Des yeux inoubliables

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Les minutes s'écoulèrent, les heures défilèrent, les jours passèrent et les semaines interminables ne cessèrent. Yselda se perchait chaque jour sur le haut mur de la maison, défiant les hauteurs du Mont. Elle put voir les saisons défiler, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige ou qu'il fasse soleil. Elle se perchait sur ce mur et comptait les minutes qui passaient, aussi longues furent-elles.

Cet endroit était loin d'être une prison, ils n'étaient même pas retenus ici mais ils avaient décidé de rester, dans l'espoir de voir un jour leur ami ouvrir les yeux. Alors, en contrepartie, ils aidaient pour certaines tâches, nettoyer, balayer, servir à manger et même faire la toilette à certains malades. Paul détestait ce travail, Archibald en avait été délecté durant quelques semaines à cause de sa cheville mais cela faisait plusieurs jours qu'il avait commencé et Yselda ne se plaignait pas, ces activités occupaient ses journées toutes plus longues les unes que les autres.

Elle guettait chaque jour à l'aurore si des chevaux s'approchaient du Mont. Elle craignait que Djafar ne les retrouve, ou que son père n'ait tout révélé à Theobald. Depuis plus de quatre mois, aucun ennemi ne les avait attaqué et peut-être même que le roi les croyait mort. Les dragons ne s'étaient plus montrés, ni dans le ciel, ni sur la terre et leur rugissement ne semblait n'être plus qu'un lointain souvenir, ou tout simplement un rêve. Comme l'existence de Nicolas, un jour...

— Aujourd'hui, je vous préviens, je ne curerai pas les toilettes ! grommela Paul en avançant avec ses deux amis dans les longs couloirs de l'immense bâtisse.

— Moi non plus, je l'ai fait la semaine dernière, rechigna Archibald.

— Les gars, je suis une fille et on m'a demandé de laver les draps souillés, je vous vois mal vous amuser à grattouiller les excréments des vieux malades, alors au lieu de vous plaindre, acceptez ce que l'on vous donne et estimez-vous heureux !

Paul et Archibald se mirent à rire tous les deux, main sur le ventre et l'autre désignant du doigt Yselda. Elle se tourna vers eux et croisa les bras l'air boudeur, elle leva les yeux au ciel puis les fusilla du regard.

— Alors d'abord, commença Archibald, on te force à te faire un chignon immonde, porter une robe ridicule et maintenant ça ? Ha ha, trop marrant ! Yselda, le preux chevalier devenu femme à tout faire !

— Je t'emmerde Archibald, tu serais incapable de faire la moitié de ce que je fais. Je suis une surdouée, tu connais ce mot ? J'imagine que non, tu n'es jamais allé à l'école, t'as été bercé dans le crottin de cheval et probablement trop près du mur aussi !

Paul de son côté se remit à rire, se moquant maintenant de son ami. L'écuyer poussa un profond soupir, un léger rictus au coin des lèvres.

— Surdouée tu dis ? reprit-il. C'est pour ça que t'es incapable de te rendre dans la chambre de Nicolas ? Surdouée avec une épée certes, mais pas pour ce qui est de l'amitié.

— Pourquoi devrais-je m'y rendre ? Si je vais dans la chambre d'un malade, c'est pour le laver et je n'ai pas envie de le voir nu.

— Moi je l'ai fait, avoua Paul en cessant de rire.

Yselda et Archibald lui jetèrent un regard, se regardèrent puis pouffèrent de rire.

— C'est immonde, Paul ! s'esclaffa Yselda. Tu as fait la toilette à Nicolas !

— Et alors ? C'est mon ami, je ne vais pas le laisser sentir le rat mort.

— Je n'oserai jamais toucher ses brûlures ... admit Yselda, son sourire quittant ses lèvres lorsqu'elle songea à ces douloureux souvenirs.

Le Maître des DragonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant