Solide amitié

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  La nuit était noire, l'obscurité de la forêt les handicapait. Le silence intensifiait chaque petit bruit anodin comme le bruissement des feuilles, les insectes grouillant sous l'écorce des arbres, le vent chantant ou bien leur propre respiration.

  Gadriel fit quelques pas dans une direction opposée, alors qu'Yselda se tenait près de Nicolas, elle se leva d'un bond malgré sa jambe douloureuse et brandit son épée qu'elle appuya contre les lombaires de l'assassin. Ce dernier s'arrêta aussitôt et leva les mains doucement en l'air. Dans l'ombre, ils ne voyaient que leur propre silhouette, il était impossible de distinguer les traits du visage, l'habillage ou bien tout simplement l'intensité d'un regard.

— Si tu fais un pas de plus, cette lame aura raison de ta vie, grogna Yselda.

  Sa voix résonna dans le silence et parut amplifiée.

— Pourquoi resterais-je ? demanda Gadriel.

— Parce-que tu es notre prisonnier, tu as attaqué Nicolas, tu sais des choses que nous ne savons pas.

— Même avec toutes les tortures du monde, je ne révélerai pas les plans de Djafar, je ne suis pas aussi faible que vous. Alors range ta lame et laisse moi partir.

  Yselda sourit. Seule elle, pouvait le savoir mais l'intonation de sa voix ne trompait pas, elle savait que Gadriel s'en rendrait compte.

— Fais un pas de plus, répéta-t-elle, et je t'étripe en faisant en sorte que tu restes conscient assez longtemps pour te rendre compte que tu ne t'en sortira pas.

  Entre temps, Archibald avait fouillé dans les sacs qu'ils avaient mis sur le dos de la jument morte. Il rejoignit Yselda, saisit les poignets de Gadriel qu'il croisa dans son dos et les lui attacha en serrant correctement le nœud, qu'importe que la circulation de son sang soit coupée ou non.

  Gadriel ronchonna mais ne put plus qu'obéir. Ils firent un feu, en plein milieu de la forêt et s'assirent autour de celui-ci, absorbés par les flammes qui les réchauffaient. Paul et Nicolas restaient inertes, sans un bruit, sans un mouvement, comme morts. La soirée fut calme, Archibald ne parla pas une seule fois bien que c'était rare venant de lui et Yselda restait perdue dans ses pensées, hypnotisée par le feu qui dansait sous ses yeux tandis que Gadriel avait déjà fermé les yeux pour ronfler dans son coin.


  Quand ils avaient compris que Nicolas et Paul avaient été empoisonnés, Yselda n'avait pas réfléchi une seule seconde, elle s'était empressée de poser ses lèvres sur la morsure de Nicolas et d'aspirer son sang comme l'aurait fait un vampire. Elle avait ensuite recraché tout ce qu'elle avait aspiré jusqu'à ce que le corps de Nicolas soit moins raide et froid, que les veines grises qui ressortaient de sa peau disparaissent... elle avait fait la même chose pour Paul et espérait maintenant qu'ils se réveilleraient et qu'elle n'avait pas risqué sa vie pour rien.

  Avant ce jour, elle n'avait jamais rencontré de personnes qu'elle s'imaginait considérer comme des amis un jour. C'est dans cette forêt, ce soir-là, qu'elle se rendit compte qu'ils étaient tout ce qui lui restait, qu'ils étaient sa famille, ses amis et que sans eux, à présent, elle serait perdue. Jamais elle n'aurait pu imaginer qu'une telle aventure rapprocherait son cœur de celui des autres. Mais ce sentiment lui plaisait, bien qu'elle le gardait pour elle. Ce n'était pas le moment de parler de ses émotions, peut-être le ferait-elle un jour, lorsque tout prendrait fin, si jamais elle survivait. Mais elle savait qu'elle mourrait comme une guerrière, qu'elle mourrait en combattant et qu'elle mourrait en ayant comptée pour les autres.


  À l'aurore, le soleil chauffa son visage endormi et le vent caressa ses cheveux en même temps que quelques fourmis coincées dans ses longues mèches brunes. Elle ouvrit lentement les yeux, se frotta les globes oculaires avant de se redresser à l'aide de ses coudes et de regarder autour d'elle. Le feu était éteint et fumait encore tandis que le corps de Nicolas avait disparu, mais pas celui de Paul. Yselda se leva d'un bond pendant que Gadriel et Archibald dormaient à poings fermés et elle examina les lieux, derrière les arbres, dans les buissons... avant de descendre une pente raide en s'accrochant à l'écorce des arbres et de tomber sur Nicolas, dos, dans un lac à l'eau étonnamment sombre. Il se lavait et sa peau était couverte de cicatrices. Yselda s'immobilisa, cachée derrière le tronc d'un arbre, elle l'observa s'aventurer dans l'eau en poussant des gémissements de douleur, comme si ses cicatrices lui faisaient encore du mal. Il se laissa soudainement couler dans l'eau, pendant quelques secondes qui parurent durer une éternité, elle ne savait plus si elle devait le sauver ou attendre tout simplement qu'il remonte à la surface. C'est ce qu'il fit peu de temps après pour alors plaquer ses cheveux en arrière. Yselda était soulagée de le savoir en vie, cela voulait dire que Paul se réveillerait bientôt lui aussi. Le réflexe qu'elle avait eu avait été le bon, puisqu'elle leur avait sauvé la vie.

Le Maître des DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant