupçon de vie aux alentours. Et oui, frérot, je suis venue seule pour me ressourcer.

Ses lèvres glacées claquent contre mon front, ses pouces caressent mes joues.

- Maman m'a dit que vous avez eu une altercation. Je m'inquiète pour toi... Qu'est-ce qui...

- J'ai compris pas mal de choses en venant ici.

Et je lui expose ma théorie de comprendre chaque point de vue indépendamment du nôtre. Réussir à comprendre son prochain est essentiel pour partager de liens soudés et qui durent dans le temps.

- Tu n'es pas si bête quand tu médites, gamine !

Il m'ébouriffe les cheveux et par instinct je lui envoie mon poing dans le flan. Il se plie en deux et ricane comme un môme.

Sur le trajet du retour, mes pensées s'égarent sur Miya. Je ne me suis jamais mise à sa place. Je l'ai même mise de côté....  Mon cœur se serre en l'imaginant incomprise. Et désormais, je suis prête à lui faire part de ma compréhension face à sa situation... De lui demande mille fois pardon. De lui prouver qu'elle compte pour moi !

Ma meilleure amie est trop précieuse à mes yeux pour la laisser dans cet état toute seule.

Ma première foisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant