Partie 3: New-Yordstreet

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Amy avait tout perdu. Après plus d'une demie-heure passée dans ce conduit sale et étroit, elle se rendit compte que se trouvant dans un conduit de vide-ordure, elle risquait à tout moment de recevoir un sac de déchets de plein fouet et de subir le même sort que son frère. Elle prit sur elle et commença à remonter. Shinjy, qui s'était endormi depuis l'épisode du flash se réveilla tout à coup, il balaya le conduit du regard et se mit à marcher en tête du groupe, comme s'il guidait Amy vers la sortie. Elle rampait en s'appuyant sur les parois, chaque pas la faisait souffrir, mais voir son compagnon renard marcher devant elle avec aisance lui donnait le courage de continuer. Plusieurs fois, elle crut qu'elle n'y arriverait pas, mais chaque fois, Shinjy s'arrêtait et tournait la tête vers elle, et Amy recommençait à avancer.

Après plusieurs minutes à progresser dans le conduit, Amy aperçut enfin la sortie, la lumière qui s'engouffrait dans le vide-ordure lui redonna espoir, elle accélera, glissa sur plusieurs mètres avant de réussir à stopper sa chute, Shinjy était resté à sa position initiale et la regardait avancer de ses grands yeux bleus. Au prix de nombreux efforts, Amy parvint jusqu'au couvercle de métal qui recouvrait le conduit, elle l'ouvrit, et dans un dernier élan d'énergie, elle se tira en-dehors du vide-ordure avant de s'effondrer au sol.

Elle fut réveillée par Shinjy qui semblait avoir perdu l'usage de la parole, car celui-ci se contentait de frotter son museau blanc contre le visage d'Amy pour tenter de l'arracher des bras de Morphée. Combien de temps s'était-il écoulé depuis qu'elle s'était endormie? Il était difficile de l'estimer sans montre dans une ville souterraine comme celle de New-Yordstreet, d'ailleurs, l'humanité avait depuis longtemps perdu ce concept de jour et de nuit, et de ces mots ne subsistait qu'une tradition orale décrivant l'absence ou la présence de lumière.

Amy se mit à errer sans but dans les rues de sa ville natale, suivie de près par son renard qui ne semblait pas non plus se poser de questions sur la destination de son amie. Le quatrième arrondissement du cinquième sous-sol de New-Yordstreet n'était qu'un vaste complexe de tunnels reliant différents quartiers les uns aux autres. Les rues étaient sales et délabrées, les rats et les insectes pullulaient dans ces quartiers à la chaleur étouffante. La misère frappait de plein fouet les bas-quartiers eux-mêmes. Si l'humanité avait un jour resplendit, elle n'était aujourd'hui plus que l'ombre de ce qu'elle avait été, et seule la bourgeoisie qui vivait dans les hauts-quartiers aux températures plus fraiches pouvait se targuer d'avoir des conditions de vie convenables, à savoir, avoir de quoi manger et boire tous les jours. Personne ne savait vraiment pourquoi la fraicheur s'intensifiait à mesure que l'on montait les étages de la ville, certains parlaient d'une formidable source de chaleur enfouie dans les confins de la cité, d'autres d'une surface glaciale qui refroidirait les étages supérieurs. La surface... Personne ne savait vraiment si elle existait, elle n'était qu'une légende parmi tant d'autres auxquelles les habitants de la cité se raccrochaient pour tenir, un mythe qui contait l'existence d'un endroit qui ne serait pas couvert, balayé par des vents qui ne s'arrêtent jamais, un lieu mythique où l'on pourrait apercevoir ce qu'on appellait le ciel.

Elle continuait à déambuler dans les rues de la ville, puis, tout à coup, la douleur submergea le genou d'Amy et elle tomba à terre. Celui-ci avait été ensanglanté par son passage dans le vide-ordure, elle était à bout de force, incapable d'esquisser ne serait-ce que le moindre mouvement. En observant les lieux, elle reconnut la rue où elle se trouvait lors de l'altercation avec les membres du gang. Tous les éléments de ce décor lui semblaient reconnaissables, du carrelage fissuré jusqu'aux bouches d'aération, en passant par les néons à moitié cassés et l'aspect sale des parois qui l'encadraient. Seul un détail faisait appel à cette constatation : le corps de sa mère en était absent, comme si quelqu'un avait profité des heures où Amy avait elle aussi été absente pour nettoyer ce tableau du cadavre et des flaques de sang qui l'accompagnaient. Le doute s'insinua dans son esprit, combien de temps était-elle restée endormie au pied du vide-ordure avant que Shinjy ne la réveille ? Si son raisonnement était juste, les hommes à l'origine du conflit risquaient de revenir sur les lieux du crime pour tenter d'embarquer le corps avant que celui-ci ne se fasse dévorer par la faune locale ? Peut-être d'ailleurs étaient-ils eux-mêmes la cause de la disparition du cadavre de sa mère. Un cafard de la taille de la main d'Amy vint se poser à quelques pas de son visage, elle le regarda une poignée de secondes avec plus de curiosité dans son regard que de dégout, et puisant dans ses dernières ressources, elle se leva avant d'aller se plaquer contre le mur à sa gauche afin d'éviter de tomber une seconde fois. C'est comme ça qu'elle progressait une heure durant, tantôt appuyée sur un mur ou une rampe, parfois effondrée, mais toujours épuisée. A chaque fois qu'elle tombait, Shinjy était là pour l'encourager et l'aider à se relever, et, au prix de multiples efforts, Amy parvint enfin devant le renfoncement qui servait d'entrée à son foyer.

Shiny attendait sur le pas de la porte, elle la poussa, et ils débouchèrent sur une sale sombre, elle tâtonna quelques secondes avant de trouver l'interrupteur. La pièce était maintenant éclairée par une unique ampoule qui pendait à nu du plafond, sa maison était composée d'une seule pièce, où les deux matelas qui servait de lit à sa famille étaient entassés avec les autres meubles de la pièce, comme le réchaud qu'utilisait leur mère pour réchauffer la nourriture qu'ils grappillaient à droite à gauche. Dans le coin supérieur gauche se trouvait la bassine qu'ils utilisaient pour se laver, elle contenait un pichet métallique destiné à verser l'eau et une serviette. A la vue de cette bassine, Amy se sentit toute nostalgique de ces instants de bonheur qu'elle avait passés à jouer dedans avec son frère. Une première larme lui monta aux yeux. La partie droite de la pièce était consacrée à ce qu'ils avaient baptisé affectueusement la salle à manger, mais qui n'était en fait constitué que d'une table en mauvaise état sur laquelle étaient entreposés les couverts et les menus ustensiles de cuisine, qui étaient eux aussi lavés grâce à la bassine en fer blanc. Trois chaises étaient disposées autour de la table, à l'origine, il y en avait quatre, mais la quatrième était tellement abîmée qu'Olly l'avait cassée en s'asseyant dessus, Amy se souviendrait toujours du fou rire qu'elle avait partagé avec sa mère à ce moment. Une deuxième larme lui monta aux yeux. Enfin, au fond de la pièce avait été déposé par sa mère un petit guéridon étonnement bien conservé sur lequel était entreposé le seul objet de valeur de la maison : une photo représentant Amy, Olly, sa mère et son père. Celui-ci était mort alors qu'elle n'avait encore que six ans, il avait été infecté par un parasite endémique de New-Yordstreet, il était mort dans la douleur, dévoré de l'intérieur par des larves qui avaient elles-mêmes étés tuées à la sortie par sa femme, en guise de vengeance contre ces êtres qui n'avaient eu pour autre choix que de tuer pour vivre. Les jours qui suivirent, Lehi avait été tant dévastée par la mort de son mari que ses enfants avaient étés obligés de porter eux-mêmes le cadavres de leur père jusqu'à l'incinérateur de la ville, dans un silence de mort, faute de ne pas avoir les moyens de lui payer une sépulture digne de ce nom comme les riches des hauts-quartiers. Une troisième larme lui monta aux yeux, c'en était trop, Amy s'effondra sur les matelas en pleurant. 

Le Corbeau et le RenardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant